La voix du Maître : l’école et l’enseignement dans les films d’Abdellatif Kechiche
De la salle de classe de L’Esquive (France, 2004), dans laquelle Krimo (Osman Elkharraz) et ses camarades répètent inlassablement leurs scènes du Jeu de l’amour et du hasard, jusqu’aux bancs du Lycée de La Vie d’Adèle (France/Belgique/Espagne, 2013), l’école occupe une place de choix dans les films réalisés par Abdellatif Kechiche. Cette présence récurrente de l’école, accompagnée d’une mise en scène singulière de la transmission des savoirs, n’aura pas échappé à la critique, ni aux chercheuses et chercheurs des études cinématographiques – ou des Cultural Studies – qui se sont penchés sur les films du réalisateur franco-tunisien. L’école joue un rôle clé au sein de la structure narrative de nombreux films, participe activement à la caractérisation des personnages, produit des effets – volontaires – de résonances en regard de l’intrigue, mais plus encore, elle contribue à façonner le système de représentations de genre, de classe et d’appartenance établi par L’Esquive, La Vie d’Adèle et Vénus noire (France/Belgique, 2010). Si nous proposons d’inclure Vénus noire dans le corpus de films « d’école », c’est que la médiation de savoirs « scientifiques » – phrénologie raciste au service de l’entreprise coloniale 1– y joue un rôle important. Déplacement, ici, de l’école vers l’Académie de médecine et l’Institut de France, qui jouèrent par ailleurs un rôle important dans l’histoire de l’enseignement « public » en France à partir du décret sur l’Université impériale de 1808. 2
Le statut symbolique et politique de l’école publique française découle en partie de l’ensemble des « représentations officielles ou savantes » 3qui se sont cristallisées au fil des décennies. Encore aujourd’hui, son statut et sa mission sont sujets à débats chez les historien.ne.s de la pédagogie et de la culture. Elle peut être tantôt perçue comme un « instrument des Lumières » au cœur du projet républicain 4, ou au contraire comme le site privilégié de la reproduction sociale 5. Tension qui réapparaît, comme nous nous efforcerons de le montrer, au sein du corpus de films analysés ci-après.
Cet article propose de cartographier l’inconscient politique qui transparaît dans la mise en scène filmique des espaces scolaires, et plus largement des institutions de transmission des savoirs, dans trois films d’Abdellatif Kechiche. En mobilisant un espace et des institutions coextensives à l’imaginaire français de l’« école publique », lui-même étroitement rattaché aux imaginaires de la République (et de ses valeurs) et plus largement de la démocratie, la représentation de l’école constitue un enjeu politique qui détermine en partie la teneur discursive des films en question. Ces enjeux de représentation liés à l’espace scolaire et à la figuration de processus de transmission de « savoirs » (ou de doctrines) sont problématisés par leur inscription dans un enchevêtrement de déterminations sociales et politiques : ces espaces sont habités par des jeunes filles et garçons aux aspirations et aux origines diverses, constamment inscrits par les modes de discursivité filmiques dans des jeux de regards et/ou des dispositifs localisés de mise en scène (théâtrale, sexuelle, zoologique, etc.).
Nous reviendrons sur les travaux qui ont proposé une analyse des représentations de l’école dans L’Esquive et qui oscillent entre la célébration d’un supposé « recadrage » des relations entre l’école, le capital culturel et les adolescents défavorisés des banlieues, et son alternative critique qui voit dans la figuration de l’école chez Kechiche une reproduction de l’idéal républicain de « l’école pour tous » fondé sur la diffusion d’une « haute culture » à la portée supposément universelle. On tentera de renouveler ces positions par le biais d’une analyse formelle portant sur les enjeux énonciatifs relatifs aux séquences en milieu scolaire dans les films étudiés. L’analyse de L’Esquive et de La Vie d’Adèle nous amènera ensuite à comparer la représentation de l’école dans ces films au dispositif de transmission de savoirs construit dans Vénus Noire à travers l’exposé de Cuvier à l’Académie de médecine. Le statut énonciatif singulier de l’école dans les deux premiers films (et de ce que je désignerai comme la parole du « Maître ») se trouve à la fois transposé et renversé dans Vénus Noire qui s’ouvre sur l’énoncé d’un savoir impossible, en un sens déjoué par le film lui-même.
Commençons par lever une ambiguïté. Nous ne chercherons pas à construire une cohérence qui serait à l’œuvre, dans une perspective auteuriste, au sein des films de Kechiche. Nous n’avons pas plus pour objectif de mettre au jour un système esthétique ou discursif qui serait l’apanage du réalisateur, une « méthode » qu’on associerait à la didactique, et qui seraient sciemment déployés d’un film à l’autre. Au contraire, le traitement des corps et les relations de pouvoir à l’œuvre dans les situations pédagogiques nous paraissent ambivalents dans ces films, voire contradictoires. Notre projet consiste à retracer l’itinéraire de ces inscriptions variables au sein de différents films, et de tenter d’en produire une analyse systématique sans que celle-ci soit rabattue sur une quelconque « volonté » d’un auteur.
Quelle école pour quels savoirs ?
La place accordée à l’école et au réseau de productions culturelles dont la transmission du savoir est explicitement thématisée par les films de Kechiche, et apparaît souvent comme un critère de bon goût ou de « réussite » pour la presse spécialisée 6. Dans le domaine de la recherche universitaire, la représentation de l’école dans les films de Kechiche est sujet à division. On repère nettement une ligne de démarcation entre les travaux qui voient dans l’utilisation de l’école un moyen mobilisé par Kechiche pour « recadrer » les régimes de représentation des populations issues de l’immigration, et ceux qui voient dans la thématisation de l’école une réactualisation des idéaux républicains et de son universalisme.
Dans son ouvrage Le cinéma d’Abdellatif Kechiche, Emna Mrabet ne manque pas de relever la présence fréquente de scènes en milieu scolaire, lorsqu’elle indique que « l’importance du savoir et de sa transmission jalonne tous les âges de la vie chez Kechiche » 7. Tout en livrant une analyse détaillée de nombreuses scènes en classe, Mrabet propose de subordonner la présence de l’école à la question de la figuration de productions culturelles et à la présentation des différents rôles que la transmission de ces productions joue dans ces films (catalyseur narratif, outil de réflexivité, fonction de contraste ou d’opposition à valeur critique, etc.) 8. Dans le cadre de son exposé, Mrabet vante la diversité des références culturelles mobilisées par ces films. Ainsi, aux côtés de Marivaux, Ponge, Sartre et Madame de La Fayette, on trouve le poète soufi Farid al-Din Attar, dont La Conférence des oiseaux est déclamée par de jeunes enfants lors du spectacle de fin d’année qui clôt L’Esquive, ou encore la coprésence de la chanson Ana Mazel de Cheb Mami et du poème d’Omar Ibn Abi Rabiaâ déclamé par le personnage de Jallel dans La Faute à Voltaire (France, 2000). Avec Colin Nettelbeck 9, Mrabet voit dans cette diversité de références une « mise sur le même plan » 10de différentes cultures et une remise en cause des hiérarchies prescriptives dans le domaine de l’art. Elle considère les élans poétiques de Jallel, qui navigue entre les poésies classiques française et arabe, comme un exemple de convocation de références « à dimension biculturelle » auquel elle attribue une valeur positive (valorisation et complexification du personnage principal, détournement des « clichés » sur les immigrés). La diversité des références mobilisées, en particulier à l’école, attesterait alors « l’érudition et les goûts éclectiques du cinéaste » tout en contribuant « à tisser un champ de références artistiques hétéroclite et composite » 11.
Pour Vinay Swamy, c’est notamment la juxtaposition de registres langagiers disparates, aux connotations opposées (la langue de Marivaux vs l’argot de banlieue du début des années 2000), qui permet à L’Esquive de remettre en question la division haute/basse culture, ainsi que « les distinctions territoriales habituellement associées à celle-ci » 12. De plus, selon Swamy, le film illustre la capacité de cette classe de banlieue à se saisir des codes culturels et linguistiques du théâtre classique français, contrecarrant ainsi en actes le présupposé suivant lequel ce terreau culturel leur serait inaccessible ou inconnu 13.
La thèse qui postule que l’école et la représentation de la transmission d’un héritage culturel permettraient de renouveler les normes de représentation dans les films de Kechiche est souvent assortie d’une lecture comparative à partir d’un corpus de films, à l’aune des étiquettes – par ailleurs problématiques – de « films de banlieue » ou de « cinéma beur ». Ainsi, L’Esquive renouvellerait le genre des « films de banlieue » en évitant le schéma classique d’une confrontation d’espaces sociaux fondée sur un déplacement des protagonistes dans Paris intra muros, caractéristique de La Haine (Mathieu Kassovitz, France, 1995), par exemple 14. Carrie Tarr, quant à elle, propose une analyse de L’Esquive parmi d’autres films français qui se déroulent en milieu scolaire, à l’image d’Entre les murs (Laurent Cantet, France, 2008) ou Le Plus beau métier du monde (Gérard Lauzier, France, 1996), en indiquant que le film « dévoile aux spectateurs les ambiguïtés et les contradictions d’un système qui ne garantit pas l’éducation ou l’intégration pour tous » 15. Dans un article qui considère le film de Kechiche comme la reproduction du mythe « rassurant » de l’universalisme républicain et d’une école « pour tous », Geneviève Sellier le compare, du moins dans son substrat idéologique, au documentaire Être et avoir (Nicolas Philibert, France, 2002) dont le ton nostalgique tend à valoriser une conception traditionnelle et passéiste de l’instruction publique 16.
Ainsi, plusieurs chercheurs et chercheuses soulignent l’ambivalence qui accompagne la représentation de l’école dans L’Esquive. Pour Swamy, la présentation de la salle de classe comme un « espace positif » peut donner l’impression que le film célèbre un « cadre idéologique républicain » 17, alors même que cette lecture est contredite par l’exclusion finale de Krimo qui n’arrive pas à répondre aux exigences de l’école – parce qu’il ne parvient pas à incarner le texte de Marivaux – et de ce fait se trouve exclu de l’espace public et collectif qui abrite le spectacle de fin d’année présenté au terme du récit. Suivant Leon Sachs, la force du film réside dans sa capacité à articuler deux points de vue opposés sur l’école républicaine (progressiste vs conservateur) qui transparaîtraient dans les deux principales séquences en salle de classe dans lesquelles le propos du film serait délégué à la figure de l’enseignante – nous y reviendrons 18.
Le statut ambivalent de l’enseignement et de ses promesses d’émancipation dans L’Esquive en vient presque à constituer un lieu commun dans le contexte de la recherche. Cela dit, la plupart des analyses se fondent sur des observations portant sur la trame narrative du film, les relations entre ses protagonistes ou encore leur représentation. Mais selon notre hypothèse, l’image ambivalente de l’enseignement dans les films de Kechiche découle en grande partie de leur inscription singulière au sein de la structure énonciative des films. C’est en partie l’autorité que ces films accordent à la « voix du Maître », ou plus exactement aux voix des maîtres – à savoir les enseignant.e.s et académiciens qui peuplent l’espace diégétique –, qui détermine la valeur symbolique que ces films, en tant que productions culturelles, octroient à l’enseignement, et plus spécifiquement à l’enseignement public.
Scènes d’école
Si la majorité des séquences de L’Esquive se déroulent en extérieur, devant l’entrée des bâtiments de la cité HLM où se situe l’intrigue (Fig.1), sur la place de jeu qui sert de terrain de répétition (Fig.2) ou dans quelques espaces intérieurs (comme l’appartement de Krimo, fig. 3), les scènes en salle de classe ponctuent cependant le récit. On compte trois séquences en milieu scolaire, dont la plus longue apparaît au milieu du film, à un moment pivot de la trame narrative alors que Krimo, qui est « tombé amoureux » de Lydia (Sara Forestier) – suivant l’expression que nous devons à Marivaux –, attend une réponse de sa part.
La première séquence d’école transpose les répétitions de théâtre que le spectateur a déjà vues en extérieur dans la salle de classe [25ème minute] ; elle est marquée par la fameuse tirade de l’enseignante qui indique, en réponse à la question d’une élève et en référence au jeu de dupe de la pièce jouée (dans laquelle les valets jouent les nobles, et réciproquement) qu’on n’échappe jamais à sa condition sociale (Fig.4). La deuxième séquence [51ème minute] nous présente la première tentative infructueuse de Krimo d’incarner le rôle d’Arlequin qu’il a « acheté » à son ami Rachid (Rachid Hami). Finalement, la dernière séance en classe [67ème minute] vient sceller l’échec de Krimo qui finira par quitter la salle, suite aux invectives de l’enseignante qui sort de ses gongs face à l’incapacité du jeune homme à répondre aux exigences du jeu théâtral (Fig.5).
Notons que l’école réapparaît à la fin du film, à l’occasion de la séquence du spectacle scolaire qui occupe une place importante dans le dénouement de l’intrigue (104ème – 116ème minutes). Placée au terme du récit, cette séquence y joue un rôle central et réorganise la perception et la compréhension de l’ensemble du film, par sa valeur de « clôture ». Elle dure à elle seule plus longtemps que l’ensemble des séquences en classe combinées (Fig.6).
Malgré leur place « minoritaire » en termes de durée, ces séquences jouent cependant un rôle central, notamment d’un point de vue narratif. Elles suivent ou précèdent des scènes pivot, elles marquent des changements d’état des personnages, voire des points de rupture (le renoncement de Krimo face à l’exercice théâtral). D’un point de vue énonciatif, elles servent à consolider le procédé de mise en abyme ainsi que le jeu de résonances que le film construit sciemment entre les personnages de la pièce de Marivaux et les adolescents qui la jouent. À ce titre, ces séquences, autant que la parole de la maîtresse, assurent une fonction métadiscursive, tant le discours développé sur l’analyse de l’œuvre théâtrale s’adresse également aux spectateurs du film lui-même 19. Ces logiques d’imbrications et de renvois, notamment en regard des registres de langage, ont déjà fait l’objet de nombreux commentaires.
On peut par ailleurs noter que le même procédé apparaît dans La Vie d’Adèle. Ce film s’ouvre sur le trajet à l’école du personnage principal, Adèle, suivi d’une séquence en classe [2ème minute] qui s’amorce par la lecture d’un extrait de La Vie de Marianne (Marivaux, 1731–1742) auquel le film emprunte la structure du titre (Fig.7–11). La lecture polyphonique du texte est filmée en plans rapprochés, caméra à l’épaule, individualisant – par la voix et l’image – les différents membres de la classe, pour ensuite situer le personnage d’Adèle dans ce contexte et signifier son intérêt par des signes d’écoute répétés (regard attentif, hochement de la tête, reprise à voix basse des paroles de l’enseignant). La lecture d’extraits donne ensuite lieu à une lecture de texte guidée par l’enseignant portant sur la nature des rencontres amoureuses et sur la prédestination (à partir d’une comparaison avec La Princesse de Clèves).
Une autre séquence en classe intervient plus tard dans la première partie du film [32ème minute] donnant exclusivement la parole à l’enseignante et à son analyse du personnage d’Antigone, associée aux caractéristiques de la tragédie (et en premier lieu à l’« inéluctable »). Ces deux séquences produisent un effet similaire d’accompagnement du récit et de coloration de la trame narrative, en offrant une grille de lecture pour envisager le récit d’initiation d’Adèle et sa rencontre amoureuse, au prisme du canon institutionnalisé de la littérature française – telle qu’elle est enseignée au Lycée 20. La place de choix qui y est réservée à la littérature, et majoritairement aux « classiques » nationaux, rapproche le film de l’imaginaire de l’école républicaine dans lequel l’apprentissage par le canon littéraire, voire sa « vénération », constitue une caractéristique majeure 21.
Mais c’est aussi les exercices eux-mêmes qui s’inscrivent profondément dans la tradition de l’école publique française dès la Troisième République : d’une part, la récitation, caractéristique du « modèle catéchistique de la transmission du savoir » 22prôné par l’école républicaine, et d’autre part « l’explication de texte » qui constitue également un modèle étroitement rattaché à l’idéologie de l’école républicaine 23. À ce titre, la fonction de l’école telle qu’elle transparaît dans les films de Kechiche se rapproche davantage de sa conception au XIXe siècle, alors qu’elle était perçue comme un instrument devant aboutir à l’éveil moral et civique des élèves, tandis que l’école contemporaine vise principalement à garantir « l’employabilité » des futurs travailleurs, suivant les termes en vigueur aujourd’hui 24.
Dans la seconde partie de La Vie d’Adèle, les séquences scolaires se déroulent à la maternelle puis à l’école primaire (classe de CP 25), alors que le personnage d’Adèle, suite à ses études et suivant ses aspirations, est devenue institutrice 26. Si la littérature et les modèles pédagogiques de l’école républicaine semblent disparaître dans ces séquences en crèche, la première d’entre elles s’ouvre néanmoins sur la lecture d’un livre illustré [102ème minute, fig. 12]. Après la séparation d’Emma et d’Adèle, le changement de poste de cette dernière qui devient institutrice dans une classe de CP permet de réintroduire l’étude de la langue, à travers l’exercice de la dictée [149ème minute, fig. 13–14], et la littérature, avec la récitation [167ème minute, fig. 15].
Si l’on peut être tenté de percevoir les premiers films de Kechiche comme constitutifs « d’un mouvement de réappropriation de la population d’origine maghrébine de sa propre représentation » 27, il n’en demeure pas moins que cette représentation s’opère au prisme d’un imaginaire de l’école républicaine, teinté des idéaux des Lumières, qui se construit sur la transmission d’un canon littéraire – français – à travers des pratiques spécifiques, comme la récitation ou l’explication de texte. Le « recadrage » qui s’opère se réalise donc au prix du réinvestissement d’un imaginaire « républicain » qui perçoit et désigne l’école comme le moyen d’accéder à la connaissance, de donner du sens aux expériences (amoureuses) subjectives et, le cas échéant, comme maillon capital de l’« ascenseur social ». L’Esquive, en célébrant la capacité des adolescent.e.s de banlieue à se saisir du texte de Marivaux et en l’instaurant en cadre d’intelligibilité pour percevoir et apprécier les tribulations amoureuses des protagonistes, participe de ce réinvestissement.
Dans la Vie d’Adèle, outre le statut de cadre d’intelligibilité surplombant qui est une fois de plus accordé au canon littéraire français, les aspirations professionnelles d’Adèle dans le domaine de l’éducation s’inscrivent dans le réseau d’attributs valorisés par le film et rattachés à la classe populaire dont le personnage est issu, en opposition au capital culturel et symbolique bourgeois qu’incarne le personnage d’Emma 28. La simplicité et l’authenticité du personnage passent également par ses objectifs professionnels, incompris et dévalorisés par Emma et son entourage ; sa volonté d’être une simple « hussarde noire » de la République qui va jusqu’à s’investir pour des élèves en difficulté durant l’été (les classes qu’elle préfère, dira-t-elle à Emma), loin des aspirations « prestigieuses » d’Emma.
Maître à l’écran : double énonciation ou surénonciation ?
Suivant Leon Sachs, le discours sur l’école que porte L’Esquive se condense dans les deux prises de parole de l’enseignante durant les séquences en classe. L’auteur présente les modalités à travers lesquelles le discours filmique construit ce personnage en figure d’autorité, en ajoutant ensuite que « l’autorité de l’enseignante vient également du fait que sa voix est aussi celle du réalisateur » 29. Ainsi, les consignes aux élèves quant à l’analyse de la scène de Marivaux s’adresseraient également aux spectateurs du film en référence à la séquence qui précède. Le procédé de « fusion entre l’enseignante et le réalisateur » 30produirait une forme de « double énonciation » dans la mesure où les interactions enseignantes/élèves seraient également le site d’un échange « direct » entre le réalisateur et les spectateurs 31. Dans une perspective auteuriste, le réalisateur nous « parlerait » donc à travers la figure de l’enseignante, par le biais de deux prises de parole contradictoires, offrant chacune une lecture différente de la pièce de Marivaux, et, par extension, de l’école républicaine. Cette tension dialectique à l’œuvre dans le film serait par ailleurs « résolue », nous dit Sachs, à travers la mise en scène finale du poème La Conférence des oiseaux de Farid al-Din Attar, porteur des idéaux universalistes républicains sans être pour autant inscrit au sein du canon culturel national 32.
S’il nous semble indéniable de percevoir une ambivalence dans la représentation de l’école au sein de L’Esquive, allant de pair avec le statut énonciatif singulier accordé par le film à « la voix de la Maîtresse », il nous paraît toutefois hâtif d’affirmer que le réalisateur – Kechiche – nous « parlerait » à travers le discours de l’enseignante. Cela revient d’une part à entretenir une confusion entre locuteur et énonciateur, mais aussi à nier l’imbrication des modes de discursivité à l’œuvre dans le film qui complexifie le rapport entre la prise de parole d’un personnage et l’instance énonciative du film (le « méga-narrateur » 33, chez André Gaudreault). À ce titre, le « site du film » comme lieu d’élaboration d’un discours n’a plus grand-chose à voir avec son réalisateur, en l’occurrence Abdellatif Kechiche, qui n’est qu’un acteur de son élaboration au sein d’une équipe de tournage étendue et d’un maillage de déterminations conjoncturelles, culturelles, sociales et techniques qui le dépassent largement. Pour analyser la place que le film octroie à l’enseignante et à sa parole, nous proposons de mobiliser les travaux d’Alain Rabatel sur les postures énonciatives et les notions de sur- et sousénonciation 34.
Le travail de Rabatel propose de développer une conception élargie de l’énonciation déjà « en germe chez [Émile] Benveniste », prenant en compte la distinction locuteur/énonciateur d’Oswald Ducrot 35, dans une perspective à la fois interactionnelle et dynamique des échanges langagiers et des productions culturelles. Cette approche, initialement ancrée dans des travaux en linguistique et portant sur les usages du langage verbal, comporte cependant plusieurs avantages qui suggèrent une adaptabilité dans le domaine des études cinématographiques. D’une part, son élaboration a déjà connu de nombreuses applications dans le domaine du théâtre (par Rabatel lui-même, notamment 36), et d’autre part, elle est aussi passée par l’analyse de textes illustrés, s’accommodant, sans trop de difficultés apparentes, à un matériau pluri-sémiotique qui comporte une dimension visuelle 37. Aussi, les travaux de Rabatel portent en large partie sur des interactions en contexte didactique, ce qui semble particulièrement adapté aux objectifs de notre étude. Les postures énonciatives, qui fondent cette « boîte à outils » théorique, « se définissent par la position qu’adopte un énonciateur dans l’expression d’un PDV [point de vue] » :
Le locuteur, instance de production physique de l’énoncé, est dissocié de l’instance modale – ou énonciateur – qui prend en charge le PDV en le considérant comme vrai, ou, à tout le moins, comme correspondant à sa manière de voir ; les deux instances se superposent souvent, mais doivent néanmoins être distinguées, théoriquement, car elles rendent compte du dialogisme foncier qui permet aux locuteurs d’exprimer des PDV avec lesquels ils ne sont pas toujours en accord 38.
La distinction locuteur/énonciateur est particulièrement utile dans le cadre du langage verbal pour envisager les postures adoptées par un énonciateur face au discours d’un locuteur qu’il cite, par exemple, ou pour étudier les postures énonciatives qui procèdent de situations conversationnelles donnant lieu à des discours co-construits, qui excèdent la prise en charge individuelle des différents locuteurs, ou encore dans un contexte de co-construction de savoirs. Au cinéma, cette distinction est complexifiée par l’absence de locuteur unique et englobant qui « produirait » l’énoncé filmique, même si l’on a tendance, par habitude idéologique et culturelle de l’attribuer au « cinéaste » (comme le fait Sachs supra).
Un film engage cependant une diversité de locuteurs figurés (l’ensemble des personnages qui parlent) et implique divers modes de discursivité qui lui sont spécifiques (mise en scène, mise en cadre, montage). Dans le cas présent, la question consiste à savoir quelle relation lie l’énoncé produit par l’enseignante au film, envisagé lui-même comme un énoncé pluri-sémiotique pris en charge par une instance énonciative. C’est ici que la typologie des postures énonciatives peut s’avérer utile. Rabatel les définit comme suit :
La coénonciation correspond à la co-construction par les locuteurs d’un PDV commun, qui les engage en tant qu’énonciateurs. La surénonciation est définie comme la co-construction inégale d’un PDV surplombant jouant le rôle de topique discursif. La sousénonciation consiste en la co-construction inégale d’un PDV dominé […] 39.
Notons d’abord que ces postures énonciatives peuvent opérer à différents niveaux dans un film. Elles peuvent d’une part caractériser les postures adoptées par les locuteurs figurés au sein de la diégèse dans le cadre des dialogues. Ainsi, l’enseignante de L’Esquive adopte-elle une posture surénonciative lorsqu’elle répond à l’interrogation de Lydia portant sur le jeu de sa camarade par la présentation d’un savoir institutionnalisé sur la signification de la pièce de Marivaux 40.
Dans la séquence introductive de La Vie d’Adèle, le maître assume davantage une posture sousénonciative, en invitant l’élève qui répond à sa question à développer son point de vue, en le validant et en relançant sa proposition par une question (« Pour toi, ce serait un regret ? ») et en reformulant son interrogation initiale à l’aune de la réponse de l’élève (« D’accord. Donc un regret c’est quelque chose en moins, dans le cœur ? »), puis, finalement, en se gardant de reformuler le propos de ce dernier sous la forme d’un savoir institutionnalisé (« D’accord, merci Eli »).
La notion de posture énonciative peut par ailleurs qualifier la relation qu’entretiennent les instances énonciatives proprement filmiques entre elles, ou avec les énoncés prononcés par les personnages, dans des situations monologiques ou dialogiques. Dès lors, une plus grande diversité de prises en charge énonciatives apparaît, permettant d’envisager des situations de prise en charge commune – mais cependant inégales – d’un point de vue entre l’instance énonciative du film 41et les prises de parole des locuteurs diégétiques.
Si l’on revient aux prises de parole successives de l’enseignante dans L’Esquive, on remarque alors qu’il s’agit moins d’y lire une prise de parole directe du réalisateur que la prise en charge partielle d’un énoncé verbal par l’instance énonciative du film. En suggérant la transposition de l’énoncé portant sur la pièce de Marivaux à la situation sociale des étudiant.e.s, à travers la succession de gros plans sur les visages des élèves, l’instance énonciative du film déplace la portée du thème notionnel (déterminisme social) vers le « ici et maintenant » de la salle de classe 42. Nous parlerions donc moins d’un dédoublement de l’énonciation que de l’apparition d’une instance sur-énonciative qui assume un énoncé co-construit par le discours de l’enseignante et la mobilisation singulière de modes de discursivité filmiques (principalement le montage et la mise en cadre).
Un exemple similaire de surénonciation apparaît dans la séquence en classe de La Vie d’Adèle, lorsque l’enseignante présente les caractéristiques de la tragédie, contenu pédagogique qui accompagne la lecture d’Antigone par les élèves. Quand l’enseignante érige l’inéluctabilité en critère définitionnelle de la tragédie (« La tragédie c’est l’inéluctable, c’est la chose à laquelle on ne peut échapper »), le film nous montre successivement Adèle puis Béatrice en gros plans (Fig.16–18). Dans la séquence suivante, les deux adolescentes se retrouveront devant la classe et leur discussion se terminera par un baiser qui marquera le début des expériences homosexuelles du personnage d’Adèle. La valeur prémonitoire du montage atteste l’investissement du discours filmique envers le discours de l’enseignante, tout en le déplaçant, une fois de plus, du champ de la littérature vers celui de l’expérience subjective du personnage.
La dernière séquence en salle de classe dans L’Esquive complète et complique cette exception énonciative accordée à la parole de l’enseignante. Ici, la parole de cette dernière, excédée par l’inexpressivité notoire de Krimo, le prend à partie directement, fustigeant son incapacité à incarner le personnage d’Arlequin :
« Essaye […] de sortir de toi, pour aller vers un autre langage ! […] Il doit y avoir du plaisir à sortir un peu de soi. Sors de toi ! […] Change de langage ! Change de manière de parler ! Change de manière de bouger ! Amuse-toi ! » 43.
La perte de maîtrise de l’enseignante ainsi que le malaise qui s’installe progressivement dans la salle de classe au fil de la séquence, renforcés par la succession de très gros plans et de tremblements marqués, tend à mettre à mal l’hypothèse d’une prise en charge du discours de l’enseignante par l’instance énonciative du film. On peut certes y voir avec Sachs l’expression d’un républicanisme « traditionnel », voire réactionnaire, qui prône un universalisme dans l’apprentissage de la culture, nécessitant une forme d’aliénation à soi, prônée sans considération pour la distance relative qui sépare les élèves – en fonction de leur capital culturel et de leur ancrage sociodémographique – des normes plus ou moins tacites sur lesquelles reposent les savoirs transmis. Cela dit, la prise en charge du discours de l’enseignante par l’instance énonciative du film est moins nette que dans le cas de la première séquence en classe de L’Esquive. Nous pourrions postuler que nous sommes ici face à un énoncé filmique sousénoncé 44, puisque la parole de l’enseignante est mise à distance autant par son état émotionnel que par le fait qu’elle s’en prend directement à Krimo, personnage principal du film, construit jusque-là comme l’un des principaux pôles d’identification pour le spectateur.
L’ambivalence de l’école et de l’enseignement dans L’Esquive apparaît également dans la bifurcation des trajectoires des adolescent.e.s, entre Krimo, d’une part, et ses camarades de théâtre, d’autre part. Si le premier s’avère incapable de « changer de langage » et de prendre possession des codes du théâtre classique français, ses camarades y parviennent et le film lui-même documente cette réussite. La représentation de la pièce au terme du film vient sceller cette réussite alors qu’on voit l’enseignante, heureuse et fière de ses élèves lorsque ces derniers saluent le public au terme de leur performance (Fig.19–20). Cette piste narrative est cependant contrastée au sein du film par l’exclusion de Krimo, qui guette ses camarades depuis l’extérieur de la salle de spectacle de l’école, exclu du projet d’inclusion républicaine (Fig.21). Si L’Esquive célèbre la réussite du collectif tout en attestant l’échec de Krimo, ce regard contrasté sur la capacité inclusive de l’école républicaine est néanmoins construit en intégrant la « parole du maître » comme relais fondamental de l’instance énonciative du film, réinvestissant ainsi les imaginaires fantasmés de l’école publique et de sa dette envers l’idéologie universaliste des Lumières.
Une telle ambiguïté est absente de La Vie d’Adèle où l’école est doublement célébrée. D’abord, par son inscription dans un système de surénonciation à travers lequel l’instance énonciative du film relaie et augmente la parole du Maître, faisant de la récitation du canon littéraire national et de « l’explication de texte » une grille de lecture imposée pour lire et décoder l’intrigue et les tribulations des personnages. Comme nous l’avons indiqué précédemment, l’école est également célébrée par l’intermédiaire de la vocation pédagogique d’Adèle qui participe pleinement de la valorisation du personnage tout au long du film.
Dans les deux films, la voix de l’enseignante bénéficie d’ailleurs d’un traitement particulier. Lors du spectacle scolaire à la fin de L’Esquive, les commentaires de la maîtresse adressés aux enfants qui interprètent La Conférence des Oiseaux donnent lieu à l’unique cas de déliaison entre point de vue et point d’écoute : la voix de l’institutrice est alors restituée en auricularisation interne : nous entendons la Maîtresse avec l’enfant, alors que cette dernière est située dans l’arrière-plan, ce qui tend à renforcer son statut d’autorité – et d’influence (« Abdelkrim, doucement », « Doucement les ailes ! ») 45.
Dans La Vie d’Adèle, les seuls cas de chevauchement de la piste sonore entre deux séquences apparaissent lors de transitions vers des séquences en classe. Dans la séquence de lecture du conte illustré, par exemple, le son des interactions entre Adèle et les enfants de la crèche déborde sur la séquence précédente, offrant ainsi un statut énonciatif singulier à cette séquence. Comme la plupart des séquences qui présentent Adèle en tant qu’enseignante, cette scène de crèche nous montre une institutrice motivée et empathique, en parfaite communion avec ses élèves 46. La seule difficulté apparente pour le personnage d’Adèle-enseignante découle de sa rupture avec Emma ; toute forme de difficulté dans l’exercice pédagogique, voire de critique du système scolaire français, est dès lors évacuée au profit de la relation amoureuse qui structure le film 47.
La voix du Maître déjouée : Vénus noire
Le statut privilégié de la parole du Maître apparaît également dans Vénus noire dont la séquence d’ouverture se déroule à l’Académie royale de médecine et nous présente in extenso le discours de Cuvier portant sur ses « découvertes » anatomiques réalisé à partir de l’observation puis de la dissection du corps de Saartje Baartman.
La présentation de l’exposé phrénologique en ouverture du film lui confère une place importante. La première voix que nous entendons est celle de Cuvier, dans la mise en scène d’un cours qui présente aux académiciens de 1815 un ensemble de résultats « scientifiques ». C’est ainsi une première « performance » qui nous est montrée, un spectacle académique qui met en scène le moulage inerte du corps de Saartje et qui préfigure l’ensemble des dispositifs de mise en scène qui structureront le film, suite à l’analepse qui nous conduit dans les salles de spectacle de Londres en 1810, puis dans les salons parisiens. Le premier plan d’ensemble qui ouvre la leçon de Cuvier nous présente le dispositif scénique dans son intégralité (Fig.22). Ici, les bancs d’école de L’Esquive cèdent leur place aux pupitres de l’auditoire de l’académie. Néanmoins, les procédés de filmage sont similaires : des plans serrés sur les visages des membres de l’auditoire, attentifs et admiratifs, succèdent aux plans qui cadrent Cuvier (Fig.23–25).
La position d’autorité de Cuvier est renforcée par l’apparente docilité de la caméra qui suit et soutient son discours. Lorsqu’il annonce avoir « l’honneur de présenter à l’académie les organes génitaux de cette femme », le film nous dévoile la moulure de Saartje alors qu’un mouvement panoramique vertical balaie son corps de la tête jusqu’au pubis (Fig.26–27). Lorsque l’anatomiste évoque « la nature de son tablier », un raccord dans l’axe nous présente en gros plan le bocal en formol qui contient les organes génitaux de Saartje (Fig.28–29).
Les spectateurs sont contraints de suivre l’exposé de Cuvier, augmenté d’un matériel iconographique que la séquence dévoile progressivement, au fil des descriptions anatomiques. L’effet de subordination des modes de discursivité filmiques est accentué par les actions et les gestes du peintre Jean-Baptiste Berré (Michel Gionti) qui officie en tant qu’aide naturaliste tout au long de la séquence, et qui accompagne la présentation du matériel iconographique à l’aide de sa baguette de conférencier, soutenant lui aussi les descriptions anatomiques de Cuvier.
Seuls deux plans viennent mettre à mal cette subordination apparente de l’instance énonciative du film : d’une part, lorsque Cuvier évoque le fessier des femmes boschimanes, la caméra quitte momentanément le postérieur du moulage de Saartje pour nous montrer son visage, avant de revenir sur celui de Cuvier (Fig.30–33). Ici, la fonction illustrative de la monstration filmique, calquée sur le contenu autant que la prosodie du discours de Cuvier tout au long de la séquence, est momentanément suspendue 48.
On peut repérer une tension similaire lorsque Cuvier interprète ses observations anatomiques à l’aune de la doctrine raciale et phrénologique [4ème minute]. Alors que Cuvier établit une comparaison entre le crâne de Saartje, celui du « nègre », et celui du « Kalmoulk », le film dévoile en gros plan trois visages (crânes !) de membres de l’auditoire, suggérant une piste de lecture alternative, comme si ces crânes d’hommes blancs pouvaient eux aussi se prêter à cet exercice de classification, le détournant alors de manière ironique (Fig.34–37) 49.
À l’exception de ces « saillies » énonciatives, qui annoncent dès la séquence d’ouverture la teneur du film à venir, les modes de discursivité filmiques opèrent au profit du « panoptisme anatomique » 50incarné par le discours de Cuvier. Cela dit, le film se construit ensuite en nette opposition à ce discours, en illustrant, avec une minutie comparable à l’application chirurgicale de Cuvier, les humiliations subies par Saartje Baartman au fil de ses mises en spectacle successives destinées au public occidental.
En termes de posture énonciative, nous sommes ici face à une sousénonciation particulièrement marquée et fondée sur une mise en scène singulière d’un dispositif pédagogique au sein de la diégèse. À l’image d’un professeur qui déciderait de « prêcher le faux pour atteindre le vrai » 51, le film s’ouvre sur la présentation frontale d’un « cadrage » du personnage de Saartje fondé sur la doctrine des races 52. L’exposé du film vient ensuite recadrer l’exposé inaugural de Cuvier. Ce jeu d’imbrication des discours est renforcé par la structure narrative du film qui s’achève par la dissection post-mortem de Saartje puis la préparation de l’auditoire en vue de la leçon de Cuvier, comme pour renvoyer le spectateur, suite au visionnement du film, au propos initial de l’anatomiste.
Le discours de célébration que nous avons repéré dans La Vie d’Adèle (et de manière plus ambivalente dans L’Esquive) n’est pas de mise dans Vénus noire, même si le film exploite lui aussi la figure d’autorité du Maître pour l’inscrire au cœur de sa stratégie énonciative. La valeur critique et commémorative de Vénus noire, autant que son statut de « fiction historique », le prémunissent peut-être d’un réinvestissement des imaginaires fantasmés de l’école républicaine. Si la transmission des savoirs joue un rôle clé dans plusieurs films de Kechiche, celle-ci s’opère toujours en regard d’un imaginaire français de l’école publique, pris en tenaille entre ses aspirations républicaines d’égalité et de liberté et sa fonction établie dès la Troisième République d’instrument capital de l’appareil d’Etat français.