François Bovier, Serge Margel

Sons et images pour la télévision publique : Six fois deux/Sur et sous la communication (1976) et France, tour, détour, deux enfants (1978) de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville

L’utilisation de la vidéo comme un outil de communication constitue l’originalité de la structure de production audio-visuelle Sonimage qui tantôt ouvre une alternative aux réseaux de production cinématographique professionnels, tantôt les détourne en les confrontant à leurs limites et paradoxes1. Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville reconduisent et prolongent l’utopie d’une communication démocratique, que la télévision publique représente encore dans les années 1970. La communication, telle qu’elle est entendue à l’époque, renvoie à un ensemble de pratiques qui sont garantes de l’existence et de la cohésion de l’espace public, au sens d’une expression du peuple lui-même ouvert à son histoire et à son altérité. Pour Godard et Miéville, un des agents déterminants de cette communication est précisément la télévision publique. En effet, cette utopie relève d’un développement du lien social par la portée éducative et citoyenne de l’institution télévisuelle. Cependant, à la différence de McLuhan pour qui le « medium est le message »2 (et réciproquement), Godard et Miéville — leurs contemporains — pensent que le medium brouille, perturbe et façonne le message, tandis que le message révèle la complexité du medium. Godard développe un « scepticisme linguistique » directement inspiré des théories de Fritz Mauthner 3, selon lequel la prétendue coïncidence entre les mots et les choses relève d’une abstraction illusoire dont il faut se défaire. Le projet de Sonimage consiste précisément à se doter des moyens vidéographiques et cinématographiques adéquats pour sortir d’une telle illusion, en faisant porter le soupçon sur la transparence du langage, ses abstractions, ses vérités, ses croyances. Par ce scepticisme du langage, Godard et Miéville développent une utopie communicationnelle qui repose sur un certain nombre de gestes et de pratiques : il ne s’agit plus de véhiculer des messages mais d’interroger le statut sémantique et la réalité ontologique des images ; il est nécessaire de provoquer des renversements de situations sociales et politiques dans l’espace public ; l’espacement creusé entre les images elles-mêmes et entre les sons, en contrecarrant la fluidité du langage, ouvre un autre espace de communication ; le dédoublement des voix — Godard et Miéville, masculin et féminin, travail et domicile, public et privé, acteur et spectateur — perturbe les lois de l’information qui postulent toujours un locuteur clairement identifié s’adressant à un destinataire déterminé.

De surcroît, au travers de l’atelier Sonimage4, Godard et Miéville pensent pouvoir renverser le jeu de la communication par un dispositif technique renouvelé et orienté par la portabilité. Godard s’est équipé de matériel vidéo léger auprès de Pierre Binggeli, relai de Sony en Suisse qui a ouvert à Genève un des premiers magasins d’électronique en Suisse et qui est devenu le technicien et le conseiller de Godard durant plusieurs décennies5. Or, Godard passe commande à Jean-Pierre Beauviala d’une caméra 35 mm très légère, la Aaton 8/35, dont le prototype est utilisé par Godard dès 1977 (c’est l’une des raisons de la venue du couple à Grenoble). La mobilité de la caméra, la rapidité et la réactivité de l’opérateur, l’immédiateté du tournage représentent autant d’effets cinématographiques que cherche à développer Godard depuis ses premiers films6. Le principal dispositif technique de Sonimage sera la vidéo légère7, qu’ils vont utiliser prioritairement pour leurs deux émissions de télévision, Six fois deux/Sur et sous la communication (1976) et France, tour, détour, deux enfants (1978). Sonimage s’inscrit dans une utopie politique de la télévision comme service public et nouvel outil éducatif du peuple, comme le manifeste leur participation au projet de télévision nationale au Mozambique, qu’ils entendent réaliser en mobilisant la technique de la vidéo, en 19788.

Nous revenons ici sur deux émissions vidéo de Godard et Miéville, produites par Sonimage et l’INA : Six fois deux/Sur et sous la communication (France, 1976, 617 minutes)9 pour FR3 et France, tour, détour, deux enfants (France, 1978, 312 minutes)10 pour Antenne 2. La première, conçue et entreprise dans leur atelier de Grenoble (soit une périphérie par rapport à la métropole), est diffusée le dimanche soir à 20h30 pendant six soirées (chaque épisode étant composé de deux parties d’environ une heure, la diffusion débutant le 25 juillet 1976)11. Le procédé consiste à donner la parole à une personne ou à plusieurs pendant presque une heure, la scène se déroulant le plus souvent dans un seul et même lieu, avec Godard dans le rôle de l’intervieweur (il est également une fois interviewé par un journaliste de Libération) (Fig. 2). Comme l’indique le titre, la communication et l’information constituent le sujet principal de cette série. Le découpage des épisodes en « six fois deux » reproduit à la fois les jours ouvrables de la semaine et des oppositions conventionnelles : le matin et le soir, le jour et la nuit, le public et le privé, l’usine et la maison, le travail et les loisirs, le masculin et le féminin, le travail et l’amour, etc. — toujours en diptyque. Godard et Miéville accordent une importance centrale à la parole de l’autre, qu’elle soit librement énoncée ou délibérément orientée, qu’il s’agisse d’une prise de parole émancipée ou d’une parole contrainte.

La seconde série, conçue et entreprise entre Grenoble et Genève, tournée à Paris et à Rolle, et découpée en douze « mouvements » de 26 minutes, est une commande d’Antenne 2 — qui la diffuse tard le soir, en avril et mai 198012. Elle est librement inspirée du manuel scolaire Tour de la France par deux enfants d’Augustine Fouillée-Tuillerie (Belin, 1877)13, connue sous le pseudonyme de G. Bruno, comme on peut le lire dans le générique — la commande de l’émission a été réalisée à l’occasion du centenaire de la publication de cet ouvrage pédagogique. La structure de ce livre (découpé en 121 chapitres introduits par une maxime moralisante) est reconduite, mais son propos patriotique et édifiant est détourné par Godard et Miéville au profit d’une nouvelle éducation qui passe ici par la parole des enfants (à la différence du manuel, où les enfants sont instrumentalisés en faveur de la mise en valeur des préceptes moraux de l’adulte)14. Dans l’émission, les deux enfants, Camille Virolleaud et Arnauld Martin (9 ans et demi), sont interrogés par le journaliste Robert Linard, alias Jean-Luc Godard. L’entretien entre les enfants, qui eux ne sont pas des acteurs, et ce reporter fictif est introduit par deux présentateurs, interprétés par Albert Dray et Betty Berr15 (Fig. 1). Les présentateurs interviennent ponctuellement dans les épisodes, inscrits à l’écran ou en voix-over, prononçant systématiquement une maxime évoquant les « monstres » comme synonyme de l’être humain16. À dessein et discrètement, Godard a modifié l’orthographe du nom de Robert Linhart, condensant son nom et le sien à travers une résonance phonétique (Lin-ard pour Linhart et Godard). Le dernier, philosophe, sociologue et maoïste, est l’auteur de L’Établi 17, publié en 1978, qui rend compte de son expérience d’établissement en usine en tant qu’ouvrier spécialisé dans l’entreprise Citroën. La série joue sur la tension entre ces deux modèles de didactisme, c’est-à-dire l’éducation et le formatage des enfants en « monstres » d’une part, et une analyse et critique de l’aliénation par le travail dans le contexte de l’usine d’autre part18. Soulignons encore que chaque « mouvement » critique la figure de l’adulte, désigné comme un monstre, et place l’enfant devant son devenir-adulte. Dans le deuxième mouvement, « Lumière/Physique », on entend ainsi en voix-over (Betty) :

« Les monstres sortent chaque jour de la terre. Ils vont, pendant huit heures, se mettre au service des grandes exploitations industrielles et militaires. Depuis quelques années, on a cherché à comprendre le mécanisme honteux de cette démarche. »

Ces deux séries négocient de façon différenciée l’usage de la télévision et la façon d’engager un entretien dans ce contexte médiatique. Six fois deux/Sur et sous la communication repose sur un échange dialogique entre adultes. Godard, qui parle en son nom propre (« Jean-Luc ») et que l’on voit parfois à l’image sans masque ni pseudonyme, entre en discussion avec ses interlocuteurs, suivant différentes stratégies : la provocation, l’écoute, l’échange, pouvant parfois emprunter le rôle de l’idiot ou de celui qui fait mine de ne pas comprendre19 (en particulier lorsqu’il s’entretient avec René Thom au sujet de sa théorie de la catastrophe). Les postures énonciatives sont multiples et engagent une réciprocité qui invite au dialogue. Dans France, tour, détour, deux enfants, en revanche, l’échange n’est la plupart du temps pas réciproque et s’opère sur le mode de l’interrogatoire, de surcroît entre un adulte et une jeune fille ou un garçon. Le personnage de Linard-Godard est une construction fictionnelle que l’on ne voit jamais à l’image, dont le mode de questionnement est de l’ordre de la maïeutique, voire de l’indiscrétion, jusqu’à contraindre les enfants à passer aux aveux. Dans les deux séries, Godard et Miéville jouent sans cesse sur le décalage entre les choses et les mots, prenant au pied de la lettre des expressions lexicalisées. Conformément à la théorie du scepticisme linguistique, les deux séries portent le soupçon sur les termes abstraits du langage qui sont toujours en décalage par rapport au réel. Dans France, tour, détour, deux enfants, Linard-Godard exploite la non-conformité des mots aux choses, à travers une ruse qui consiste à faire usage d’une fausse naïveté, renversant ainsi le pouvoir prétendu du langage communicationnel. Les deux enfants sont ainsi sans cesse pris au piège du langage et au « fétichisme des mots », ce qui permet par la même occasion de questionner la réalité de l’image : « Mais l’image, elle a aussi une existence ? », demande Godard dans le premier « mouvement » de l’émission, en interrogeant la jeune fille.

Les séries vidéo de Sonimage reprennent des conventions télévisuelles, empruntées au genre documentaire pour la première, et au genre du téléjournal pour la seconde. Godard et Miéville pratiquent ici ce qu’on appelle communément une « commande détournée »20, qui consiste à emprunter les éléments spécifiques du genre pour les sortir de leur contexte et par là interroger le fonctionnement même de la télévision. Six fois deux/Sur et sous la communication confronte la conception médiatique de la communication et de l’information à leur usage dans le langage courant, qui implique toujours une relation sociale : il s’agit dans cette série d’entrer concrètement en relation ou en communication, alors que le dispositif télévisuel rend cette relation impraticable ou improbable. Godard et Miéville investissent ici la structure de la série non pas comme un enchaînement d’épisodes unifiés qui se déroule dans le temps, mais comme une juxtaposition de « programmes » qui sont autonomes. L’effet produit par l’ensemble de la série donne l’impression d’une conception d’ensemble préalable, découpée en différents scripts, et thématisée après-coup dans l’avant-dernier « programme ». La spontanéité de la parole donnée, et orientée par les questions, dans chaque « programme », produit l’unité d’un court-métrage autonome. Ce qui rassemble et permet de réunir ces scripts, c’est une écoute et parfois une contradiction de la parole d’autrui : ou, pour le dire autrement, « six fois deux » manières de donner la parole et de la restituer. Prenons le « programme » 6a, « Avant et après », qui revient sur la structuration de l’ensemble des émissions et leur organisation binaire. Cet avant-dernier « programme » explicite d’une manière théâtralisée (l’acteur lit un texte puis restitue les propos de Godard diffusés à travers un casque) l’agencement et le déroulement de l’émission dans son intégralité. Ce moment de réflexivité joue d’une certaine ambiguïté entre ordre et désordre, scénario préétabli et improvisation libre. L’acteur met en place deux séries d’oppositions : la binarité des « programmes » (par exemple 1a et 1b : des chômeurs, un agriculteur) et la sérialité des épisodes qui correspondent au matin ou au soir (de 1a à 6a, et de 1b à 6b). Les épisodes du « soir » sont intitulés d’un prénom ou de prénoms, ceux du « matin » portent des titres plus descriptifs (précisons qu’au moment de la diffusion, deux « programmes » se suivent le soir ; l’émission est donc exclusivement diffusée pendant la case horaire de 20h30 à 22h30).

Dans France, tour, détour, deux enfants, le déplacement qu’opèrent Godard et Miéville par rapport à la logique télévisuelle, repose sur un jeu avec le langage, sans que celui-ci ne se réduise pour autant aux jeux de langage théorisés par Wittgenstein21. Le procédé de Godard et Miéville consiste à contredire les règles du langage, à perturber ses conventions d’usage et à récuser toute relation référentielle directe entre les mots et les choses. La possibilité d’une entente commune s’en trouve problématisée, pour ne pas dire rompue : les mots sont libérés de leur conformité à un usage et à un contexte, sauf à déchoir en mot-fétiche, c’est-à-dire à devenir un idolâtre. Entrons plus avant dans la logique langagière et dans le jeu des communications de ces deux émissions distinctes.

Le « programme » 2a, intitulé Leçon de choses, peut être appréhendé comme une clef de lecture ou une métonymie des procédés de composition de Six fois deux/Sur et sous la communication. Dans le dossier de presse de l’émission, Godard décrit en ces termes ce « programme » :

Dans un café, discussion de travail entre deux types qui se communiquent leurs sentiments et réflexions à partir de documents divers. L’un part plutôt d’un système d’explication du monde qu’il démontre à l’aide d’images et de sons assemblés dans un ordre certain. L’autre part plutôt d’images et de sons qu’il assemble dans un certain ordre pour se faire une idée du monde.22

Le dispositif est univoque et d’emblée posé : en légère contre-plongée, une table est cadrée, avec deux tasses de café, des cigarettes et un cendrier ; deux personnages, Godard et Paulo, dont on ne voit que les mains, parlent entre eux (Fig. 3). La discussion s’amorce par une interjection de Godard : « Tiens, un lit », à laquelle Paulo rétorque : « Non, c’est pas un lit, c’est une table »23. Ce premier dialogue appelle une analogie entre la table autour de laquelle ils se trouvent, en train de boire un café, et la table de montage, ce qui appelle une visualisation des propos : ici une table de montage de cinéma, là un livre pris dans une bibliothèque à la faveur d’un glissement dans le découpage sémantique entre le français « table de montage » et l’américain « editing table », qui renvoie au travail d’édition livresque. Avant l’analogie, intervient déjà un troisième terme, le lit (donc la lecture, par homophonie), c’est-à-dire le lieu privilégié où un corps peut monter sur un autre (« on monte quelque chose sur autre chose », comme dit Paulo), qui file la métaphore avec la table de montage sur laquelle « on met une image sur une autre », d’après sa définition du montage cinématographique. La logique de la discussion est portée par les associations d’idées et la dérivation sémantique de Paulo, le montage appelant encore les syntagmes figés « monter des affaires », « monter des opérations », ce qui vaut aussi pour le mot table, en glissant de la table de montage à la table de multiplication (à l’image, une calculatrice occupe l’écran pendant la discussion). Cette dérivation sémantique à partir du même champ lexical autour du mot « table » se constitue en un sketch de moins de deux minutes qui se termine sur une table arithmétique de quatre, avec l’image du lit déjà vu. Le sketch suivant s’ouvre sur deux tasses de café et une nouvelle interjection de Godard : « Tiens, un bébé maintenant », qui opère un raccord entre la multiplication des corps sur le lit et l’opération d’engendrement d’un bébé. Paulo rétorque cette fois : « Non, c’est un prisonnier de guerre ».

Le « programme » est clairement divisé en deux parties. Tout d’abord, sept sketchs s’enchaînent selon le principe de la désignation d’un objet concret par Godard, d’un point de vue littéral, auquel répond systématiquement par la négative Paulo, réinterprétant cet objet d’un point de vue sociopolitique, par détournement des termes et redéfinition de leur contexte. Après une brève récapitulation de l’ensemble des sketchs, débute une seconde partie où Godard est seul, suivant le même cadrage (on ne voit que sa main, une tasse de café et son paquet de cigarettes). Il revient sur les propos de Paulo qu’il réévalue à travers le prisme de la généralisation et de la schématisation. Le dispositif énonciatif se reproduit rigoureusement à l’identique d’un sketch à l’autre. Godard désigne littéralement des réalités concrètes. Paulo les soumet à son propre « système d’explication du monde ». En réponse aux explications de Paulo, Godard et Miéville assemblent images et sons pour « se faire une idée du monde ». Le passage de la désignation de l’objet à sa définition et son explication ouvre tout un champ rhétorique et s’articule selon différentes figures, comme l’analogie, la métaphore, la comparaison, ou encore la remotivation d’expressions lexicalisée. Dans le deuxième sketch, Paulo file la métaphore et multiplie les associations conceptuelles après avoir expliqué à Godard que le bébé qu’il croyait voir sur une photographie était en fait un prisonnier de guerre civile : la vidéo assimile le grillage d’un préau d’école aux barreaux d’une prison (Fig. 4), allant même jusqu’à rapporter la situation des écoles aux camps de concentration. Dans ce même sketch, une telle transposition sémantique s’opère entre un marché de fruits et légumes et un incendie, par le biais de l’expression lexicalisée la « flambée des prix ». Ce syllogisme repose sur un déplacement métaphorique à partir d’un syntagme figé, l’homonymie entre marché de fruits et légumes et marché des prix opérant comme un déclencheur causal. Le troisième sketch réinterprète le plan d’un homme qui promène son chien en laisse par le schéma standard de la communication entre un récepteur, un émetteur et le fil qui les relie. La laisse qui joue ici le rôle de l’appareil du langage fait appel au dispositif technique du téléphone, non sans dérision. Le sketch suivant met en parallèle une rivière et une longue histoire, jouant ainsi sur les expressions « le cours des choses », « le temps qui s’écoule », tout comme sur la sinuosité du cours d’eau. Dans le cinquième sketch, Paolo rapporte les plans du travail à la chaîne dans une usine à un film porno : le mouvement répétitif et mécanique, ainsi que la déperdition de l’amour dans le travail à l’usine, autorisent ce rapprochement. Le sixième sketch repose sur l’interprétation de la photographie d’un poisson qui se mord la queue comme incarnation de la logique du capitalisme. Le dernier sketch montre une ampoule qui s’allume, que Paulo interprète comme l’expression d’un rêve.

Dans la deuxième partie du « programme », Godard, seul, propose une relecture, une réévaluation, une réécriture des propos de Paulo. Selon nous, Godard et Miéville assument les deux rôles et fonctions mis en scène dans la première partie, au travers d’un scepticisme quant à une possible adéquation des mots aux choses. Le personnage de Godard, dans la première partie, est mis en scène comme un littéraliste de l’image : il feint en effet de croire que l’image désigne la chose par le mot. En ce sens, il occupe la position de l’idiot (au sens de l’irréfléchi), comme dans nombre d’autres de ses films. En revanche, le personnage de Paulo ne prend pas l’image au pied de la lettre (il ne la considère pas à partir du mot qui la désigne), mais y voit toute une complexité sémantique qui engage une « explication du monde ». Il incarne ici la posture du figuralisme. Or, cette posture figurale suppose que les mots jamais ne coïncident avec les choses24. Dans cette deuxième partie du « programme », Godard joue le maître d’école, didactique, rhétorique, dessinant avec sa craie sur une ardoise cathodique des schémas explicatifs tripartites (« l’un », « l’autre » et « l’entre-deux »). À l’écran, on voit s’inscrire, s’écrire des mots (se dessinant et s’effaçant, parfois décomposés) et se tracer des signes comme des flèches et des croquis, à travers un procédé d’incrustation vidéo : l’écran de la télévision devient par là un tableau noir et le téléspectateur un élève qui assiste à la leçon d’un « maître ignorant », selon l’expression de Rancière25 (Fig. 5). Nous pourrions ici parler d’un processus de réélaboration secondaire qui consiste à exemplifier par l’image et par des schémas les propos de Paulo. Le personnage de Godard-Linard poursuit alors cette logique d’association d’idées et de dérivation lexicale, pouvant ainsi mettre en relation la maison et l’usine, une scène d’accouplement entre un homme et une femme, et entre deux coccinelles, entre deux criquets. Le schème qui permet de relier ces scènes porte sur l’« entre-deux »26, comme l’avait souligné Deleuze. L’entre-deux, dans le cadre de Sonimage, se situe entre l’invisible et le refoulé, le non-dit et l’interdit, l’implicite et l’explicite, l’obscène et le maudit. Le procédé que suivent Godard et Miéville consiste à se fixer, se focaliser, s’arrêter sur des termes clefs qui entrent en opposition, comme « avoir » et « être ». Pour les démunis, pour ceux qui n’ont pas d’avoir, « avoir » précède toujours « être » : le sujet, en position de déréliction existentielle, est dépourvu de tout bien suivant le double-sens du mot « avoir », c’est-à-dire sans compte en banque et démuni de possession en général. Godard revient en soliloque sur sa discussion avec Paulo qu’il cite, sur fond d’un extrait de compte en banque (sur lequel les mots « être » et « avoir » s’écrivent à la main), puis d’une tasse de café :

« Il me disait : si t’as rien à ta banque, qu’est-ce que t’as comme total ? Ben rien, j’ai dit. Puis, qu’est-ce qui se passe ? Ben, je suis emmerdé, j’ai dit. Ben, tu vois, il a dit, la preuve, c’est que l’être vient après l’avoir. »

Une séquence de près de cinq minutes interroge le sens de la communication à partir de représentations de la révolution d’Octobre, en particulier à partir de trois photogrammes, dont deux tirés du Cuirassée Potemkine d’Eisenstein : les cosaques qui tirent sur la foule descendant l’escalier d’Odessa, une mère qui hurle en portant son enfant mort dans ses bras (Fig. 6). Ce dernier photogramme est mis en relation avec une photographie de manifestants comportant une banderole qui représente l’Union syndicale de Paris. La bouche fait ici le lien thématisé par Godard entre la « manifestation de la douleur » et la « manifestation politique ». Comme le souligne la voix-over, ces deux bouches ne disent pas la même chose : la première demande « pourquoi on me tire dessus ? », la seconde revendique un droit. Le double sens du mot « manifestation » constitue ici la clef de compréhension de la communication. Une troisième image intervient, celle d’une usine occupée où l’on voit les ouvriers jouer aux cartes (Fig. 7). Godard réinscrit cette scène en jouant sur le mot « carte » : littéralement « jouer aux cartes » se reconfigure, dans l’image des manifestants, en « redistribuer les cartes ». Le déplacement du littéral au figural opère ici encore une fois.

La séquence qui suit s’ouvre sur une publicité en couleur pour une banque qui met en relation un avion Concorde et le slogan (Fig. 8) : « Plus votre banquier est proche, plus les affaires vont vite », sous laquelle apparaît, comme par un lever de voile, l’image en noir-blanc d’une Africaine estropiée qui marche à quatre pattes dans le désert. La voix-over oppose la vitesse des affaires, « 3’000 km à l’heure dans le ciel d’Europe et d’Amérique » représentée par l’avion, à la lenteur de la femme qui avance dans le désert, « 3 cm à l’heure sur la terre d’Afrique ». Cette même image de l’Afrique est mise en relation par la suite avec une affiche publicitaire pour une agence de voyage, mettant en scène une image de pin-up en bikini sur une plage ensoleillée — immédiatement suivie d’une photographie d’un enfant africain mourant de faim.

Prenons à présent le « programme » 6b, « Jaqueline et Ludovic », qui met terme à la série et qui répond à une autre organisation ou logique. En plan fixe, de profil, deux personnages sont cadrés tour à tour. Le premier est introduit par le carton « silence » : un homme « autiste » qui répond furtivement aux questions de Godard, et qui parfois ne parle pas (Fig. 9) ; la seconde s’ouvre sur le carton « paroles » : une femme « torturée » et extrêmement volubile qui parle de son expérience religieuse à Rome. Ce « programme » explore les troubles du langage, comme on peut le lire dans le dossier de presse de Six fois deux :

« Conversation avec un ou une qui n’a pas de langage, ou qui ne l’a plus, ou qui l’a oublié, ou qui ne l’a pas appris, ou qui ne veut pas parler »27.

La forme de l’entretien est ici maintenue face à une parole aliénée, qui n’est pas celle à laquelle on s’attend lorsque l’on allume un poste de télévision. L’homme entre difficilement en dialogue, ce qui pousse Godard à s’entretenir avec lui et lui demander pourquoi il est venu. Ici, il y a défaut de parole : les propos de l’homme sont difficilement compréhensibles, sinon par bribes (il répond à côté, et ne finit pas ses phrases). Le cadre par ailleurs manifeste cette difficulté à communiquer, un quart de l’image étant obstrué par une paroi noire. À l’inverse, la femme a un débit de parole ininterrompu, évoquant sa foi, un possible mariage qu’elle ne souhaite pas et un risque de viol. De plus, l’aliénation n’apparaît pas dans ses gestes, dans sa posture corporelle, son élocution (qui se situe à l’inverse de l’homme multipliant les silences ou les absences), mais dans le contenu de ses propos qui relèvent d’une logique de l’ordre du délire. Dans les deux cas, comme Godard l’évoque en parlant à l’homme, le dispositif des conversations passe par un contrat marchand : une parole est échangée contre de l’argent.

Toute l’émission repose sur ce principe, qui est mis en scène de façon littérale dès le premier « programme », « Y’a personne ». Dans le dossier de presse, nous pouvons ainsi lire :

« Conversation avec des chômeurs et chômeuses venus chercher du travail et un emploi dans une entreprise privée qui fabrique des programmes pour la télévision et le cinéma »28.

Dans ce premier « programme », Godard est assis à son bureau dans les locaux de Sonimage, à Grenoble. Il joue son propre rôle d’employeur et producteur pour la série que nous voyons, rétribuant des chômeurs et chômeuses dont le salaire est justifié par une demande de travail à celui-là même qui les reçoit et les interroge. Il met ainsi en évidence le fait que la recherche de travail constitue elle-même un travail, et que le travail dans le régime capitaliste consiste en une duperie. Une scène est exemplaire à cet égard : une femme de ménage est mise en scène par Godard dans différentes situations qui répondent à sa vie réelle, en particulier passer l’aspirateur, ce qu’elle fait à sa demande, et, ce qui paraît plus inhabituel, chanter l’Internationale. Godard demande en particulier à la femme de chanter le passage de la strophe « producteurs sauvons-nous nous-mêmes », jouant sur la polysémie du mot producteur (prolétaire, ouvrier/producteur de cinéma). Or, le scepticisme du langage s’exerce chez le couple par des stratégies de duperie et le détour de la ruse. Jouer sur les mots, prendre un mot pour un autre, constituent autant de figures de la feintise et de la dissimulation, par lesquels Godard confronte le sujet filmé aux paradoxes de sa propre situation (ici le chômage comme recherche du travail, ou être payé pour gagner de l’argent). La caméra, en posture de retrait, met en scène et théâtralise un entretien d’embauche, comme si la caméra était cachée alors que les chômeurs sont engagés en tant qu’acteurs de leur propre rôle.

Le titre même de l’émission France, tour, détour, deux enfants joue déjà sur une sémantique de la ruse. En effet, le mot « détour », qui s’ajoute au titre du manuel scolaire de G. Bruno, est polysémique : il désigne tout à la fois le détournement, le contournement, le retour du tour, le tracé sinueux d’un chemin, et résonne avec le pluriel des « deux enfants » (des tours) ; couplé à certaines expressions, comme « au détour d’une phrase », « attendre quelqu’un au détour » ou encore par extension « détourer » un dessin ou une photo pour l’isoler et en supprimer l’arrière-plan, le détour attire l’attention sur les effets qu’il produit. Le scepticisme de Godard opère par de tels détours de langage, qu’il s’agisse de mots, de métaphores, d’images ou de sons. Comme le soutient par ailleurs Georges Perec à la même période dans son essai « Les lieux d’une ruse »29, la feinte de la contrainte linguistique consiste à chercher dans le langage un moyen de détourner ou contourner le langage. Godard et Miéville eux aussi cherchent dans le medium audio et télévisuel les moyens de le détourner de l’intérieur et par là-même de révéler ses traits constitutifs : l’enjeu consiste à tendre un piège à la télévision, de manière à ce qu’elle « communique » enfin, malgré elle pour ainsi dire. Le « détour » est ici à comprendre en un sens éminemment politique, comme une stratégie de sabotage, de contournement de la loi, voire de détournement des bonnes mœurs.

Les douze épisodes de l’émission comprennent les éléments récurrents suivants qui structurent les « mouvements », toujours articulés autour d’un entretien avec Camille ou Arnaud : l’ouverture représentant le point de vue de l’enfant filmant (alors qu’il n’est que filmé dans le reste de l’émission) ; une scène du quotidien décomposée par le ralenti ; l’entretien avec l’enfant mené par Godard-Linard, parfois en continu, parfois découpé ; la présentation d’un speaker ou d’une speakerine ; une discussion entre les présentateurs TV ; des images d’archives ; des scènes diverses et discontinues tournées ou détournées pour le film30. Après le titre de l’émission, chaque épisode s’ouvre sur un plan du garçon ou de la fille qui simule le maniement d’une caméra professionnelle de télévision (et parfois de la prise de son également), sur fond d’une chanson de variété de Julien Clerc, Terre de France (1974). Le titre joue par homophonie avec le manuel Le Tour de France. Comme par un effet de miroir inversé, la série se clôt sur Richard (1973) de Léo Ferré, alors qu’on voit un homme hagard debout au comptoir d’un bar, filmé en un plan continu — la superposition de l’image et de la chanson simulant une interpellation de l’homme par la voix de Leo Ferré, relayé par une voix-over anonyme qui s’écrie : « Richard, encore un p’tit, vite fait ! » (ou, comment passer de Richard à Ricard). La musique enveloppe le téléspectateur dans une atmosphère populaire, rejouant des préoccupations de l’époque sur l’anthropologie du quotidien et le sens de la banalité, telles que les a entre autres développées à la même époque Michel de Certeau dans une série d’articles recueillis dans L’Invention du quotidien : Les arts de faire31. Godard et Miéville entendent observer par leur émission les ruses anonymes du quotidien et exhiber les paradoxes de « l’art de vivre » qui caractérise la société de consommation.

Suit, dans chaque « mouvement », une scène centrée sur l’enfant qui s’adonne à ses activités quotidiennes, à la maison ou à l’école, ou encore sur le chemin qui y mène. Dans chaque « mouvement », cette séquence est aussitôt interrompue, suspendue, fragmentée par l’intervention d’un ralenti vidéo (figement et arrêt de l’image, reprise de l’image au ralenti puis à cadence régulière). Une voix-over, parfois masculine, parfois féminine, souligne l’effet d’analyse et de suspension que produit ce ralenti vidéo. Celle-ci affirme et réitère ces deux termes, accolés ou apparaissant à distance : « Ralentir, décomposer. » Ces verbes à l’infinitif forment une antienne qui donne lieu à une variation lexicale (par exemple : « composition, décomposition »), en fonction de la scène qu’elle accompagne. Des titres apparaissent à intervalle régulier par incrustation, orientant la lecture des plans. La manipulation de la cadence de défilement de l’image induit un effet de gros plan qui révèle une singularité dans le quotidien : l’attention du téléspectateur est aiguisée, dirigée et alertée, ce dernier percevant subjectivement, intérieurement, les détails qui fondent les pratiques de la quotidienneté. L’enjeu, par exemple dans le sixième « mouvement », consiste à mettre en perspective le mouvement des enfants, les couleurs du plan, les contrastes de l’image, des gestes, des postures corporelles, des regards qui deviennent le sujet central de la séquence, dans le contexte d’une cour de récréation. Cet effet d’intensification de la scène et de chorégraphie des corps confine à l’abstraction visuelle, se situant en porte-à-faux vis-à-vis du caractère illusoire de l’abstraction langagière sans cesse remise en cause dans l’émission. Cette abstraction visuelle révèle des densités de couleurs, de formes, de mouvements mais aussi de situations : ici l’on perçoit ce que signifient les expressions « l’école comme prison » (Fig. 11) ou « vivre sous pression », à la faveur du jeu de mot contenu dans le titre incrusté au début de cette scène, « (ex) pression », dont l’horizon de sens est ouvert et mis à découvert. Godard et Miéville utilisent les outils spécifiques de la vidéo comme un moyen de contourner et reconfigurer les pratiques du montage et la question du hors-champ. Dans ces plans chatoyants de couleur, au contraste exacerbé, le hors-champ est reconstitué au cœur même du mouvement de l’image et de ses cadences différenciées. Tout se joue désormais dans le champ, qui est délimité par l’écran de télévision. Le « dehors » évoqué par Deleuze s’inscrit dans le travail du ralenti, de la décomposition. Le détournement du défilement régulier des plans redonne à penser la relation entre le champ et le hors-champ, l’ici et l’ailleurs, mais aussi les pratiques du montage qui ne consistent plus seulement en la juxtaposition d’un plan à un autre : la variation des régimes de mobilité de l’image crée des intensifications perceptives et des ruptures temporelles au sein du même plan, le montage répondant à de nouvelles formes d’enchaînement ; en ce sens, le passage d’un plan à un autre a lieu au sein même du cadre sur le mode du surgissement ou de la rupture, et non plus sur le mode du raccord ou du faux-raccord avec celui qui le suit ou le précède. La narration, le scénario, l’histoire se négocient selon de nouvelles modalités, procédant par suspension, par saut, par incrustation — à l’instar des mots qui se superposent aux plans et les interrompent.

Une scène où l’un des deux présentateurs énonce chaque fois le même texte, avec des variantes de détail, sur le même ton, alternativement au masculin ou au féminin, constitue l’un des éléments récurrents ou structurants de l’émission. Il est très probable que l’ensemble des voix-over et des textes des présentateurs ont fait l’objet d’un script écrit32 qui est lu par les acteurs, tandis que les entretiens avec les enfants reposent sur le dialogue et l’improvisation. Voici un exemple de ce texte écrit et lu, où le sujet désigné est Camille :

– merci Robert Linard

– et je pense que

– je pense maintenant

– qu’il faudrait une histoire

– et pas, je veux dire : pas son histoire à elle

– pas une histoire qui viendrait d’elle

– mais elle qui viendrait d’une histoire

– et les deux, mais les deux

– avant, elle avant

– et l’histoire après

– l’histoire avant, et elle après

– ou dessus et dessous

– l’histoire de

L’histoire, ici évoquée, ne se réduit pas à l’histoire personnelle de Camille, mais renvoie au récit qui détermine sa propre histoire. Loin du récit autobiographique ou du documentaire biographique, loin aussi de l’autofiction, Godard et Miéville décomposent l’histoire (son histoire, son image) entre un avant et un après, qui est incarné par le procédé du ralenti et qui surgit dans le plan comme le hors-champ de l’image. Nous pouvons distinguer deux modalités de cette présentation : l’une reproduit les conventions du speaker ou de la speakerine de télévision, conservant une forte autonomie en tant que séquence indépendante ; l’autre embraye immédiatement sur un récit qui recourt souvent à des images d’archives modifiées. Dans le « mouvement » sept, l’histoire se spécifie à travers la rencontre entre le présentateur de télévision — lequel double la parole de Godard — et Bernard Lambert, agriculteur, syndicaliste à l’origine de la Confédération paysanne et animateur de Mai 68 à Nantes33, qui s’exprime à l’occasion de l’expropriation de sa ferme. À partir d’une carte postale — le présentateur opposant l’histoire d’une carte postale à l’histoire d’un paysage, affirmant que dans une carte postale l’histoire est toujours liée à la propriété —, une histoire s’ouvre à une autre histoire : à partir de la carte postale du Château de Chillon, s’ouvre un autre cadre qui révèle une autre histoire, celle d’une exploitation fermière à Nantes qui fait l’objet d’une expropriation ; comme le précise en voix-over le présentateur, « l’écriture peut venir et envahir l’espace libre ». Godard et Miéville jouent ici sur l’encadrement de la carte postale et la « terre limitée et délimitée » (comme le précise la voix-over du présentateur) en tant que propriété. La parole est alors donnée au chanteur Gilles Vigneaux qui entonne : « Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver » (Mon pays, 1965). Contre le carte-postalisme s’affirment ici le partage des terres et leur réappropriation collective.

Un autre élément, par ailleurs récurrent, suit immédiatement cette séquence. Dans chaque « mouvement », le speaker et la speakerine, en situation de face à face (l’une vue de face, l’autre de dos, ou alternativement selon les « mouvements »), commentent ce que l’on vient de voir « à la télévision », thématisant la télévision et une alternative critique possible, qui est ici directement incarnée. Dans le septième « mouvement », le dialogue des présentateurs TV propose un enchaînement entre la carte postale, le paysage, l’usine et la terre expropriée, qui sont ici rapportés à la télévision et la publicité :

(Homme) Alors ? (Femme) En voyant ça, j’ai pensé à quelque chose et j’essaye de me souvenir quoi. (H) La mémoire, tu penses que ça ressemble à un paysage ou à une usine ? (F) Un peu les deux. (H) Et faire de la télévision ? Bon, il faut s’arrêter, c’est l’heure de la publicité. (F) Pourquoi il y a de la publicité ? (H) Ça, c’est une autre histoire.

Sans que celles-ci n’interviennent selon un ordre déterminé, Godard et Miéville utilisent des images d’archives, représentant souvent des figures politiques et des événements de guerre, qui tantôt illustrent les propos, tantôt entrent en contradiction avec ceux-ci. Dans le deuxième « mouvement », une séquence d’archives est inscrite dans la révélation d’une photographie par processus physico-chimique — qui dure une minute quarante et est représentée durant ce laps de temps à l’écran. Durant le temps de la révélation, souligné par un chronomètre, la speakerine évoque le parallélisme entre le cadre, l’encadrement de l’image et la propriété. Cette photographie, précise la présentatrice, a disparue pendant trente ans avant d’être à nouveau retrouvée et mise en circulation. Représentant sans doute un prisonnier russe encadré par deux gardiens soviétiques, à l’instar de 20 millions d’autres prisonniers morts dans ces geôles, cette photographie, qui a été oubliée, une fois réapparue, éclipse toutes les autres qui occupent sa place dans la chaîne de l’histoire. Cette photographie est mise en relation avec d’autres images de conflits militaires et politiques, où l’on voit apparaître des chefs d’États, dont Mao et Pinochet, et des exactions commises contre la population civile, notamment au Vietnam. À travers une image s’en dessinent d’autres : cette idée qui structure l’ensemble de l’émission passe par différents procédés d’emboîtement des images, ici par simple montage et succession.

Enfin, le noyau de l’émission repose sur l’entretien systématique de Camille ou d’Arnaud, occupant alternativement le centre des « mouvements », suivant un dispositif qui rappelle la situation de l’interview télévisuel tout en mettant radicalement en cause le discours du spécialiste : l’enfant est filmé frontalement ; Godard-Linard, qui intervient en voix-over, pose des questions qui dissimulent autant de pièges. Le reporter s’adresse aux enfants selon un procédé que l’on pourrait qualifier de maïeutique, c’est-à-dire l’art de faire accoucher les idées et de révéler l’histoire qui les détermine (« pas son histoire à elle […] mais elle qui viendrait d’une histoire »). Selon la même logique du détour ou du détournement, la destination du livre pédagogique Le Tour de France par deux enfants se voit ici inversée, renversée : il ne s’agit plus de s’adresser par un manuel à des enfants, mais d’utiliser la parole de deux enfants pour s’adresser à des adultes considérés comme autant de « monstres » et dont la parole est mise à l’épreuve. En effet, les deux enfants mis en scène, dirigés, interrogés par Godard-Linard héritent d’une histoire qui n’est pas la leur. L’interrogation de l’intervieweur scinde la parole de l’enfant entre une voix propre : celui ou celle qui écoute et répond, et une autre voix qui vient d’une autre histoire et qui surdétermine l’histoire de l’enfant. La logique demeure celle d’un surgissement d’une image dans une autre (ou d’une histoire, d’une temporalité, dans une autre, d’un espace dans un autre) qui la dissimule, et que Godard et Miéville veulent révéler et mettre au jour. Dans le premier « mouvement », Godard et Miéville thématisent entre autres le statut de l’existence de l’image de soi, en s’adressant à Camille par une série de questions insistantes, jusqu’à devenir perturbantes. L’interrogation porte principalement sur l’image que la fille voit d’elle-même dans le miroir, sur son existence, sa perception, le dédoublement entre son « moi » et son « image » reflétée, et la relation qu’elle entretient avec cette image construite, dupliquée, médiatisée (Fig. 11). Ce que cherche Godard en tant qu’intervieweur qui s’immisce dans une situation à laquelle il n’est pas invité à participer, c’est à faire le lien entre la perception de soi, l’image du moi reflétée sur un miroir qui la dédouble, et le statut existentiel des images, en particulier lorsqu’elles passent à la télévision et que les spectateurs les considèrent et les jugent, postulant selon des conventions bien établies que l’image est réelle, et que je suis le même et non pas un autre — alors que précisément l’enjeu consiste à exhiber l’autre en soi : « je est un autre », voire un monstre.

Godard et Miéville, dans le cadre de la société de production Sonimage, ne mobilisent pas l’étymologie du terme « vidéo » (video : « je vois », en latin), alors que les jeux de mot sont omniprésents dans leur travail (ne serait-ce déjà qu’à partir du nom de leur SÀRL : son image, à elle, à lui ; son + image ; Sony mage). Cependant, la télévision et l’investissement de l’outil vidéo en tant que forme possible d’intervention dans le champ social et politique — ou tout simplement en tant que forme de guérilla — n’en demeurent pas moins déterminants à cette époque, ici et ailleurs (voir par exemple la pratique de collectifs de vidéastes aux États-Unis qui répondent aux préceptes de la « Guerrilla Television », dont les activités sont suivies et discutées dans la revue Radical Software). Dans « Penser la maison en termes d’usine », Godard affirme son intérêt pour la vidéo en tant que medium : « Parce que je vois tout de suite l’image sur l’écran. »34 Le partage entre la vidéo légère et le cinéma passe aussi par cette restitution immédiate de l’image sur l’écran, sans délai et presque sans médiation. Cette immédiateté propre à la technologie de la vidéo donne à repenser la réception des images et des sons. Avec la vidéo, l’écart et la relation entre le tournage et la projection, spécifiques au cinéma, sont abolis : la restitution de l’image est immédiate, suivant le principe de la rétroaction, du feedback. Godard oppose à nouveau, suivant un déterminisme technologique cette fois, la posture de l’amateur et la position du professionnel :

Au lieu de partir du cinéma professionnel, partons du cinéma amateur […]. Mais faisons-le autrement. Numéro deux, par exemple, c’est un film d’amateur, c’est un film de famille. Sauf qu’il n’est pas diffusé où il est, où il devrait l’être.

L’amateur pratique un cinéma autonome (c’est là explicitement le sujet d’un épisode de Six fois deux, centré sur un ouvrier de l’horlogerie, cinéaste amateur à ses heures non rémunérées). Il n’est pas tributaire des contraintes liées à l’exploitation, à la diffusion commerciale. Godard précise qu’il a investi pour Numéro deux « deux millions de nouveaux francs en matériel vidéo, caméra, auditorium d’enregistrement et de mixage »35. La technologie vidéo lui permet une autonomie de production, qui rompt avec la professionnalisation du cinéma : autrement dit, une autre économie de pensée36.

Dans le projet de Sonimage, la télévision publique est investie utopiquement comme le lieu de la famille et de la proximité, contrairement à ce à quoi elle se réduit le plus souvent (c’est-à-dire un medium qui accapare et gère l’économie domestique). Il faut toutefois préciser le contexte dans lequel s’inscrit le projet Sonimage. Quand Godard et Miéville s’installent à Grenoble, cette ville est un lieu pionnier d’expérimentation sur la télévision locale. En effet, le nouveau quartier de la Villeneuve est le centre d’une chaîne de télévision communautaire qui produit et diffuse des émissions qui portent sur la vie du quartier, et qui sont réalisées par ses protagonistes mêmes (voir l’émission Vidéogazette, 1972 – 1976)37. Mais l’enjeu, pour Godard et Miéville, ne se limite pas à une pratique de quartier, à un investissement simplement local ou régional : leur ambition consiste à intervenir au sein même de la télévision publique en diffusant directement leurs émissions sur les chaînes nationales et officielles, à partir de cassettes U-Matic (celles-ci, sur un pupitre de montage, prennant le relai de la bobine argentique et du cliché de sa matérialité, de sa manipulation sur une table de montage, comme on le voit dans les génériques de Six fois deux). Ce sont les chaînes publiques — Antenne 2, FR3 — qui deviennent le nouveau lieu du lien social et de la communication. Le deux, l’entre et le et 38apparaissent ici comme le motif central, en ce sens qu’ils deviennent le lieu de l’altérité et de la dualité.

1 Voir la thèse de Michael Witt (On Communication : The Work of Anne-Marie Miéville and Jean-Luc Godard as « Sonimage » from 1973 to 1979, PhD, Université de Bath, 1998) et l’article de Irmgard Emmelhainz dans le présent dossier (« Les expériences de journalisme audiovisuel de Sonimage, ou les nouvelles formes du politique en lien avec le visuel »).

2 Voir Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l’homme, traduit par Jean Paré, Tours/Paris, Mame/Seuil, 1968.

3 Fritz Mauthner se réfère aux propos de Max Stirner (dans L’Unique et sa propriété, traduit par Robert L. Reclaire, Paris, Stock, 1899) sur les illusions du langage : « Pour Stirner, comme l’écrit Mauthner, toutes les abstractions, les vérités, les idéaux, à vrai dire tous les grands mots sont des fantômes haïssables. » (Fritz Mauthner, Le Langage, préfacé et traduit par Jacques Le Rider, Paris, Bartillat, 2021, p. 131). Mauthner poursuit en citant la parole célèbre de Stirner, selon laquelle la coïncidence entre le mot et la chose relève de la croyance religieuse : « Digère l’hostie et tu en seras débarrassé ». Et il en déduit un scepticisme généralisé du langage : « Digère le langage et tu en seras débarrassé ; digère le logos, avale le mot. » (Ibid.) Godard se réfère explicitement à Mauthner : voir Stéphane Delorme et Joachim Lepastier, « Ardent espoir. Entretien avec Jean-Luc Godard », Cahiers du cinéma, nº 579, octobre 2019, pp. 8 – 20 ; Dmitry Golotyuk et Antonina Derzhitskaya, « Jean-Luc Godard, morale archéologique », Débordements [revue en ligne], septembre 2017, debordements.fr.

4 La société de production Sonimage est inaugurée sous forme d’atelier à Paris en 1972 ; en 1973, relocalisée à Grenoble, elle prend la forme d’une société à administrée par Anne-Marie Miéville ; en 1973, elle est déplacée à Rolle, où elle poursuivra ses activités jusque dans les années 1980 (avant de laisser place à JLG Films).

5 Voir l’entretien que nous a accordé Pierre Binggeli dans le présent dossier.

6 Voir Jean-Luc Godard et alii, « Genèse d’une caméra », Cahiers du cinéma, nº 348 – 349, juin-juillet 1983, repris dans Alain Bergala (éd.), Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard. Tome 1, Paris, Cahiers du cinéma/Éditions de l’Étoile, 1998, pp. 519 – 557.

7 Rappelons que Godard est l’un des premiers cinéastes en France à acquérir un Portapak Sony, en 1969. Voir Hélène Fleckinger, Cinéma et vidéo saisis par le féminisme, France 19681981, PhD Thesis, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, 2011. Précisons que Godard et Miéville, comme par ailleurs Carole Roussopoulos, ne s’inscrivent pas dans le champ de l’art vidéo (sur ce champ, voir le projet de recherche collaborative international en cours soutenu par le FNS et l’ANR : « Émergence de l’art vidéo en Europe », conduit par F. Bovier depuis l’ECAL/HES-SO et Grégoire Quenault depuis l’Université Paris 8).

8 Le nouveau gouvernement indépendant du Mozambique cherche à développer une télévision nationale. Ils invitent en 1978 Jean Rouch, qui met en place des ateliers Super-8. Godard, également invité en 1978, apporte son matériel vidéo ; le projet se solde par un échec. Un rapport est publié, qui sera repris dans le numéro 300 des Cahiers du cinéma, dirigé par Jean-Luc Godard. Ruy Guerra finalisera cette nouvelle télévision nationale, en recourant au tournage en 16mm et 35mm. Voir Daniel Fairfax, « Birth (of the Image) of a Nation: Jean-Luc Godard in Mozambique », Film and Media Studies, nº 3, 2010, pp. 55 – 67; Manthia Diawara, « Sonimage in Mozambique », dans Gareth James et Florian Zeyfang (éd.), I Said I Love. That Is the Promise. The TVideo Politics of Jean-Luc Godard, Berlin, œ + b_books, 2003, pp. 93 – 123.

9 La série est produite par Michel Raux et Stéphane Tchalgadjieff.

10 La série est produite par Marcel Jullian, directeur d’Antenne 2. Le budget est de 2,6 millions de francs.

11 La série est produite très rapidement, en deux mois : « En juin 1976, Manette Bertin est contactée en catastrophe par Maurice Cazeneuve, nouveau directeur de FR3 : il lui faut six émissions de deux heures à diffuser en soirée chaque dimanche dans la grille d’été, fin juillet et août, sept semaines plus tard. Avec le président de l’INA, Michel Roux, Manette Bertin revient alors d’un voyage à Grenoble, où Godard et Miéville leur ont montré Ici et ailleurs, Comment ça va et leur matériel vidéo U-matic Sony dernier cri. Pour Manette Bertin, seul Godard peut produire dans l’urgence une partie du programme. Elle lui propose donc de réaliser une ou deux émissions. C ’est l’époque dorée où, tant à l’INA que dans les télévisions publiques, les programmateurs, affranchis de la tutelle de l’ORTF, n’ont pas encore peur de l’innovation ni de passer commande à des artistes indépendants. […] Sonimage reçoit ainsi 180’000 francs par film de FR3 et de l’INA, soit plus de deux millions pour dix heures d’émission, ce qui est important pour Godard mais raisonnable pour un programme de cette ampleur sur la chaîne de télévision publique. » (Antoine de Baecque, Godard : biographie, Paris, Grasset, 2010, pp. 505 – 506.)

12 La série est d’abord diffusée au Festival de Rotterdam en janvier 1979, puis au Centre Pompidou le 3 mai 1979. Maurice Ulrich a remplacé Marcel Jullian à la direction d’Antenne 2 et n’est guère intéressé par l’émission de Godard et Miéville. La diffusion était initialement prévue pour les vacances de Noël 1977, mais le projet prend du retard et n’est présenté aux responsables d’Antenne 2 qu’en avril 1978. Les commanditaires, déçus (ils attendaient une fiction en costumes), diffèrent sa diffusion — qui a finalement lieu à partir du 4 avril 1980, dans le cadre du ciné-club présenté par Claude-Jean Philippe, sur une plage de quatre semaines, à 23 heures (avec trois épisodes chaque soir).

13 « Il y avait aussi la logique du livre dont on s’est inspiré : Le Tour de France par deux enfants, qui est un fourre-tout très organisé, avec des gens qui passaient d’un endroit à un autre, et qui rencontraient les problèmes du moment… C’est pour ça que le livre a eu un tel succès à l’époque. Il a été ressenti probablement comme une série de télévision. C’est un livre à images, qui a une structure romanesque, tout en étant très libre. » (« La chance de repartir pour un tour », entretien réalisé par Claude-Jean Philippe, Les Nouvelles littéraires, 30 mai 1980, repris dans Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, Tome 1 (19501984), op. cit., p. 410.

14 Comme le note Aline Garin (« Le Tour de la France par deux enfants de G. Burno et ses adaptations cinématographiques et télévisuelles », Sociétés et représentations, nº 42, février 2016, pp. 145 – 155), ce manuel scolaire a fait l’objet de différentes adaptations pour le grand écran ou la lucarne de la télévision : Le Tour de France par deux enfants, film à épisodes (il y en a cinq) de Louis de Carbonnat pour Pathé en 1924 ; un feuilleton en 39 épisodes de William Magnin sur une adaptation de Claude Santelli pour la RTF tourné en 1957 – 1958 ; une lecture illustrée de l’ouvrage par Claude Rich dans le cadre de l’émission de FR3 Un comédien lit un auteur en 1979 ; et bien entendu l’émission de Godard et Miéville.

15 L’actrice Evane Hanska joue également le rôle de la cantinière dans le quatrième épisode.

16 « Au lieu de dire ‹ les êtres humains ›, j’ai dit : ‹ les monstres ›. » (Jean-Luc Godard, « La chance de repartir pour un tour », entretien réalisé par Claude-Jean Philippe, op. cit.)

17 Robert Linhart, L’Établi, Paris, Minuit, 1978.

18 Jean-Luc Godard : « L’émission, c’est la France. Une France de quartier, un quartier de la France, comme on pourrait dire un quartier de la lune. C’est un travail sur la langue française, comme un recueil de chansons d’autrefois : pas le tour de la langue française mais le tour des expressions. Systématiquement, j’ai interrogé les gamins en disant ‹ Ou bien, ou bien… › Ça devient du Descartes, du Aristote. On les mettait dans une situation où chacun était obligé de faire un choix, pour qu’on puisse voir son invention du langage, sa capacité de décision, sans réfléchir longtemps. La télévision permet ça, et le cinéma devrait pouvoir en tirer profit : se vivre et se voir à la télévision, on peut en faire des histoires. » (Propos recueillis par Claire Devarrieux, « Se vivre, se voir », Le Monde, 30 mars 1980.)

19 La posture de l’idiot est récurrente chez Godard. Sur ce point, voir Dominique Païni, « Leçon de cinéma », conférence prononcée en 2004 et reprise dans le DVD dirigé par Alain Fleischer, Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard, Éditions Montparnasse, 2010.

20 Cette pratique de la commande détournée est déjà au centre du Groupe Dziga Vertov, animé par Godard et Jean-Pierre Gorin. Néanmoins, et à la différence de l’aventure de Sonimage, les commandes obtenues (au gré de la valeur symbolique du nom-de-l’auteur Godard) ne seront pas ­diffusées à la télévision (British Sounds, 1969, est une commande de la télévision britannique, Pravda, 1970, une com­mande de la télévision tchéco­slovaque, et Luttes en Italie, 1971, une commande de la RAI).

21 Ludwig Wittgenstein, Le Cahier bleu et le Cahier brun, traduit par Marc Goldberg et Jérôme Sackur, Paris, Gallimard, 1996 [Preliminary Studies for the Philosophical Investigations, édité par Rush Rhees, Londres, B. Blackwellk, 1958].

22Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, vol. 1 (19501984), op. cit., p. 390.

23 Les dialogues de la série sont en partie retranscrits dans Jean-Marie Touratier et Daniel Busto (éd.), Jean-Luc Godard : Télévision/Écritures, Paris, Galilée, 1979.

24 « Mais la langue ne sera jamais le langage ». Cette phrase, dont nous ne connaissons pas la première occurrence, revient de manière récurrente, et apparaît encore dans le dernier long métrage de Godard, Le livre d’image (2018).

25 Jacques Rancière, Le Maître ignorant, Paris, Fayard, 1987.

26 Gilles Deleuze, « À propos de Sur et sous la communication. Trois questions sur Six fois deux », Cahiers du cinéma, nº 271, novembre 1976, pp. 5 – 13.

27Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, vol. 1 (19501984), op. cit., p. 399.

28Idem, p. 388.

29 Georges Perec, « Les lieux d’une ruse », dans collectif, La Ruse [Cause commune, 1977/1], Paris, Union générale d’éditions, 1977, pp. 77 – 88.

30 Premier mouvement : la fille ; deuxième : le garçon ; troisième : la fille ; quatrième : le garçon ; cinquième : le garçon ; sixième : la fille ; septième : la fille ; huitième : le garçon ; neuvième : la fille ; dixième : le garçon ; onzième : la fille ; douzième : le garçon.

31 Michel de Certeau, L’Invention du quotidien. Tome 1 : Arts de faire, Paris, UGE, 1980.

32 Voir les documents reproduits dans le présent numéro. Ce script, à l’entête de Sonimage (avec pour ancrage Neuilly ou Rolle), est très précisément suivi par les acteurs, mais ne concerne que leur parole. Par ailleurs, nous n’avons pas retrouvé de scénario ni de découpage pour l’ensemble des émissions.

33 Bernard Lambert, Les paysans dans la lutte des classes, Paris, Seuil, 1970.

34 Jean-Luc Godard, « Penser la maison en termes d’usine », Libération, 15 septembre 1975, repris dans Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, vol. 1 (19501984), op. cit., p. 380.

35 Soit environ 350’000.– francs suisses en 1975. Guy Braucourt, « Numéro deux », Écran 75, nº 41, novembre 1975, p. 52.

36 « J’ai trouvé la vidéo intéressante parce qu’elle permet de reparcourir la chaîne à bon marché : de la caméra au téléviseur, il n’y a qu’un fil, c’est plus facile qu’au cinéma… […] À Grenoble, nous avions le matériel vidéo. Le but c’était de faire du cinéma de télévision, de type municipal, indépendant, aux moindres frais. Avec une image irréprochable. Je tenais à prouver que c’était possible. Tout a été enregistré sur vidéo et reporté sur film parce qu’on ne pouvait pas diffuser directement cette production ». (Jean-Luc Godard, « Penser la maison en termes d’usine », op. cit.)

37 Voir Alfred Willener, Guy Milliard et Paul Beaud, Télévision locale et animation urbaine, Vevey, Delta, 1976.

38 La copule et apparaît, sous une forme sculpturale (deux lettres de bois blanc), dès le premier film réalisé à l’enseigne de Sonimage, Ici et ailleurs (1970 – 1974).