La Petite dame du Capitole (Jacqueline Veuve, 2005)
Le dernier moyen métrage de la documentariste Jacqueline Veuve est consacré à Lucienne Schnegg, octogénaire attachante qui entretient une relation presque maternelle avec la salle de cinéma qu’elle gère depuis plus de cinquante ans. Petite dame dans un grand navire dont elle tente de maintenir la barre de gouvernail (ainsi qu’elle le dit en manipulant la chaufferie archaïque du lieu) contre les vents et marées des (deux) grands groupes qui, quasi monopolistiques, menacent de le faire chavirer. En effet, le Capitole est l’un des derniers cinémas « indépendants » – au sens de sa gestion, non d’une politique de programmation puisque les films y sont les mêmes qu’ailleurs (de surcroît en version française uniquement) – de Lausanne, ville qui a vu en peu de temps ses plus belles salles disparaître au profit de la rationalisation des multiplex. Jacqueline Veuve ne traite pas frontalement la question de la nouvelle donne de l’exploitation cinématographique, car elle se tourne plutôt vers le passé de son « personnage » et de la salle, recourant notamment à des images d’archives et à des citations de films. Dans un discours teinté d’une nostalgie toute compréhensible, les intervenants évoquent la fréquentation faramineuse de l’époque de l’Age d’or d’Hollywood. La plus grande salle de Lausanne (elle comptait à l’époque 1100 places) se faisait le lieu de rencontre des cinéphiles puisqu’on projetait sur son imposant écran les productions américaines de l’après-guerre. Intimement intriquée à l’historique de la salle, la vie de la « petite dame du Capitole » est dépeinte avec tendresse, notamment dans les difficultés qu’elle doit surmonter aujourd’hui au quotidien, par exemple en conjurant par le chant la peur qu’elle ressent en parcourant la salle vide et sombre après la projection. La somme d’anecdotes recueillies dans le film de Veuve révèle l’importance que peut revêtir une histoire de l’exploitation cinématographique, d’autant plus à une époque où de nombreuses mutations sont en marche qui nous font prendre conscience que le rituel des salles obscures, lui-même soumis à des variations dont ce documentaire rend compte à travers un demi-siècle, risque peut-être de n’être qu’un état éphémère du « cinéma » dans l’histoire des images animées.