Richard Langston, François Bovier

Sous le signe de la fourmi. 

Orphea (2020) la patriote de Kluge et Khavn, ou la quête d’un biopouvoir total1

Il serait vain d’envisager l’un des quatorze longs-métrages réalisés par Alexander Kluge entre 1966 et 1986 comme le couronnement de son œuvre cinématographique, chaque film constituant une expérimentation à part entière, un « work in process » empruntant la forme de l’essai et que Kluge réinterprète inlassablement en le refondant à travers d’autres mediums tels que la prose, la théorie sociale, l’émission télévisée, la vidéo en ligne ou encore l’exposition ponctuelle dans un musée. La hiérarchie induite par un tel jugement de valeur encourt le risque d’oblitérer le fait que les films de Kluge ne font sens qu’en tant que points nodaux au sein d’un vaste réseau de relations que constitue son œuvre. Mobiliser la logique temporelle du progrès n’est ici d’aucune utilité, car le point de départ d’un de ses films, par exemple, peut en fait s’enraciner dans une œuvre à venir. Suivant une perspective diamétralement opposée, c’est-à-dire en envisageant le travail de Kluge comme un réseau d’œuvres interconnectées (indépendamment de leurs supports respectifs) qui s’auto-affectent, la richesse de l’ensemble de ces points de contacts qui se déploient à travers une histoire de plus de soixante ans nous apparaît avec évidence. Pour éviter toute équivoque, il nous faut préciser que ce réseau ne s’apparente pas à une séquence épique de récits interdépendants formant un ensemble. Kluge se considère avant tout comme un conteur ; ses récits, à l’instar de ses travaux filmiques et vidéographiques les plus abstraits, donnent forme à une pensée sensuelle – à une intuition [Anschauung] dans le sens kantien du terme – mise au service d’une réflexion qui s’articule à la possibilité de l’action politique dans la vie quotidienne2. Prenons, par exemple, le long-métrage Die Patriotin (La patriote) qui remonte à septembre 1979. D’un point de vue distancé, le film met en scène une professeure d’histoire jouée par Hannelore Hoger, la patriote qui donne son titre au film ; celle-ci est à la recherche de preuves qui permettraient de transformer le cours tragique de l’histoire violente de l’Allemagne en une finalité plus heureuse. N’incarnant ni une apologiste naïve ni une révisionniste nationaliste qui caractérisent le désastreux Sonderweg allemand, Gabi cherche à racheter le désir et ranimer l’élan de ses compatriotes désinvestis, à savoir leur volonté futile d’échapper aux conséquences mortifères de l’histoire allemande qui demeure très largement façonnée par le cours inéluctable du capitalisme au sein d’une Europe centrale enclavée. À cet égard, Heinrich Heine, le poète juif-allemand en exil, anticipe au plus près le patriotisme de Gabi, en particulier lorsqu’il associe les idéaux humanistes inachevés de la Révolution française à la notion d’un patriotisme universel qu’il entend développer3. Mais à examiner le film de Kluge de plus près, celui-ci s’apparente à un montage vertigineux de près de 800 plans composés d’images fixes, de matériaux trouvés et de métrage original qui sont articulés à une bande sonore associant la voix-over si caractéristique de Kluge à des compositions de Hanns Eisler, Ludwig van Beethoven et Jean Sibelius, pour ne citer qu’eux. En regard de la dimension compensatoire de la narration du film dans sa structure macroscopique et de l’afflux de points de détails microscopiques, par où pouvons-nous commencer à retracer le réseau de relations qui constituent Die Patriotinen un film que Kluge lui-même a un jour qualifié de bric-à-brac ?

À l’origine, Die Patriotin voit organiquement le jour à partir du court-métrage « Gabi Teichert » que Kluge a intégré à Deutschland im Herbst (L’Allemagne en automne), un film à épisodes de 1978. Le long-métrage Die Patriotin fait explicitement référence au récit phare et semi-autobiographique de Kluge « Der Luftangriff auf Halberstadt am 8. April 1945 » (Le raid aérien sur Halberstadt le 8 avril 1945), publié pour la première fois en 1977. Certaines des séquences originales du film font référence à Abschied von gestern (Anita G.), constituant les premiers pas de Kluge dans le cinéma, couronnés en 1966 par un Lion d’or à la Mostra de Venise ; d’autres séquences renvoient à ses expérimentations à partir de la science-fiction. Son discours de réception au printemps. 1979, à l’occasion de la remise du prix Fontane, tout comme les idées qu’il a développées avec le philosophe et sociologue Oskar Negt à partir de l’automne 1978 en vue de leur magnum opus, Geschichte und Eigensinn (Histoire et obstination), ont également joué une importance décisive pour la réalisation du film. Publié quelques mois seulement après la sortie de Die Patriotin, le livre homonyme de Kluge consacré à ce film propose aux lecteurs et lectrices deux autres circonvolutions de récits : quatre-vingt pages de matériaux bruts qui ont servi à l’élaboration du film, ainsi que cinquante pages tirées des carnets (fictifs) de l’héroïne. Néanmoins, il paraît difficile de prolonger ce réseau au-delà de l’horizon d’expérience historique qui a déterminé la réalisation de Die Patriotin. Tourné dans le sillage de l’automne allemand de 1977, le terrorisme sur le plan intérieur allemand et la répression brutale de l’État conservateur ouest-allemand d’une part, la guerre froide et le spectre du fascisme allemand d’autre part constituent des forces de pression évidentes qui ont façonné la genèse du film ; cependant, il faut relativiser la pertinence de ces événements par rapport au travail assidu et inlassable de Kluge tel qu’il s’est développé au cours du nouveau millénaire. Jeter ne serait-ce qu’un simple coup d’œil à ses nombreux livres de fiction publiés depuis les années 2000, confirmera à quel point son imaginaire d’après-guerre froide est devenu global pour ne pas dire cosmique, et le peu de cas qu’il accorde aujourd’hui aux crises ouest-allemandes de la fin des années 1970. De toute évidence, ce sont d’autres régions du monde, telles que le Moyen-Orient, l’Asie, l’Afrique et la Russie, qui sont désormais au centre de ses écrits4.

Quant à la question de déterminer à quel point Die Patriotin est daté, Kluge a admis que l’objet du patriotisme de Gabi à la fin du XXe siècle apparaît de fait sous un jour fort différent au XXIe siècle. Le patriotisme incarné par Gabi doit gagner ses lettres de noblesse dans le monde néolibéral globalisé qui est le nôtre. Avant tout, il doit s’allier aux particularismes qui s’opposent aux forces centripètes de centralisation du capital mondial, tout en promouvant les souhaits exprimés par le film Die Patriotin et le livre qui l’accompagnait, à savoir la constitution filmique d’une communauté et d’un principe de coopération5. Il n’est donc guère surprenant que Kluge suive à cet égard Marx qui a autrefois expliqué que le processus de centralisation répondait à la loi de « l’attraction du capital par le capital », de sorte à ce que « le capital pourra grossir ici par grandes masses en une seule main, parce que là il s’échappera d’un grand nombre »6. Ces dernières années, le lieu que Kluge a le plus souvent associé à la centralisation du capital n’est plus l’Allemagne mais la Sillicon Valley. En se référant au mythe d’Ulysse, il a qualifié à plusieurs reprises l’industrie de la haute technologie qui s’est concentrée autour de la baie de San Francisco comme les « nouvelles sirènes » d’aujourd’hui, c’est-à-dire comme « des créatures mythiques occupant les périlleux récifs de la Silicon Valley ». « Nos désirs, poursuit-il, sont plus rapidement et mieux compris par les technologies de l’information que nous ne sommes capables de l’admettre ou de les entretenir nous-mêmes »7. En conséquence, les grandes firmes technologiques nous laissent démunis : leurs pouvoirs de compensation assimilent certaines forces libidineuses en nous, tout en excluant l’ensemble des autres8. Comme le sait quiconque connaît sinon maîtrise les médias sociaux, la centralisation caractérisant le capitalisme numérique (c’est-à-dire l’algorithme ou les plateformes) a intégré les principes de coopération et de communauté comme les maîtres mots de leurs interfaces. Cependant, cet état de fait qui pourrait apparemment réaliser les souhaits émis par Gabi émerge d’une contradiction, le mode de coopération et de communauté que la Silicon Valley encourage dévastant l’intériorité du sujet au lieu même où se loge le particulier. « De vastes organisations étrangères, écrit Kluge, liquident à travers leurs réseaux […] les tribus indigènes qui vivent parmi nous. »9 En d’autres termes, la Silicon Valey incarne pour Kluge une menace envers ce qui nous constitue en tant qu’êtres particuliers. « Ce qui constitue ma particularité, expliquent Kluge et Negt dans Histoire et obstination, c’est ce que je ne vendrai à aucun prix », comme, par exemple, « ma dignité, mon acre de terre, ma femme »10. Ainsi donc, la communauté ne se réduit pas à un simple agrégat d’individus. Les particularités d’une personne – ses caractéristiques, ses biens personnels tout comme ses relations intimes – se constituent en une communauté interne qui entre en négociation avec une communauté extérieure, ce que nous appelons la société. Dans Die Patriotin, les diverses relations que Gabi engage vis-à-vis de la société, et pour finir son expropriation de cette dernière, déterminent son obstination. (Conséquence inévitable de toute vie sous le joug du capitalisme, l’aliénation de son propre travail engendre invariablement l’obstination, germe de la résistance constituant l’une des deux conditions qui conduisent à la révolution. Dans le cas de Gabi, son obstination détermine sa recherche d’une histoire allemande plus patriotique.) Pour qu’une communauté de sujets puisse émerger, ma propre communauté composée de particularités multiples organisées économiquement autour de mon foyer et de ma demeure doit entrer en négociation avec d’autres communautés qui occupent leurs propres demeures. Qu’il suffise de relever que la Silicon Valey problématise, dans le meilleur des cas, la tenue de telles négociations.

Retracer l’héritage de Gabi Teichert – celle-ci se définit avant tout comme « une patriote de son propre labeur » qui se penche sur les morts de l’Empire allemand –, qu’impliquerait donc ce geste dans notre société actuelle en réseau ?11 À quel empire accorderait-elle son soutien patriotique, si tant est que l’un d’entre eux puisse trouver sa faveur ? Quels morts susciteraient son patriotisme ? Qui parmi les vivants seraient inclus dans son désir de communauté ? Quelles formes de travail seraient nécessaires à son patriotisme ? Où et comment exercerait-elle sa tâche patriotique ? Le retour inattendu de Kluge au format du long-métrage à partir de 2018 apporte des éléments de réponse à ces questions. Les spectateurs du film Orphea (Orphée, 2020), deuxième volet d’une trilogie réalisée par Kluge et le réalisateur de la nouvelle vague philippine Khavn, reconnaîtront immédiatement dès son générique les affinités thématiques de ce dernier film avec Die Patriotin. Sous-titré Apokatastasis panton d’après le fragment de 1715 de G. W. Leibniz portant sur la restitution de toutes choses, le film s’ouvre sur des cartons de titres annonçant le thème du « retour de tous les morts », de « l’utopie perdue » et du « monde souterrain » – qui sont tous au centre de la quête de Gabi d’une histoire plus heureuse – avant d’exposer le récit par une suite d’images. Conçu dans la tradition du film musical et de l’opéra rock, Orphée, qui a fait ses débuts à la Berlinale en 2020, réinvestit le mythe d’Orphée tel que mis en jeu par Jacopo Peri aux débuts de l’opéra avec son Eurydice (1600). « Il doit y avoir 88 versions différentes de l’opéra d’Orphée, a expliqué Kluge, mais son histoire se termine toujours de la même façon »12. Pour rompre le sort, Kluge et Khavn suivent Bob Dylan qui a conféré des pouvoirs orphiques à Eurydice dans sa chanson de 1965, « She Belongs to Me ». Dans le récit de Kluge et Khavn, une héroïne qui a un don de musicienne se substitue au héros tragique du mythe ; mais ceci n’intervient qu’après que son être antérieur autrefois nommé Eurydice meurt et renaisse sous le nom d’Orphée [Orphea]. Incarnée par Lilith Stangenberg, Orphée interprète sa musique irrésistible lors de bacchanales dans les bidonvilles de Manille et tombe amoureuse d’Eurydice [Eurydico] (Fig.2), le fils d’Apollon et Nosferatu, qui était autrefois connu sous le nom d’Orphée et qui travaille à présent en tant que prostitué gay dans un bordel russe de Manille. Alternant entre le mélange punk d’images éclectiques captées sur les lieux à Manille par Khavn et le montage incomparable de Kluge à partir d’image fixes, d’intertitres et d’interprétations d’Orphée tournées devant un fond vert dans son studio à Munich, le film, dont le récit est ouvert et non chronologique, s’organise autour de « neuf chansons d’amour et de l’enfer » en anglais, russe, italien et allemand. Après avoir fait preuve de ses pouvoirs par la musique en réduisant certains clients du bordel à l’effigie de poupées, nous voyons Orphée pratiquer son art (des tangos, des arias, des chansons pop) ; et nous découvrons rapidement qu’elle est une adepte du biocosmisme, ce mouvement fin-de-siècle russe dévolu à la création d’un biopouvoir total et contrôlé par l’État qui entend dominer la mortalité humaine par le biais de la technologie13. Après avoir appris la mort prématurée d’Eurydice [Eurydico], Orphée se fraie son chemin par le chant dans les enfers en vue de négocier son retour. Après lui avoir intimé en tagalog qu’elle n’avait rien à faire là-bas, elle est renvoyée et finalement éjectée des enfers par la reine des poux. Retournant les mains vides au pays des vivants, Orphée chante : « Je pleure un autre, je pleure pour cent sous, je pleure moi-même, je pleure pour les poètes. » À travers une lamentation qui s’adresse au monde entier où tout a un prix, Orphée se consacre à la science macabre du biocosmisme tout en dédiant sa chanson à la souffrance en tout lieu. À la fin du film, un cortège de morts attend de pouvoir traverser à nouveau le Léthé. Nous pouvons cependant entretenir un doute quant au triomphe du biocosmisme d’Orphée envers l’inévitabilité de la mort, car la ligne qui plonge dans le Léthé est dépourvue de mouvement.

Mais qu’est-ce qui subsiste exactement de Die Patriotin sous la nouvelle forme que revêt Orphea ? Qu’est-ce qui diffère historiquement d’un film à l’autre, et qu’est-ce qui est nouveau ? L’un des points de chevauchement le plus évident entre les deux films intervient lorsque Orphée la biocosmique manie à la main des outils ou avale des pages déchirées de livres dans son « atelier de réanimation des morts » (Fig.1 et 3). À l’image de la quête de Gabi qui récolte des matériaux bruts pour construire une nouvelle histoire de l’Allemagne, la recherche d’Orphée d’une immortalité humaine implique un travail artisanal qui revêt des proportions fantastiques si ce n’est grotesques, en particulier lorsque nous découvrons dans son atelier un amoncellement de cadavres (dont celui d’Eurydice), des fœtus pendus et des têtes coupées (y compris la sienne à un moment donné) (Fig.4). Dans son discours pour le prix Fontane déjà cité, Kluge fait l’éloge d’œuvres d’art engagées qui élaborent des récits portant sur la façon dont les conditions sociales abstraites dictent le cours et même détruisent des vies humaines concrètes. Pour avoir une efficacité réelle, de telles œuvres doivent mobiliser des outils qui sont à même de faire percevoir des forces abstraites. « Je suppose que le marteau et la faucille sont des outils dont on ne peut pas tirer grand-chose, note-t-il, quand ils sont appliqués aux relations entre les gens ou aux expériences sociales. »14 Considéré sous cet angle, le personnage d’Orphée non seulement partage avec Gabi une tendance à ignorer les outils perceptifs qui permettent de mettre en relief, voire de renverser les abstractions hégémoniques, mais encore (comme Gabi) elle n’a aucune maîtrise des forces auxquelles elle se confronte, la laissant impuissante. En fait, ce n’est qu’après avoir trouvé une explication plausible de la mort mystérieuse d’Eurydice [Eudydico] que nous comprenons qu’Orphée est en fin de compte l’hôte à travers lequel le vecteur du capitalisme numérique la contamine elle et son amant. Pour ce faire, nous devons nous attacher à des détails métaphoriques. Les fourmis sont omniprésentes dans Orphea. La séquence de montage qui ouvre le film se concentre sur une colonne de fourmis qui rampent le long d’une allée en pierre. L’animation image par image montre ensuite de grands insectes peints qui rampent sur les jambes d’Orphée et grouillent autour de sa tête. Faisant visiblement allusion au Chien andalou (1929) de Buñuel et Dali, un autre plan cadre des fourmis grouillant autour d’un trou dans la main d’Orphée (Fig.5). Une autre séquence d’animation représentant une fresque peinte d’Orphée nous la montre guitare à la main, attaquée de tous côtés par des insectes géants qui amputent ses mains et stimulent ses doigts sectionnés prenant des proportions gigantesques (Fig.6). Par la suite, nous voyons des peintures d’une figure masculine, probablement Eurydice, également infectée par ces mêmes créatures. Représentant clairement un ersatz de serpent dans la reprise du mythe d’Orphée, les fourmis dans Orphea ne renvoient pas à une infestation d’insectes réels. Elles sont bien plutôt une métaphore de ce que Kluge a associé ailleurs à la Silicon Valley, à son monde puissant d’algorithmes et d’intelligence artificielle, à sa capacité de supplanter le travail coopératif humain et faillible par des formes de coopération machinique beaucoup plus rapides et dépourvues d’erreurs (Fig.7), ainsi qu’aux effets débilitants que ces technologies exercent sur les questions qui sont au centre de Die Patriotin : c’est-à-dire la conscience humaine et la perception, la valorisation du labeur humain et des relations de propriété, la subjectivité et l’organisation autonomes, ainsi que le désir d’une communauté et d’une coopération15. Que les fourmis soient les supports de ces sinistres associations technologiques ne constitue pas une coïncidence, car Kluge s’est longtemps émerveillé de la façon dont les fourmis ont servi de représentation naturelle pour contrebalancer les arguments politiques en faveur du républicanisme et du totalitarisme16. Dans le contexte d’Orphea, la fourmi intrinsèquement sociale est une allégorie de l’évidement du sujet humain qui en retour exclut la possibilité d’une véritable sociabilité humaine. Sans aucun doute, le recours d’Orphée au biocosmisme ne constitue pas la panacée à ce problème ni aux défis posés par l’apocatastase. En fait, son biocosmisme aggrave les dégâts causés par les insectes qui ont probablement tué son amant Eurydice (sans parler de son ancienne identité alors qu’elle incarnait Eurydice). Errant dans le monde souterrain grâce à sa musique séduisante, le biocosmisme d’Orphée recouvre les mêmes fantasmes messianiques qui informent la recherche très concrète d’un avatar d’immortalité que poursuivent les transhumanistes de la Silicon Valley et les investisseurs capitalistes qui les soutiennent17. Orphée surmonte par le biais de la technophilie ce qui constituait une limite absolue pour Gabi – Die Patriotin se termine sur la prise de conscience de Gabi qui réalise que la science ne peut pas combler le fossé entre la vie et la mort –, mais en pure perte, sa technologie brute n’ayant rien à envier à l’intelligence en essaim des fourmis.

Contrairement au travail collectif planifié avec d’autres réalisateurs allemands qui s’est avéré si compliqué dans le cas de Deutschland im Herbst (1977–1978), la collaboration entre Kluge et Khavn s’est avérée particulièrement fructueuse. En fait, certains critiques se sont empressés d’attirer l’attention sur les remarquables similitudes entre les deux réalisateurs. Bien qu’ils vivent sur des continents différents et ne partagent pas la même langue maternelle ni la même culture (sans parler de leurs expériences générationnelles distinctes et de leur positionnement dans l’histoire du cinéma), certains critiques ont considéré Kluge et Khavn comme des esprits apparentés par leur production prolifique et leur engagement dans différents métiers (outre le cinéma, Khavn pratique la poésie et la musique), par leur prédilection pour les erreurs productives et le hasard, et par leur recherche commune d’une esthétique filmique ouverte18. Il est néanmoins impossible et vain de faire abstraction de leurs différences, celles-ci devant être également prises en compte. Il serait réducteur de cataloguer Kluge comme un auteur participant à la Nouvelle Vague européenne, particulièrement en regard de son implication considérable dans la vidéo et le film numérique ; néanmoins, il est très éloigné du tiers-cinéma auquel Khavn et la Nouvelle Vague philippine sont le plus souvent associés. Et de fait, les chercheurs n’ont pas ménagé leurs efforts pour considérer Khavn comme une importante alternative philippine à l’héritage du colonialisme européen, de l’impérialisme américain et de la globalisation néolibérale qui ont façonné l’histoire nationale et cinématographique de ce pays19. Sans y regarder de plus près, certains critiques ont dénoncé le film de Kluge et Khavn comme un nouvel exemple de l’« impérialisme narratif » qui privilégie le drame personnalisé et la circulation d’affects réactionnaires, l’activité du spectateur n’étant mobilisée que pour maintenir le statu quo20. Khavn lui-même a cependant renversé littéralement la perspective de ces critiques, en soulignant d’un ton pince-sans-rire le fait que « avant Ovide et tous les autres, le mythe d’Orphée était originaire des Philippines »21. Comme pour signifier que la question de savoir qui était là le premier, de la poule ou de l’œuf, n’était pas à propos, la réfutation de ces critiques par Khavn nous invite à nous interroger sur la façon dont Orphea parvient à accommoder deux formes très différentes de travail filmique qui manifestent une antipathie commune envers la tendance à la centralisation, malgré leurs évidentes différences esthétiques. La centralisation a pour conséquence de condenser le capital dans un lieu unique, en excluant tous les autres. D’une part Kluge, et Khavn imaginent à nouveau à partir du mythe d’Orphée les stratégies par lesquelles le techno-capital occidental accumule la totalité du biopouvoir non seulement en Occident mais aussi en Asie. D’autre part, leurs différences esthétiques (notamment l’esthétique de guérilla dionysiaque de Khavn (fig. 6) qui s’oppose à la géométrie apollinienne des montages de Kluge) mettent en évidence les nombreuses oppositions inscrites dans la mise en scène de la rencontre entre une Orphée européenne et un Eurydice philippin ; celle-ci empêche les dépossédés de Mondomanila (où Orphée se produit) et leurs proches aimés décédés de trouver le moyen de sortir des non-espaces qui constituent la condition de possibilité de ce que Frederic Jameson appelle le « système mondial » du capital22. Kluge et Khavn, chacun à leur manière, n’accordent aucune place privilégiée à la technologie du cinéma. Cette dernière est également placée sous le signe des fourmis et impliquée dans la perspective de surveillance et de contrôle généralisée du capital (Fig. 8–9). Les voies de sortie hors du principe de réalité qui, selon Kluge, sont à présent régies par les algorithmes de la Silicon Valley ne se présentent qu’au travers de relationalités qui émergent de la coopération23. Ces voies de sortie, dans le cas de la collaboration entre Kluge et Khavn, se situent très probablement du côté du registre acoustique du film, c’est-à-dire des chansons d’amour tristes qui, selon Khavn, détonnent pour donner forme à ce que Kluge a appelé l’« espace public musical »24. Témoigner musicalement de sa propre souffrance et de celle des autres constitue en fin de compte le seul fondement possible d’une communauté. Dévoiler la lamentation heureuse de Kluge et Khavn, cependant, ne constitue pas une tâche aisée, car seuls les polyglottes amateurs de musique et parlant couramment l’anglais, l’italien, le russe, l’allemand et le tagalog sont à mêmes d’apprécier la complexité de la revue musicale d’Orphée.

Pour rendre compte des liens qui se tissent entre Die Patriotin et Orphea, il nous faut, d’une part, reconnaître le fait que le contexte historique de Die Patriotin se réduit désormais à un point de fuite situé à l’horizon et, d’autre part, nous engager dans un terrain très différent où le capitalisme opère aujourd’hui. La voie dans laquelle s’engage avec force Die Patriotin et dans laquelle Orphea s’implique moins résolument se rapporte à la nécessité de faire avancer la narration à partir de vastes constellations d’images-pensée ; celles-ci, dans le cas de Die Patriotin, construisent un cadre qui explique les raisons de la conduite de Gabi, en recourant au langage du film d’essai. Visionner Orphea en regard des enjeux de Die Patriotin permet de mieux comprendre les principes théoriques qui façonnent l’intérêt de longe date de Kluge pour l’apocatastase, comme par exemple l’histoire naturelle de la force de travail. À l’inverse, Orphea peut apporter, par rapport à notre analyse de Die Patriotin, une réponse possible à cette question persistante que nous n’avons pas encore résolue : la résistance a-t-elle un genre ? Cette question élude en s’en tenant à distance les critiques féministes qui condamnent l’exploration par Kluge du « pouvoir productif des femmes ». Au début des années 1970, les féministes ont accusé Kluge d’avoir ignoré la question de la différence sexuelle tant dans son film de 1973 Gelegenheitsarbeit einer Sklavin (Travaux occasionnels d’une esclave) que dans la théorie qu’il a élaborée avec Negt. Les féministes ont critiqué l’héroïne mise en scène dans ce film, à l’instar de Gabi dans Die Patriotin, comme un véhicule muet à travers lequel s’exprimait le propre désir masculin de Kluge envers une politique du refus. Au vu de la division sexuée du travail filmique, la force productive de l’imaginaire que les films de Kluge centrés sur une héroïne était supposée activer dans l’esprit des spectateurs ne donnait prise ni à des supports d’identification ni au plaisir visuel constitutifs de l’autonomie et du développement des désirs des spectatrices25. De plus, la centralité de la production dans les théories de Kluge et de Negt sur l’espace public oppositionnel et l’obstination apparaissait comme suspecte aux yeux des féministes, dans la mesure où la production féminine demeure assimilée à la maternité et que ces théories ne prennent jamais pleinement en considération comment la féminité et la différence sexuelle participent à l’émancipation des femmes26.

Ces critiques, quand nous les appliquons à Die Patriotin, mettent en évidence non seulement l’incapacité de Gabi à formuler ses propres questions et à parler de manière autonome, mais encore l’« impossibilité grammaticale » en premier lieu d’être une femme patriote alors qu’elle est censée occuper cette place dans la diégèse27. « Une femme patriote n’a pas lieu d’exister », s’est un jour exclamée la réalisatrice Helke Sander, car « un patriote fait partie du patriarcat »28. Cependant, si nous postulons que l’idée que Kluge se fait du patriotisme de Gabi ne s’enracine pas dans le patriarcat allemand hégémonique mais dans l’expérience du subalterne dépossédé d’abord associée au poète juif-allemand exilé Heine, alors le cadre géographique élargi que la collaboration de Khavn avec Kluge rend possible dans Orphea suggère que le rêve de Heine d’un patriotisme universel qui structure Die Patriotin peut s’ouvrir à un cadre plus vaste que la simple binarité masculine/féminine. Et pourtant oui, la résistance dans Orphea repose sur un genre. En fait, elle a plus d’un genre. Et c’est aussi une sexualité, une race, une ethnicité, une affiliation de classe, qui complexifient et même contredisent les critiques féministes initialement adressées à Die Patriotin. Il serait donc avisé, lorsque l’on parle de ce patriotisme de portée radicalement globale, de reconsidérer la regrettable élision du genre dans la très large majorité de la réception initiale en langue anglaise de Die Patriotin, non pas comme une confirmation du patriarcat mais bien plutôt comme le souhait d’un patriotisme à venir plus inclusif, visant à ramener au monde tous les morts de l’humanité, même les voix subalternes de Mondomanila qui sont toujours oubliées et ignorées. Ce souhait patriotique, d’un genre neutre, d’une apokatastasis panton ne peut cependant pas ignorer l’inégalité du développement du capital dans le monde. (C’est d’ailleurs pour cette raison que Kluge et Negt ont supprimé des chapitres entiers sur l’histoire allemande dans la traduction anglaise de Geschichte und Eigensinn.)29 Aussi Kluge et Khavn ont-ils proposé une métamorphose du mythe d’Orphée d’Ovide, par laquelle les hommes et les femmes échangent leurs rôles genrés, afin d’éviter la fin mélancolique du mythe. Néanmoins, l’inscription respective de ces figures dans l’inégalité de l’histoire à travers le monde laisse entendre que les stratégies de changement de formes par le bas sont elles-mêmes inégalitaires. Même si le techno-capital considère tous les corps de la même façon, celui d’Orphée et d’Eurydice ne sont pas pareils et les espaces très différents qu’ils occupent au sein du système mondial – l’Europe et l’Asie – font que l’au-delà restera un mystère eschatologique pour le plus grand nombre tandis que pour quelques-uns il apparaît comme un problème que la technologie peut résoudre. Mais ce qui fait défaut à la totalité que promet une telle solution technophile, c’est précisément la leçon fondamentale apprise par Gabi, à savoir le dévoilement d’un réseau de relations qui n’est pas seulement responsable du cours tragique de l’histoire mais encore d’une possibilité utopique d’en sortir.

Dans Histoire et obstination, Kluge et Negt ne consacrent étonnamment que peu de place à élucider leur concept d’obstination. Ils analysent le conte de Grimm « L’enfant obstiné », prennent en considération l’histoire de la petite Meret dans Der grüne Heinrich (Henri le vert), cette nouvelle du XIXe siècle de Gottfried Keller, et pour finir se tournent vers l’histoire d’Antigone30. On peut en effet trouver quelques similitudes entre Gabi Teichert et Antigone (comme, par exemple, leur mépris de la loi et leur souci des morts), mais il y a aussi des différences importantes. Contrairement à Antigone, qui est enterrée vivante pour avoir transgressé la loi, Gabi vivra encore un an avec l’espoir que son souhait d’une histoire allemande plus heureuse puisse se réaliser. D’autres personnages de la mythologie grecque, comme Ulysse et Héraclès, deux héros qui ont occupé une place importante dans l’imagination d’autre marxistes occidentaux, viennent à l’esprit comme modèles pour Gabi, tout particulièrement en raison de leurs aventures dans le monde souterrain31. Pourtant, c’est l’objectif d’Orphée qui est indéniablement le plus proche de celui de Gabi, car à la différence de ces héros dont la tâche est simplement de survivre à leur passage dans le monde souterrain Orphée est le seul à vouloir ramener les morts dans le monde des vivants. Il n’est donc pas surprenant que dans Orphea Kluge ait une fois de plus revisité le mythe d’Orphée avec son dernier collaborateur en date, Khavn. Si nous déroulons ce lien orphique qui traverse l’ensemble de l’œuvre de Kluge, nous commencerons alors à comprendre à quel point la compréhension du politique par Kluge a été historiquement avisée au cours de ces quarante-et-une dernières années. La politique radicale de l’apocatastase que Gabi envisage à la fin de Die Patriotin est devenue au cours des quatre décennies suivantes un objectif réel pour les capitalistes d’entreprise, les futuristes transhumanistes et les technologues de la Silicon Valley. En d’autres termes, le dilemme eschatologique de Gabi constitue la dernière facette de l’expérience humaine à tomber sous le joug des pouvoirs de subsomption du capitalisme. Orphea n’éclipse pas la pertinence historique de Die Patriotin mais au contraire ancre dans le présent le réseau d’œuvres d’art de Kluge et attire ainsi l’attention sur le fait qu’il a su reconnaître que les grandes lignes de l’action politique doivent être à nouveau révisées. Pour contrer la quête actuelle d’un biopouvoir total par le techno-capital, Kluge et Khavn déploient avant tout la musique d’Orphée comme un geste de protestation contre la liquidation de ce qui constitue à la fois les particularités d’une personne et les conditions préalables à son appartenance à une communauté. Cependant, comme la trajectoire de Gabi et d’Orphée l’illustre, l’action ne peut être extraite de contradictions multiples. En ce qui concerne Orphée, précisons que sa quête d’une immortalité universelle est elle-même dépendante de la rationalité technique qui est à l’origine de son obstination et qui impulse sa lamentation heureuse.

1  Cet essai reprend et révise la conclusion de la monographie suivante : Richard Langston, The Patriot, Rochester, Camden House [Gerd Gemünden et Johannes von Moltke (éd.), Camden House German Film Classics], à paraître en 2021.

2  Sur la fonction de l’action dans la pensée de Kluge, lire Richard Langston, Dark Matter : A Guide to Alexander Kluge and Oskar Negt, Londres, Verso Books, 2020, pp. 179–217.

3  Sur le patriotisme antinationaliste de Heinrich Heine, lire sa préface à De l’Allemagne, Paris, Gallimard, 1998 [première édition : Deutschland. Ein Wintermärchen, Hambourg, Hoffmann und Campe, 1844 ; Germany : A Winter’s Tale, New York, Mondial, 2007, traduit par Edgar Alfred Bowring].

4  Pour une analyse des brefs récits en prose cosmiques et globaux de Kluge, lire Leslie A. Adelson, Cosmic Miniatures and the Future Sense : Alexander Kluge’s 21st-Century Literary Experiments in German Culture and Narrative Form, Berlin, De Gruyter, 2017, pp. 166–197.

5  Alexander Kluge en conversation avec l’auteur, juin 2018.

6  Karl Marx, Le Capital, chapitre 25, section 7, repris dans Marx, Œuvres. Tome 1 : économie, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1963, édition établie par Maximilien Rubel, p. 1139.

7  Alexander Kluge, « Reading and Writing : How Can I Live ? What Can I Know ? What Does the Future Hold ? », dans Bernd Scherer et Olga von Schubert (éd.), The New Alphabet : Opening Days, Berlin, HKW, 2019, p. 38.

8  Kolja Reichert, « ‹ Künstler sind Pilotfischchen › : Alexander Kluge im Interview », Frankfurter Allgemeine Zeitung (19 octobre 2017), http://www.faz.net.

9  Kluge, « Reading and Writing », p. 38.

10  Alexander Kluge et Oskar Negt, History and Obstinacy, New York, Zone Books, 2014, traduit par Richard Langston, p. 141 [première edition : Geschichte und Eigensinn, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp. 1981].

11  Kluge, Die Patriotin : Texte/Bilder 1–6, Francfort-sur-le-Main, Zweitausendeins, 1979, p. 169.

12  Alexander Kluge et Richard Langston, « ‹ Happy Is the Last Man Standing ! › From Independent Cinema to Auteur Television and Back Again », Alexander Kluge-Jahrbuch, nº 6, 2019, p. 239.

13  Voir Boris Groys, « Introduction : Russian Cosmism and the Technology of Immortality », dans Boris Groys (éd.), Russian Cosmism, New York, e-flux, 2018, p. 7.

14  Alexander Kluge, « The Political as Intensity of Everyday Feelings », dans Tara Forrest (éd.), Alexander Kluge : Raw Materials for the Imagination, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2012, traduit par Andrew Bowie, p. 286.

15  La référence la plus explicite aux fourmis et à l’intelligence artificielle se trouve sans doute dans Mondrian-Maschine Nr. 1, un film de 2019 que Kluge a réalisé avec l’artiste new-yorkaise Sarah Morris, qui s’ouvre sur des extraits de Die Patriotin et qui inclut des séquences de robots insectes (Fig. 7). Pour une transcription partielle, lire Alexander Kluge, « Von Zett bis Omega : ‹ Begehbares Theater – Ein Babylon dessen Turm nicht zerfällt, in Berlin › », Alexander Kluge-Jahrbuch, nº 6, 2019, pp. 155–196. Le film dont la figure 7 est tirée peut être visionné sur le lien : https://www.dctp.tv.

16  Voir, par exemple, Alexander Kluge, « Ameisen (‹ das politische Tier ›) : Prof. Dr. Niels Werber : Das Narrativ von den sozialen Insekten », News & Stories, SAT.1, 17 août 2014, https://www.dctp.tv. Voir aussi Kluge et Negt, History and Obstinacyop. cit., p. 402.

17  Pour un aperçu des principales caractéristiques du trans­humanisme de la Silicon Valley et de la quête d’un avatar d’immortalité, lire Jenny Huberman, « From Ancestors to Avatars : Transfiguring the Afterlife », dans Candi K. Cann (éd.), The Routledge Handbook of Death and Afterlife, New York, Routledge, 2018, pp. 280–285.

18  Voir, par exemple, Sofie Cato Maas, « Orphea : Eye-popping and nose-exploding ? », Frameland : A Monthly Magazine, mai 2020, https://frame.land.

19  Voir, par exemple, William Brown, « Digital Darkness in the Philippines », Non-Cinema: Global Digital Filmmaking and the Multitude, New York, Bloomsbury Academic, 2018, pp. 87–111.

20  Jonathan Beller, « Iterations of the Impossible: Questions of a Digital Revolution in the Philippines », Postcolonial Studies, vol. 11, nº 4, 2008, p. 435, p. 436, p. 437.

21  Knut Elsterman, « Berlinale Talk 2020 mit Alexander Kluge, Khavn de la Cruz und Lilith Stangenberg », Der Berlinale Talk, Radio Eins, Rundfunk Berlin Brandenburg, 25 février 2020, https://www.youtube.com. Consulté le 14 juin 2020.

22  Fredric Jameson, The Geo­political Aesthetic: Cinema and Space in the World System, Bloomington, Indiana University Press, 1992. Mondo­manila est aussi le titre d’un film de 2012 de Khavn, basé sur la nouvelle éponyme de Norman Wilwayco publiée en 2002.

23  Kluge, « The Political as Intensity of Everyday Feelings », op. cit., p. 286.

24  Khavn de la Cruz, entretien avec Pamela Cohn, Bomb Magazine, 29 septembre 2010, bombmagazine.org/articles/khavn-de-la-cruz (dernier accès le 16 février 2020) ; voir aussi Alexander Kluge, « The Equivalent of an Oasis : An Essay for the Digital Generation », Alexander Kluge-Jahrbuch, nº 6, 2019, traduit par Richard Langston, p. 201 ; et l’entretien avec Reichert (déjà cité), dans lequel Kluge affirme : « Nous devrions combiner tout ce que les arts, y compris la musique, peuvent produire afin de créer des contre-algorithmes se portant à l’encontre de la Silicon Valley. »

25  Heide Schlüpmann, « ‹ What Is Different Is Good ›: Women and Femininity in the Films of Alexander Kluge », October, nº 46, automne 1988, traduit par Jamie Owen Daniel, p. 132, p. 138, p. 150.

26  Schlüpmann, « Femininity as Productive Force », op. cit., p. 72.

27  Helke Sander, « ‹ You Can’t Always Get What You Want ›: The Films of Alexander Kluge », New German Critique, nº 49, hiver 1990, traduit par Regina Cornwell, p. 65.

28  Ibid.

29  Sur l’inégalité du développement du capitalisme, voir Kluge et Negt, History and Obstinacyop. cit., pp. 218–222.

30  Idem, pp. 292–295.

31  Ulysse joue bien entendu un rôle central en tant qu’incarnation de la subjectivité bourgeoise chez Horkheimer et Adorno (Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La dialectique de la raison, Paris, Gallimard, 1974, traduit par Eliane Kaufholz ; Dialectic of Enlightenment, Stanford, Stanford University Press, 2002, traduit par Edmund Jephcott [première édition : Dialektik der Aufklärung, Amsterdam, Querido, 1947]). Le premier volume de L’esthé­tique de la résistance de Peter Weiss (The Aesthetics of Resi­stance, Durham, NC, Duke University Press, 2005, traduit par Joachim Neugrosche) met en évidence Héraclès comme la mascotte du prolétariat.