Alain Boillat

Micha ou la Révolution des roses (Christian Zeender, 2004) et Le Soleil orange (Piotr Jaxa, Hanna Polak, Urszula Lesiak, 2006)

Les programmateurs des Journées de Soleure ont eu l’intelligence de regrouper, au sein d’une même séance, deux documentaires traitant de façon antinomique d’un sujet similaire : un soulèvement populaire qui, dans un pays de l’Est, a récemment permis d’imposer des changements majeurs sans effusion de sang. Il s’agit d’une part de la « Révolution des roses » qui a fait suite aux élections truquées de Chevardnadze en Géorgie (novembre 2003), d’autre part de la « Révolution orange » ukrainienne de décembre 2004. Alors que le film de Zeender suit l’ascension du futur président Mikhael Saakachvili dit « Micha », intellectuel qui nous explique en français les tenants et les aboutissants de son action politique, Le Soleil orange nous fait partager le quotidien et la vision du monde d’une paysanne de condition modeste qui, enthousiaste, quitte son village pour participer à la manifestation de Kiev. Les deux films optent donc pour une même dimension biographique, mais offrent un point de vue radicalement différent en choisissant de médiatiser notre accès aux événements par des personnages diamétralement opposés : l’un fait l’histoire, l’autre la subit. Or c’est étonnamment dans la naïveté même des espérances sincèrement formulées par la paysanne que l’on obtient une meilleure compréhension de la situation, non pas au niveau factuel mais sociologique. En se solidarisant avec les actions du chef d’Etat, le film Micha – dont le titre révèle la proximité établie avec son objet – suit un parcours balisé, planifié par le politicien dont il fait l’éloge, se contentant de connoter à quelques reprises (notamment dans des plans sur les nombreux gardes du corps qui l’accompagnent) d’éventuelles fissures dans cette prise de pouvoir modèle. En demeurant à la périphérie de la capitale et de la grande histoire, Le Soleil orange relativise par contre la portée effective des événements sur la vie de tous les jours de l’Ukrainienne : la manifestation est certes un moment important de son existence – à Kiev, les couleurs du film disparaissent au profit du noir, du blanc et de l’orange, ce qui irréalise l’action collective –, mais le beat sur lequel dansent les manifestants s’arrête brusquement pour faire place aux coups de marteau du forgeron affûtant la faucille de la paysanne qui, de retour dans son village, continue sa vie de labeur. En saisissant avec tact les menus instants et les confessions d’une dame âgée qui, façonnée par les valeurs du communisme, clame fièrement une conception de la société à laquelle elle tient, les auteurs du Soleil orange livrent un témoignage intéressant sur le devenir actuel de la population des pays de l’ex-URSS.