Nicolas Bouvier, 22 Hospital Street (Christoph Kühn, 2005)
Dans Le Poisson-scorpion, Nicolas Bouvier exprime son angoisse de ne pouvoir communiquer son expérience existentielle du voyage comme « leçon d’humilité » avec ceux qui ne l’auraient pas vécue. C’est de cette irréductible frontière entre extériorité et intériorité dont le cinéaste Christoph Kühn traite dans son film. Pour découvrir l’écrivain-voyageur, Kühn filme le témoignage de ceux qui l’ont côtoyé et fait entendre la mélodie particulière de son texte. Sur le fond oppressant d’un monotone ronron de ventilateur et d’images de scorpions et d’insectes, la diction lente et tremblante de Bruno Ganz (Jean-Luc Bideau pour la v.f.) susurrant le texte de Bouvier nous fait littéralement plonger dans le corps et l’esprit malades de l’écrivain. Paradoxalement, alors que le texte à la première personne s’incarne dans cette voix, celle-ci tend à signifier la désincarnation, la dépossession de l’homme par lui-même ; quelque chose de la perte d’identité dont parlait Bouvier. L’alternance de ce type de séquences avec les interviews des proches qui offrent un regard extérieur sur l’écrivain dialectise la relation complexe qu’entretiennent l’intériorité et l’extériorité dans l’œuvre de Bouvier.