« Un film s’écrit à chaque étape » : entretien avec la réalisatrice Delphine Lehericey à propos du Milieu de l’horizon (2019)
Le présent entretien a été réalisé début janvier 2020, dans le prolongement de discussions menées avec la cinéaste Delphine Lehericey à l’occasion d’une semaine spéciale organisée au gymnase vaudois de Burier autour du roman Le Milieu de l’horizon de Roland Buti et de son adaptation homonyme, au moment de la sortie en salles du film. Le programme de la semaine a consisté en l’intervention du romancier, de plusieurs collaborateurs du film et de membres du Centre d’études cinématographique (CEC) de l’UNIL. Les questions s’inscrivent dans le contexte pédagogique d’une réflexion sur l’adaptation d’un texte littéraire.
Alain Boillat : Connaissiez-vous le roman de Roland Buti avant qu’il soit question d’en faire une adaptation ?
Delphine Lehericey : Non. J’ai d’abord reçu une version de scénario dont les droits avaient été acquis par Box Productions et que Joanne Giger était en train d’écrire. Le scénario était assez proche du roman. Je dis ça parce que j’ai lu le livre de Roland Buti une semaine après la version de scénario. J’aimais beaucoup les deux « formats » pour différentes raisons. J’étais émue et touchée par l’histoire, les thématiques que j’ai tout de suite trouvées très actuelles mais je craignais que le scénario ne soit trop « respectueux » de l’œuvre de Buti. Il y avait encore pas mal de « littérature » (au sens de la présence du descriptif), et surtout il persistait quelque chose de trop contemplatif chez Gus, ce qui fonctionne dans un roman mais moins au cinéma. Dans le genre de films que je souhaitais faire ou du moins que je sais faire, je sentais que le travail d’écriture principal serait de le rendre plus actif, plus acteur de son destin.
Comment s’est déroulée la collaboration avec Joanne Giger sur l’écriture du scénario, comment avez-vous procédé pour interagir avec elle à différents stades ? Vous est-il indifférent que le scénario ait été rédigé par une femme, ou cela revêt-il une importance pour vous ?
Joanne a participé avec les producteurs au choix de la réalisatrice qui ferait le film, donc on s’est vues très tôt dans le processus. Presque deux ans avant de tourner le film ! C’est une très belle rencontre. Je ne dis pas ça par politesse, car comme nous continuons de travailler ensemble sur d’autres projets, cela signifie que quelque chose a fonctionné.
On s’est d’abord beaucoup parlé sur la base du scénario du film que je voulais faire. Joanne est une vraie scénariste au sens où elle n’a aucune envie de réaliser des films. C’est très confortable et pas si fréquent. On n’a pas forcément les mêmes goûts ou les mêmes références de cinéma, et c’est une richesse, parce qu’on s’est donné des livres à lire, des films à voir, on a débattu et on le fait encore aujourd’hui. On a collaboré et fait évoluer le scénario ensemble jusqu’au tournage. On était même en désaccord sur la fin du film, débattue encore sur le plateau quand on tournait la séquence de réconciliation entre Gus et sa mère au concert. Je tenais à cette étreinte. L’écriture est un processus très vivant et collectif, nous étions toutes les deux convaincues qu’un scénario est un outil qui doit évoluer en permanence. Le fait qu’on soit deux femmes assez conscientes des questions de genre et de visibilité des femmes au cinéma a sans doute joué dans la fluidité de nos échanges. Nous voulions respecter le roman adapté, mais éviter qu’il nous pèse ; Roland Buti nous a libérées de ce poids très tôt en nous disant que, ne connaissant rien à l’écriture cinématographique, il nous conseillait de faire comme nous l’entendions. Ainsi, nous sommes même revenues au roman pour réécrire certaines scènes entre Gus et sa mère en changeant le plan de travail du tournage et en appuyant cette relation dans le film. J’avoue que j’étais très focalisée sur ce lien dès ma première lecture du scénario et du livre. Je me suis identifiée à Nicole et je voulais convaincre Laetitia Casta de l’intérêt de ce rôle de mère. Il fallait absolument lui donner un prénom (elle n’en a pas dans le livre), l’incarner, et rendre sa relation à son fils plus tactile, plus généreuse. On a fait des dizaines d’échange par Skype avec Joanne qui vit à Los Angeles et moi à Bruxelles et nous nous sommes vues pendant des jours pour se dire les dialogues à haute voix, retirer des séquences de présentation des personnages qui sont parfois utiles à la lecture pour les commissions de financement mais qui sont pénibles à tourner pour les acteurs et finissent par sauter au montage. On a beaucoup appris toutes les deux de nos envies et de notre manière de fonctionner respectives, et de la manière dont l’écriture résiste aux conditions de tournage, de sorte qu’il faut faire preuve de souplesse et de disponibilité. On sait qu’un film s’écrit à chaque étape de sa construction. Dans la salle de mixage, nous étions encore en train de bouger des répliques ; le son, le rythme d’un film, c’est aussi de l’écriture.
Avez-vous, à un moment donné de l’écriture, envisagé d’intégrer dans le film les références aux périodiques de bandes dessinées dont il est beaucoup question dans le roman ? Si oui, pourquoi en avoir écarté l’idée ?
Les références aux bandes dessinées et aux périodiques sont dans le film mais moins que ce que j’aurais voulu. Certains plans ont sauté au montage et de fait on croit que tout a disparu du film, c’est ténu mais présent. Il était question du magazine Spirou que Gus va acheter à l’épicerie au début du film, et puis cela me semblait moins juste que Pilote, surtout parce que la SF y a fait son apparition 1. J’ai préféré les références à la SF plutôt qu’aux périodiques, je trouvais cela plus visuel. Gus dessinait plus que ce qui est resté dans le film, mais lire des BD et dessiner ce sont des actions qui ne sont pas évidentes à garder dans le rythme d’un film qui est déjà plutôt contemplatif. C’est quand même un coming of age sur un enfant qui voit le monde s’écrouler autour de lui. Je voulais que Mœbius et Druillet soient des auteurs qui inspirent Gus pour ses dessins et fassent référence au paysage post-apocalyptique des champs et des terres brûlant sous le soleil de la canicule. Je trouvais que c’était un bel hommage à ces auteurs que j’aime beaucoup et, au même titre que d’autres références du film, cela faisait appel à la nostalgie des années 1970. En fin de compte, il ne reste que le moment où Nicole referme les livres de son fils avant de l’embrasser et de le regarder dormir.
Le casting a-t-il été partiellement fixé avant la rédaction de la première mouture du scénario d’avril 2018 ? L’accord de tel acteur ou de telle actrice a-t-il eu des incidences sur l’écriture du scénario, par exemple pour conformer un personnage à l’interprète prévu (ou pressenti) pour incarner ce dernier à l’écran ?
On avait le casting des adultes bien avant la dernière version de scénario, tandis que Luc Bruchez a été choisi définitivement en avril, au même moment que Sasha Gravat Harsch qui joue Mado. Je dirais que c’est le rôle de Laetitia Casta qui a le plus évolué. Il s’est même enrichi grâce à elle, qui a donné des pistes de dialogues, de costumes, des gestes qu’elle a voulu inventer avec Luc Bruchez pour mieux incarner cette relation mère-enfant. Ça s’est fait en préparation surtout. Je lui ai beaucoup écrit et on a peu répété, donc j’avais à cœur de la nourrir de ce que je souhaitais construire comme personnage de mère en l’encourageant à prendre Luc comme jeune acteur sous son aile comme son propre fils. Elle y a mis beaucoup de ses envies personnelles, de sa relation avec son propre fils, et cela a influencé le scénario. Pour Cécile, cela a été plus classique, on a changé des répliques qui ne sonnaient pas forcément bien dans sa bouche sur le plateau mais pas la teneur des scènes. Thibaut Evrard, qui vient quant à lui plus du théâtre, avait envie de se laisser emmener par le scénario tel qu’il était et justement pour lui on a travaillé à moins de mots et plus d’actions, d’attitudes physiques. Les silences font aussi partie du scénario ! J’avais envie de faire évoluer l’écriture en permanence pour la rendre confortable pour les acteurs. J’aime qu’ils se sentent bien et je fais confiance à leur instinct et au mien. Si quelque chose résiste dans les mots, c’est qu’il faut les changer, je ne reste pas fixée sur une réplique comme si elle était gravée dans le marbre. Un scénario doit rester « mou », façonnable : ce n’est pas de la littérature.
La langue utilisée dans les répliques des personnages ne semble pas être celle de la seconde moitié des années 1970 en Suisse romande. Est-ce que, finalement, l’ancrage historique et géographique du récit vous a peu importé ?
Le langage évolue et j’avais envie de naturel dans le film, surtout pour Luc Bruchez, dont c’était la première expérience de cinéma. Je l’ai laissé improviser en utilisant les mots d’un adolescent d’aujourd’hui. Je me suis concentrée sur les décors, les costumes et sur l’image pour dessiner le film d’époque. Je trouve que les références, notamment au niveau des couleurs et de la manière dont on a utilisé le 35mm, racontaient déjà beaucoup les années 1970. Il fallait aussi que le film bascule sans qu’on s’en rende compte vers notre époque. J’aime bien que le corps des acteurs, leurs attitudes, nous semblent familières, contemporaines, bien que l’arène dans laquelle l’histoire se déploie soit clairement la période 1970–1980. Concernant l’ancrage géographique, j’ai dans un premier temps effectué avec Ivan Niclass, le chef décorateur du film, des repérages en Suisse, mais tout était trop contraignant pour raconter la sécheresse. Le fait de tourner en Macédoine, d’utiliser l’aridité et la nudité des paysages nous a beaucoup soulagés. Nous avions un plateau à 360 degrés et nous pouvions laisser notre héros rouler à vélo ou courir sans le contraindre, la sécheresse était partout. J’ai beaucoup de respect pour l’ancrage historique et géographique du roman de Roland Buti et justement je me suis appuyée sur ce qu’il a posé pour créer une résonance avec notre époque contemporaine. Faire un film d’époque uniquement pour l’esthétique vintage, cela n’a pas de sens, ce qui comptait pour moi dans ce film ce sont les thèmes du climat, de la famille et des femmes. Je voulais dire combien ces sujets sont importants et raconter comment Gus en 1976 à l’instar des enfants d’aujourd’hui, en est l’acteur et la victime.
Dans quelle mesure certaines contraintes matérielles ou financières ont-elles pu peser sur des choix scénaristiques ou de mise en scène ?
Ce sont surtout des contraintes météorologiques qui ont pesé sur le scénario et le déroulement du tournage. Le film est bien financé et, étant donné que c’est au départ une « commande » de mes producteurs dont je me suis évidemment emparée, la plupart des choix se sont faits de manière collective. Plus que si j’avais moi-même écrit seule l’histoire et porté le scénario du début à la fin, comme cela fut le cas pour mon premier long-métrage [Puppylove, 2013]. Les animaux, la météo, les enfants et les infrastructures en Macédoine ont été des éléments qui ont passablement compliqué la fabrication de certaines séquences. On a dû supprimer des scènes, en écrire d’autres. L’arrosage par l’armée et la sécheresse des terres du père quand Gus découvre que c’est trop tard, que toute la récolte de maïs est fichue, prenait une place plus importante. Lors de chacun des jours de tournage prévus pour cette séquence, il pleuvait, et le champ a même été inondé. On a dû la réinventer, la réduire et surtout y ajouter des effets spéciaux en postproduction pour la rendre crédible. On a tourné d’autres choses dans l’étable ou avec Rudy ces jours-là. On a tourné des scènes qui, même si elles ont été coupées au montage, ont participé à préciser la relation entre les personnages au sein de la famille. Luc a pu expérimenter d’autres émotions de jeu, et quand on a tourné les intérieurs en Belgique, il était très à l’aise, comme un acteur aguerri, grâce à l’entraînement en Macédoine.
Certains rushes témoignent d’une pratique qui consiste à filmer successivement en continu chacun des acteurs principaux au cours d’une scène donnée en maintenant la caméra rivée sur lui, afin ensuite de choisir au montage quel personnage apparaîtra à l’écran. Avez-vous bénéficié pour ce faire de plusieurs caméras filmant simultanément ? Pourquoi avoir opté pour cette pratique ? Comment considérez-vous, à cet égard, votre rapport à l’acteur/actrice que vous filmez ?
On a utilisé cette technique essentiellement dans les séquences de repas en famille, pour les intérieurs. Ces séquences mettent en scène beaucoup de personnages et sont plus chargées en dialogues. Elles sont aussi des vecteurs de l’avancée du récit. Je me sens a priori moins à l’aise avec ces séquences assises où je dois contraindre mes acteurs à rester en place, à fabriquer beaucoup de tension intérieure que je vais devoir ensuite capter avec la caméra. Faire naître sur un visage un « non-dit », ou ce que j’appelle un ressenti voyant. C’est en expliquant cela à mon chef opérateur Christophe Beaucarne que nous avons décidé de mettre les acteurs dans une situation presque théâtrale. On filmait la scène des dizaines de fois en entier et on déplaçait la caméra pour les avoir tous au moins une fois au cœur de la scène. Je savais qu’ensuite je trouverais l’émotion juste et le bon rythme au montage avec Émilie Morier, ma monteuse. À ce moment-là, on réécrirait l’émotion du scénario.
Nous avons utilisé deux caméras dans la séquence de fin du film au concert, parce que le décor était particulièrement grand et qu’il y avait plus de 100 figurants. En outre, on tournait en fin de journée pour avoir une lumière de fin de jour qui ne dure que peu de temps. C’était très lourd comme journée de préparation, mais je voulais vraiment obtenir au milieu de toute cette foule une émotion forte et intime entre Gus et sa mère. Nous y avons veillé.
Selon vous, quels sont les personnages dont le film adopte majoritairement le point de vue ? Pensez-vous avoir maintenu quelque chose de la première personne du roman, focalisé sur le jeune Gus ? Est-ce que le procédé d’une voix over d’un des personnages a été envisagé ?
Nous n’avons jamais voulu écrire de voix off. C’est trop étranger à mon cinéma, pour le moment en tous les cas. Je trouvais plus juste de rendre hommage à l’écriture de Roland Buti en préservant au maximum le parcours émotionnel du jeune Gus face aux événements plutôt que de rendre hommage à l’écriture en posant une voix qui aurait été presque la voix de l’auteur. On dit d’ailleurs que Le Milieu de l’horizon est un film d’auteur. Je ne sais pas bien ce que ça veut dire. J’en ai beaucoup parlé avec les jeunes qui ont vu le film lors de projections scolaires. Ce n’est pas le genre de films qu’ils vont voir au cinéma. Ils ont pourtant été émus et même certains très en colère quant aux choix des parents de Gus ou à la question climatique. Ces émotions qu’ils ont ressenties, ils ne les associaient pas aux films plus « commerciaux » qu’ils regardent plus souvent. Je pense que c’est une histoire de regard surtout. On peut aussi être ému par un Marvel. Un film, c’est avant tout une histoire, et comme on a préservé le regard de Gus sur le monde qui l’entoure, on a raconté l’histoire du monde et celle de ses parents à travers ses yeux. C’est une manière à la fois de respecter le regard de Roland Buti et de créer un phénomène d’identification pour les jeunes spectateurs. Pour les spectateurs adultes ou plus cinéphiles, c’est peut-être la nostalgie d’une époque : le regard se plonge aussi dans l’histoire de Nicole et de Jean, les parents. Dans tous les cas, j’ai essayé de me mettre dans le regard de chaque personnage, et c’est la mère qui me hantait : la façon dont son fils la perçoit, la regarde et l’aime.
Pourquoi avoir transformé le décès de Rudy en une issue plus incertaine ?
On a vraiment beaucoup parlé du destin de Rudy avec Joanne et avec les producteurs. Le film est clairement un drame et dans le dernier tiers du film tout s’emballe et s’écroule. Dans le livre Rudy meurt, le grand-père aussi et même le cheval Bagatelle. C’est une fin du monde qui fonctionne très bien en littérature, mais en images cela me semblait beaucoup trop dur à offrir ! J’aime l’idée de laisser les choses en suspens et qu’un peu d’espoir persiste. Je pense qu’on va au cinéma aussi pour ça. Gus encaisse déjà suffisamment au cours d’événements qui le transforment, l’endurcissent, l’obligent à se positionner, à grandir. La mort est partout dans le décor désolé de la campagne brûlée, dans la poussinière, c’était suffisant pour ce jeune garçon.
Le personnage de Gus est souvent montré à vélo, ou à vélomoteur dans une séquence ; pourquoi avoir choisi de mettre ainsi en avant ce moyen de locomotion ?
C’est la nostalgie du Tour de France. L’été, c’est associé à ça pour moi. Je trouve que la vitesse est difficile à filmer mais elle est aussi très cinématographique. Ça nous a permis de traverser les paysages, d’avancer dedans, de les voir défiler plutôt que de les contempler à pied ou de façon plus statique. La chaleur écrasante, je la voulais surtout à table quand il ne reste que le son de la prière de Rudy, de la radio ou de la TV qui annonce les mauvaises nouvelles. Gus tente aussi de s’échapper du monde qui l’entoure en roulant vite, mais c’est un huis clos à ciel ouvert. La sécheresse est partout, implacable, et on ne peut fuir la fatalité.
En termes de rythme et de souffle, je trouvais que le vélo et le vélomoteur à la fin amènent des respirations et une autre musique. On s’est inspiré de l’énergie de vie et du corps élancé et agile de Luc Bruchez pour écrire la musique du film avec Nicolas Rabaeus.
La séquence finale du film, très différente des dernières pages du roman, a subi plusieurs modifications au cours du processus d’écriture. Pourriez-vous expliquer quel aspect vous avez choisi en fin de compte de privilégier, en particulier dans la relation mère-fils ?
Je peux en dire beaucoup puisque ça a été un de nos plus grands débats avec Joanne. Je ne voulais pas que le scénario suive la même fin que le roman parce que la mère et l’enfant ne se retrouvent pas. Jean gifle son fils qui insulte sa mère et puis il y a cet épilogue qu’on ne traite pas dans le film mais qui isole quand même Gus pour toujours. Cela fonctionne en 1976, mais en tant que femme cinéaste je voulais rendre hommage au parcours de cette mère qui fait un choix de vie très difficile à une époque où elle ne pouvait être que condamnée. Il est évident qu’elle aime ses enfants et que ce qu’elle vit est un arrachement, un bouleversement. Je voulais qu’on sente le courage de cette femme, non qu’on la condamne. Je voulais aussi moins de violence de la part du père qui en montre déjà beaucoup tout au long du film, et surtout que ce qui se transmette des parents à l’enfant ne soit pas la violence mais l’amour. J’aime l’idée de filmer le conflit de loyauté dans lequel se trouve Gus. Entre ses deux parents, entre son envie d’enfance et son rôle à la ferme, son attirance pour Mado et Cécile et son jeune âge. Ce qui compte c’était que la sensualité et l’amour qui existent dans la relation entre lui et sa mère l’emportent sur la brutalité. Je pense vraiment que l’amour est une valeur qui sauve et que les adultes ont une responsabilité dans cette transmission.
Votre précédente fiction, Puppylove (2013), touche également à la représentation de l’homosexualité féminine. Comment distingueriez-vous à cet égard ce film du Milieu de l’horizon ? Par ailleurs, on pourrait penser que dans Puppylove, la question de la sexualité y est abordée de manière plus frontale ; avez-vous vous souhaité adapter Le Milieu de l’horizon à un autre type de public ?
Je crois que cette question de l’homosexualité m’habite parce que ça parle d’amour et d’identité. Je ne sais pas si elle sera au cœur de tous mes films, mais pour le moment c’est là, et il y a encore de quoi dire. Je n’aurais pas osé, de moi-même, écrire l’histoire du Milieu de l’horizon. Je suis chanceuse que Roland Buti puis Joanne l’aient écrite, et que mes producteurs me l’aient proposée. C’est une histoire universelle, d’humanité avant tout, ça parle de fin de l’enfance, du monde qui vient. Mais il se trouve que Nicole s’ouvre à sa vraie identité sous les yeux de son fils, qu’elle se donne cette permission d’aimer une femme et que donc il s’agit d’homosexualité. C’est dans cet ordre-là que je lis le film. L’homosexualité n’est pas en soit un sujet pour un film. C’est pris dans la vie et c’est vrai que la sexualité et l’éveil à la sensualité sont quelque chose de très cinématographique, et tout simplement importants dans la vie. On aurait pu en effet aller plus loin avec cette histoire et mettre Nicole au cœur du film, mais je trouvais plus fort et plus complexe de la regarder vivre cette découverte à travers les yeux de son fils qui d’abord ne comprend pas, et se révolte. Je voulais que Laetitia Casta incarne Nicole parce qu’elle a une image de femme forte et populaire ; ainsi, d’autres femmes, d’autres hommes peuvent s’identifier à son personnage, le comprendre. Je ne crois pas avoir réfléchi au film en termes de public précis, je voulais que le film parle au plus grand nombre. Quand on réalise un premier film, il y a une urgence à le faire ; pour le deuxième, on veut surtout qu’il soit vu. Je ne dirais pas que Le Milieu de l’horizon est moins frontal que Puppylove : il pose plutôt un regard différent.