Ma nuit avec toi
Ma nuit avec toi1
la valse des prénoms
sur ton je le soir
où je sortais avec
Nadine de l’hôtel
je filmais sans le
savoir ton film
Chantal aux
allures de gare
galerie des prénoms :
Marilyn et Babette
et Delphine dans un coin
Aurore Michèle Hélène et toutes les autres
musique des noms
des langues mortes dans la synagogue
musiques des morts et des mots ressassés
ressuscités en mélopées
saute saute ma fille
à la corde et sur le gaz
de ville
en yiddish écartelée
des témoignages absents
tu ris tu vois
tu renverses aussi le sucre
et tu chantes à qui mieux mieux
sur les gâteaux mangés
me hantent toujours les corps lestés
et les images perdues
de la Jeanne du quai
aux abords pathétiques du canal
le son de ma nuit avec toi
Sonia Samy
dans le restaurant de la gare
sous les grues menacées
de la Côte d’Or
à la mer du Nord
dans la chambre d’hôtel aux entrées magnifiques
le café des acacias
l’odeur du quartier juif
de notre enfance
le tour du bloc le soir
les pas feutrés dans la rue de Fiennes
dans la rue des Fabriques
et dans le quai du Commerce
à Bruxelles
les quolibets et les moqueries
sans te soucier du scandale
tu avançais souvent
dans ta nudité
et ton courage
dans l’odeur du cuir de la fourrure
de nos parents
force est
de la sombre Histoire à faire surgir la
beauté de la mère
la famille l’argent
le film
et tout de la terrible amour
de la soeur et la mère
des villes les noms défilent
du bal les violons
les mariages sans regrets
secrets en pays étranger
Fatiguée et morose
mais encore combative
narrative romantique
capable de ne pas s’arrêter
en difficile Allemagne
après Auschwitz évidemment
cinéma difficile
avant même après Snow Mekas
de Knokke à Londres de New York à Paris
de Mexique en Pologne le défilé des villes
à l’est au nord au sud au loin
Moscou Varsovie
tout près de nous
après Zapata, après Castro, après Hitler, après Eisenstein
après Riefenstahl après Singer après Varda zut
et d’yeux dit
que c’était bien
même si on n’y croyait plus
alors on respire
mai 68 les pavés
et la respiration maniaque
fait surgir les images
et le flot de paroles
en dépression masquée
déguisée
à l’excès
un son de violoncelle
le cinéma de Chantal
est là
en signes nets
de l’entêtement
B.L.
29 février 2004
P.S. :
Ce n’est pas une vie
de rester seule
surtout pour une fille
tu veux rire
la vie on ne sait pas quand elle s’arrête
ton corps est en mouvement
tout le temps
jusqu’à l’indécence
et se résume
au rendez-vous d’amour
corps qui chante
et qui transpire
fatigué
exhibé
obscène
Anna la vagabonde
grande réalisatrice – quel beau métier ! –
confinée dans l’espace de la chambre
la chambre d’hôtel près de la gare
l’hôtel à Cologne
à New York
Monterey à Bruxelles
ce n’est pas vrai
aime-moi
et de l’encadrement de la fenêtre
les paysages déserts
à l’est et à l’ouest
si loin si proches
parlent de leur blessure
l’histoire des hommes est dans la pierre
est dans l’image
des rendez-vous d’amour
à bord d’une voiture
ou d’un avion
l’errance circulaire
des interminables attentes
des corps en exil
qui vont de l’autre côté
là-bas en Amérique
l’éden et la misère
m’indiquent le chemin
oui mon amour embrasse-moi
remplis mon vide de tes paroles
parle parle avec moi
avec tes mots
des portes coulissantes qui s’ouvrent et se referment
des pas dans les couloirs
des ascenseurs qui montent et qui descendent
il va elle va
elle va il la suit
insistant
jusqu’à épuisement
aime-moi
mais le disque s’arrête
et le répondeur répond
(moi j’essuie des verres)
le téléphone a sonné
il vient elle n’est pas là
elle est loin elle écrit
comme un sang qui circule
et s’en va
élégie
Anna
encore toi
laissant le soin aux films
de te
de me décrire
tendresse et transgression
dans la chambre insolente
sous l’oreiller le cri
l’argent dans la soupière
un cadeau dans la main
et un meurtre dans l’autre
où es-tu
jusqu’à l’infini monologue
je t’attends
qui répètes encore une fois
comme on prie
longtemps
attends
encore
attends
attends plus lentement
jusqu’à l’arrêt.