Laure Cordonier, Faye Corthésy

Le temps du déplacement

Entretien avec Pierre-François Sauter autour de son film Calabria (CH, 2016)

Découvert en compétition internationale lors de la dernière édition du festival Visions du réel à Nyon, puis sélectionné dans la section « Panorama suisse » du festival de Locarno et en compétition officielle à Doclisboa et aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal, le nouveau film de Pierre-François Sauter Calabria a suscité l’enthousiasme à la fois du public et des jurys de professionnels : il a reçu à Nyon une mention spéciale, tandis qu’il a été couronné à Lisbonne du Grand Prix du meilleur film de la Compétition internationale.

Pour son deuxième long métrage1, Sauter a filmé le rapatriement du corps d’un émigré italien de Suisse au lieu d’origine du défunt, un petit village calabrais. Ce voyage vers la terre natale s’effectue en corbillard, en compagnie de deux employés d’une entreprise de pompes funèbres : José, un Portugais passionné de culture, et Jovan, un musicien de Belgrade, eux aussi émigrés en Suisse. Partant de ce sujet grave, Calabria se tourne vers la vie : les discussions entre José et Jovan, qui forment un duo irrésistible, dissèquent avec humour et délicatesse les joies et les questionnements de l’existence ; et les visages et les gestes des deux collègues, omniprésents à l’écran, tiennent en haleine tout au long de l’expédition.

Intrigué par ce film qui se singularise dans la production documentaire suisse, Décadrages s’est entretenu avec son réalisateur, établi à Lausanne. Sauter revient sur cet étonnant road movie, où la route est hors-champ, pour laisser libre place aux rapports humains.

PROCESSUS

Il y a sept ans entre Face au Juge (2009) et Calabria . Est-ce lié à des difficultés de financement du projet ?

Le projet de Calabria date en fait d’avant Face au Juge , ça fait un peu plus d’une dizaine d’années. Oui, on a eu des difficultés à financer Calabria . Après un refus, au tout début du projet, on a dû tout arrêter. C’est suite à ce refus que j’ai fait Face au Juge . Et Face au Juge m’a demandé beaucoup de temps, notamment parce que je me suis occupé de la distribution tout seul   : durant une année à peu près, j’ai tourné dans les cinémas, je suis allé discuter avec le public, participer à des dé bats, présenter des séances scolaires, etc.

En 2010, j’ai remis en route le projet de Calabria . J’ai repris contact avec des entreprises de pompes funèbres, j’ai fait une sorte de casting général dans toute la Suisse romande. J’ai rencontré et interviewé à peu près quatre-vingts employés dans différentes entreprises de pompes funèbres, et j’ai passé énormément de temps avec eux, à les suivre dans leur travail. Petit à petit, je me suis concentré sur une entreprise lausannoise, et je me suis intéressé en particulier à José et Jovan. Ensuite, il a fallu attendre qu’il y ait un rapatriement par route en Italie, ce qui n’arrive pas fréquemment.

Après l’univers juridique dans Face au Juge, tu as choisi un autre microcosme socio-professionnel d’ordinaire peu connu et peu visible. Est-ce que tu voulais continuer cette exploration des coulisses de notre société ?

Oui, je pense. Sur l’univers des pompes funèbres, il y a eu des films, notamment des reportages de télévision, mais qui se concentraient plus sur les rapports avec les familles – des éléments qui sont plus visibles et plus connus. Pour ma part, je me suis directement intéressé aux gens qu’on ne voit pas, à ceux qui travaillent en coulisses, ceux qui préparent les corps. Le rôle d’un film documentaire, pour moi, est de montrer quelque chose qui n’est pas vu, quelque chose d’inédit ou de caché, mais qui en même temps structure notre société. Quand je suis entré dans le milieu des pompes funèbres, je me suis rendu compte qu’il y avait là un mouvement perpétuel – des dizaines de personnes meurent chaque jour à Lausanne, mais c’est quelque chose de totalement caché, d’ignoré. C’est cette ambivalence qui m’intéressait.

Comment, justement, es-tu parvenu à entrer dans cette structure très fermée des pompes funèbres et à obtenir les autorisations pour y filmer ?

En vérité, le plus dur n’a pas tellement été d’obtenir les autorisations administratives, mais plutôt d’établir un rapport de confiance avec les gens pour dépasser les clichés sur les pompes funèbres. Les employés des pompes funèbres qui s’occupent des corps sont en général relativement méfiants et n’aiment pas tellement parler de leur métier. En plus, une partie de leur travail consiste à être en représentation : ils sont toujours en uniforme, ils portent les cercueils dans les cérémonies… Ils jouent un rôle, celui qu’ils imaginent que la société leur demande, et dépasser cela a été relativement difficile. C’est en passant beaucoup de temps avec eux – à partager un café, à les suivre dans leur travail… – qu’un lien de confiance s’est petit à petit établi. D’abord, je prenais des photographies, je les accompagnais dans le corbillard, j’observais les rapports qu’ils avaient avec les familles, avec les soignants, etc. J’ai ensuite fait un vrai stage en participant à leur travail. Ils m’ont mis un costume, une cravate, et je me suis retrouvé dans des enterrements à porter le cercueil avec eux. Et je pense qu’une complicité s’est nouée grâce à ces expériences partagées. On a appris à se connaître. Et tout le film repose sur cette confiance.

C’est une véritable immersion… Comment, à partir de ces expériences, as-tu ensuite construit ton « scénario » ?

J’ai écrit un scénario très précis, où je décrivais le déroulement du film sur environ 30 pages. En repérages, j’avais fait plusieurs rapatriements jusqu’au sud de l’Italie, avec des étapes précises dont certaines se retrouvent dans le film tel qu’il existe aujourd’hui. J’avais documenté ces voyages avec des photographies et des notes… Je connais bien cette autoroute ! On y a passé des weekends avec Nadejda Magnenat, qui est la productrice du film. J’avais préparé aussi une sorte de storyboard pour l’équipe et pour moi, avec des idées et des photographies que j’avais prises pendant les repérages. Je suis un peu fou peut-être (rires). Mais avec cette méthode, on arrive à avoir une sorte de catalogue de situations qui pourraient se présenter au moment du tournage. En n’étant pas préparé, on se fait vite absorber par la réalité. Dans des endroits comme les restauroutes, typiquement, quand tu arrives, il y a plein de gens, tu es très fatigué parce que tu viens de faire 800 km en voiture, et tu commences à filmer n’importe quoi. A mon avis, une préparation précise permet plus de spontanéité. Lors du tournage, il faut réfléchir à beaucoup de choses, et avoir cette structure de base permet de se concentrer sur ce qu’on filme en étant beaucoup plus libre.

Comment était composée l’équipe de tournage ?

Dans le corbillard, il y avait José, Jovan et moi, juste derrière eux, caché sur la banquette arrière, avec un retour vidéo. Derrière, une camionnette nous suivait avec le chef opérateur, l’ingénieur du son et deux assistants. J’ai vraiment passé tout le voyage avec José et Jovan, je ne les ai jamais quittés. C’était plus difficile pour l’équipe qui ne savait pas ce qu’il se passait dans le corbillard. A chaque fois qu’on s’arrêtait, il fallait qu’ils se remettent vite dans le mouvement, qu’ils comprennent la nouvelle dynamique.

J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec Joakim Chardonnens, le chef opérateur, qui s’est vraiment mis au service du projet. Il a lui-même réalisé un court métrage 2 , où il utilisait des plans fixes, assez larges – ce dont j’avais envie pour Calabria. J’avais des idées très précises pour le film et il a complètement accepté ma méthode de travail. C’était pareil pour le montage image et le montage son. Anja Bombelli, la monteuse, a plutôt l’habitude de prendre en charge des projets : elle reçoit des rushes, les regarde et monte, en général, avec une certaine marge de liberté. Pour ce film, il y avait une très grande masse de rushes et ça n’était donc pas possible de la laisser regarder l’ensemble du matériel, on y serait encore… J’ai donc tout dérushé avant le montage pendant plusieurs mois, en transcrivant chaque dialogue et chaque action à la seconde près… Après, au montage, j’ai indiqué à Anja précisément ce que je voulais prendre et ce que je voulais couper. Et elle a dû me faire confiance. La collaboration a très bien marché, mais c’était très différent pour elle de la liberté qu’elle a l’habitude d’avoir. J’étais aussi tout le temps avec Etienne Curchod, pour le montage son. Avec lui aussi, le travail a été formidable.

JOSÉ, JOVAN

L’affiche de Calabria (fig. 1) ne donne pas d’indices sur la nature documentaire du film, et les noms des « acteurs », inscrits au-dessus du titre, rappellent même plutôt une fiction...

Je voulais une affiche avec une dimension onirique, qui évoque l’idée du souvenir que le défunt aurait pu avoir de la Calabre… J’ai imaginé l’affiche en jouant sur l’ambiguité entre fiction et documentaire. Pour moi, un film est un film, peu importe que ce soit un documentaire ou une fiction. C’est du cinéma et ça c’est le plus important pour moi. Certains professionnels ont d’ailleurs visionné le film au moment du montage en croyant qu’il s’agissait d’une fiction, avec des acteurs. De la part du public aussi, il y a eu des réactions étonnantes. A Locarno, par exemple, certains spectateurs ont félicité José et Jovan pour leur jeu. Cette confusion est revenue très fréquemment.

José et Jovan sont-ils pour toi des « personnages », au sens fictionnel du terme ?

Je n’aime pas tellement dire « personnages », pour moi ce sont José et Jovan. On était tout le temps ensemble durant le tournage, et ce sont devenus des amis. En visionnant le film, José, Jovan, et leurs familles respectives, ont trouvé qu’ils apparaissaient de manière fidèle à ce qu’ils sont dans la « vraie vie ». En même temps, il s’agit bien sûr d’une construction, d’un montage… J’ai privilégié ce qui m’intéressait chez eux, en insistant davantage sur certains points, en dirigeant leur conversation, par moments, ou en les mettant en scène dans des décors que j’avais préalablement choisis. En ce sens-là, il s’agirait de « personnages ».

Es-tu fréquemment intervenu en cours de tournage ? Peut-on parler de « direction d’acteurs », avec toute la nuance que nécessite cette expression dans ce cas précis ?

Pour le tournage des séquences, on faisait généralement plusieurs prises avec des ajustements entre elles ou même des changements importants. Comme sur tous les tournages, finalement. Plusieurs discussions ainsi que les passages chantés ont été répétés. Pour les chansons, on a travaillé des mois avant le tournage. Je disposais d’une liste de titres et je les « déclenchais » dans le corbillard : je savais à quels endroits du trajet je voulais que Jovan commence à chanter certaines chansons. Quant aux discussions, certaines sont entièrement spontanées, alors que pour d’autres, j’intervenais en les orientant vers des thèmes qui m’intéressaient et dont on avait déjà discuté ensemble. Il m’est aussi arrivé de leur faire rejouer un passage si je ne le trouvais pas bien au niveau des expressions. Je me souviens d’un moment en particulier, qui n’est pas dans le montage final, où j’ai demandé à Jovan de penser à sa mère quand il chantait dans la nature. A la fin, il était en larmes, c’était incroyable. Dans ce cas particulier, on peut parler, je pense, d’une sorte de direction d’acteur.

Ce qui est certain, c’est que tant José que Jovan ont une sorte de « photogénie » et d’aisance face à la caméra, qui était essentielle au projet. José me fait penser à certains acteurs connus… Il comprenait instantanément ce que j’attendais au tournage, de façon très naturelle.

Comment et pourquoi as-tu choisi José et Jovan ? Les origines des deux hommes ont-elles été décisives ?

Au tout début du projet, c’est le rapatriement à l’étranger qui comptait pour moi. Je tenais à filmer le voyage de retour d’un mort étranger, venu travailler en Suisse. Concernant les deux conducteurs, je n’avais pas en tête des nationalités précises – j’ai d’ailleurs aussi casté des employés suisses. Mais il est vrai qu’au final, les origines de José et Jovan apportent quelque chose de plus.

Pour le casting, j’ai mené de nombreuses interviews. Quand j’ai rencontré Jovan, il a évoqué le fait qu’il était musicien à Belgrade avant de venir en Suisse, et j’ai immédiatement eu envie de faire le film avec lui… et lui aussi ! Les possibilités narratives offertes par les chansons m’intéressaient beaucoup – c’était une opportunité formidable. Jovan était donc au centre du projet depuis notre rencontre. José est arrivé plus tard. Ce qui m’intéressait chez lui, c’était sa personnalité et ses origines portugaises, qui renvoient à une réalité de l’émigration en Suisse. Et on a aussi une proximité culturelle, des références communes, comme j’ai grandi au Mozambique...

L’alchimie entre José et Jovan est rapidement perceptible dans le film. Les as-tu fait jouer ensemble au préalable ? Comment pouvais-tu être certain que leur duo allait fonctionner ?

En les observant, à la cafétéria ou quand on allait chercher un corps à l’hôpital par exemple, je savais que leur duo allait fonctionner. Ce qui m’importait était de présenter deux pôles quasi opposés, un extraverti plutôt positif et croyant, face à quelqu’un qui est davantage dans la retenue, qui a plus de doutes et, surtout, qui ne croit qu’en ce qu’il voit. Il fallait que ce soit posé rapidement dans le film – c’est le cas lors d’une de leurs premières discussions, à propos de la foi. Ce type de « paires » est assez traditionnel au cinéma…

EXIL, RACINES

José et Jovan sont tous deux des émigrés en Suisse. Dans le film, tu évites une vision assez courante de l’émigration, parfois un peu misérabiliste, et politique. Etait-ce délibéré ?

C’est clair que ça n’est pas la façon commune d’aborder ce sujet. Mais choisir ce sujet et le montrer de cette manière, précisément, me semble hautement politique ! C’est justement cette question du point de vue qui m’intéresse dans la réalisation d’un film. A mon avis, le point de vue qui est généralement adopté dans les films sur l’« émigration » me semble trop souvent conforter des clichés et ne s’adresser qu’aux personnes déjà intéressées par le sujet. Par ailleurs, j’ai l’impression que quand on parle des « émigrés », c’est presque toujours une catégorie de personnes anonymes. Or, quand on rencontre ces gens, qu’on passe du temps avec eux et qu’on s’intéresse à eux, à chaque fois, on se rend compte qu’ils ont des parcours différents, singuliers, qui sont beaucoup plus intéressants que les clichés.

De mon point de vue, un film devrait parvenir à dire autre chose que ce qui est communément admis pour tenter d’ouvrir des perspectives et toucher tout le monde. Je pense que les films devraient avoir une portée artistique, et poétique, plus qu’informative. En partant de l’émigration, je cherche à montrer quelque chose qui touche plus au destin humain et aux questions qu’on se pose tous au sujet de nos existences. Les chansons qu’interprète Jovan dans le film vont dans ce sens. Dans son énorme répertoire de chansons des Balkans, on a cherché ensemble celles qui abordaient les thèmes qui m’intéressaient, celles qui parlent plus de la condition humaine… Le terme est peut-être un peu fort, mais je cherchais à réaliser un film qui ait une portée universelle.

Les premiers plans du film sont des images d’archives, qui montrent des saisonniers travaillant en Suisse dans les années 1970 (fig. 2-3). Le film s’ancre donc, avant le générique, dans un contexte historique et politique, même s’il est peu présent par la suite.

La plus grande partie des images utilisées dans cette séquence ont été filmées par Alvaro Bizzarri, un Italien qui est lui-même venu travailler en Suisse sur les chantiers. Je suis tombé un peu par hasard sur les DVD réunissant ses films, édités par Alex Mayenfisch, en collaboration avec la Cinémathèque suisse 3 . Ces images décrivent une réalité historique : la problématique des saisonniers dans les années 1960-1970, qui sont arrivés en Suisse après avoir quitté le sud de l’Italie et l’Espagne. Ce qui m’intéressait avec ces images, c’est qu’elles situaient le film dans une perspective historique et qu’elles lui donnaient un point d’ancrage temporel.

En fait, quand j’ai entamé des repérages aux pompes funèbres, j’ai aussi commencé en parallèle un travail avec des retraités italiens à Renens. Je les rencontrais dans des centres italiens et ils me parlaient de leur arrivée en Suisse. Depuis le début du projet, je voulais établir un lien entre ces personnes et le rapatriement. Au final, il n’y a pas d’images de ces retraités dans le film, mais ces images d’archives sont pour moi une sorte d’hommage à ces saisonniers, et plus directement au mort transporté dans le corbillard. Ces images, je les ai pensées aussi comme un prologue : j’aimais l’idée qu’elles ouvrent le film, pour que par la suite, pendant le voyage, le spectateur puisse y repenser, par exemple quand José et Jovan parlent de l’amour – qu’elles fonctionnent comme une sorte de réservoir de mémoire.

Les archives apportent aussi l’idée que ces parcours de migration existent depuis longtemps. C’est une sorte de leitmotiv de l’histoire.

Exactement. Il y a tout le temps eu des gens qui chan geaient de pays en fonction d’impératifs vitaux ou économiques, qui se déplaçaient, allaient chercher du travail, une vie meilleure ailleurs. C’est une manière de l’évoquer.

Jovan, qui a une trentaine d’années, a vécu – on l’imagine – la guerre de Yougoslavie. Celle-ci n’est jamais évoquée dans le film : est-ce parce que lui-même en parle peu ou as-tu choisi volontairement de l’évincer ?

Non, je ne l’ai pas évincé ; il n’en parle jamais. C’est un sujet sans doute délicat, un peu tabou pour lui. Il vient de la Voïvodine, il est serbe et tzigane. J’imagine que la guerre a soulevé des problèmes dont il préfère ne pas parler.

Lié à l’exil, le film aborde aussi la question des racines, de façon parfois symbolique, comme dans cette très belle séquence où José et Jovan arrachent des plantes pour les emporter avec eux (fig. 4)… Il y a la terre, l’endroit d’où l’on vient, celui où l’on construit sa vie, et en même temps le mouvement perpétuel que décrit le film, qui est un road movie.

Pour moi, cette dialectique correspond à celle qu’on expérimente tous : on est perpétuellement en changement, en mouvement – il n’y a pas d’état stable. On est peut-être plus ou moins installé à un endroit, mais le monde continue à tourner autour – il n’y a pas d’endroit figé non plus. J’aime cette idée d’un mouvement perpétuel.

Par rapport à la terre, et au lieu où l’on est enterré : durant la phase de préparation, j’ai parlé avec plusieurs anthropologues, et je me souviens de l’un d’entre eux qui a travaillé sur les rapatriements de Portoricains morts à New York et qui voulaient être enterrés à Porto Rico, quitte à dépenser des sommes astronomiques pour être rapatriés. D’après cet anthropologue, le rapatriement est un voyage géographique bien sûr, mais aussi imaginaire et temporel : un retour vers le pays de l’enfance, qui n’existe plus que dans l’esprit de la personne qui demande à être rapatriée. C’est quelque chose qui m’a beaucoup intéressé pour le film. On reste tous attachés à notre enfance ou à des lieux qui nous ont formés mais qui ont disparu ou se sont transformés, et on continue d’évoluer avec toute notre vie durant.

TRAJET, MOUVEMENTS, DURÉE

Dans la première partie du film, aux pompes funèbres, l’atmosphère est très froide, morbide : le ton des images est froid, les pièces sont constamment fermées, l’environnement est stérilisé (fig. 5-6). A l’inverse, à la fin du film, en Calabre, il y a une ouverture sur la nature, ses couleurs chaudes et ses bruits, sur la mer et les gens (fig. 7). La mise en scène décrit ainsi un trajet qui va de la mort à la vie, à l’inverse de notre condition. C’est particulièrement appuyé quand, après l’enterrement, José et Jovan reprennent la route en direction de la Suisse avec des oranges dans le coffre à la place du cercueil (fig. 8)…

J’aimais beaucoup l’idée que le décès de quelqu’un puisse ouvrir des perspectives de vie pour deux autres personnes. La mort de cet homme d’origine italienne, venu travailler et vivre en Suisse, permet à José et Jovan de mieux se connaître, de faire des rencontres et de profiter de la vie. J’ai construit le film de façon à ce que ceci apparaisse lors du montage.

Quant à l’univers clos des pompes funèbres, il correspond à une réalité que j’ai observée : en suivant les employés dans leur travail, j’ai été frappé par le fait qu’ils ferment tout le temps portes et fenêtres pour que les voisins ne les voient pas. Ils circulent véritablement dans un univers clos. Bien sûr, ils sortent parfois fumer leur cigarette, manger leur sandwich, etc., mais en général, ils sont dans cet environnement fermé. Et quand ils sortent des pompes funèbres, c’est dans le corbillard, pour aller à la morgue… Je suis resté fidèle à cette réalité, même si parfois j’ai demandé à fermer une porte ou une fenêtre pour l’accentuer. Et Joakim, le chef opérateur, demandait souvent de couper l’éclairage des néons, ce qui a donné des lumières naturelles assez belles.

Il y a aussi toute la construction sonore. Au début du film, les bruits des chariots, des gants, etc. liés au travail avec les corps sont très présents, tandis que les employés échangent très peu de paroles. A partir du moment où José et Jovan partent en corbillard, les langues se délient. Et à la fin, on retrouve beaucoup de bruits, mais qui cette fois sont ceux de la nature. Le travail sur le son soutient l’évolution du récit.

Oui, on y a beaucoup travaillé avec Etienne [Curchod] lors du montage son. Mais là aussi, ceci part des ambiances que j’ai entendues dans les différents environnements, et qu’on a cherché à respecter. Concernant les paroles par exemple, souvent José et Jovan ne parlent effectivement pas durant le travail ; ils sont plongés dans leur tâche. Après, j’aimais bien l’idée que la parole commence à se développer seulement quand ils sont en voyage, et qu’elle les rapproche l’un de l’autre au fur et à mesure de leur progression vers la Calabre.

Le film décrit un mouvement, mais il y a un choix formel fort et, d’une certaine manière, simple : des plans frontaux et statiques, et très peu de découpage au sein des scènes.

Il a fallu trouver un rythme propre au film, et c’était un rythme plutôt lent, qui s’établit à partir de cette scène au début où ils vont chercher le corps d’un mort. J’avais envie de plans assez longs, parce je trouve que dans la durée d’un plan, quelque chose se passe qui m’intéressait pour ce film qui est lié à la mort et à la vie. Les plans longs donnent une sorte de densité, de profondeur, qu’on aurait cassée tout de suite si on avait filmé de plus près, ou en faisant du découpage – ce serait devenu anecdotique. Alors que quand, par exemple, un camionneur sur une aire d’autoroute explique à José et Jovan où dormir, quelque chose d’intéressant émerge dans la durée, par cette intensité. Et je voulais que ce soit frontal tout le temps, qu’on ne s’amuse pas à tricher avec des plans de coupe – de la même façon que le son est tout le temps in. Il y a un seul moment qui est monté de façon, disons, plus « traditionnelle » : la réunion aux pompes funèbres avant le départ, qui prépare le voyage. Avec une vingtaine de personnes autour de la table, on ne pouvait pas faire autrement.

Ta position est bazinienne : respecter « l’ambiguïté du réel » par le plan-séquence.

Oui, si l’on veut. Et ce qui est fou, c’est qu’en tournant de cette manière, on laisse la place à des choses surprenantes. Par exemple, il y a une séquence dans le film où José et Jovan s’arrêtent à une station-service, et la vendeuse au comptoir, quand ils vont payer, les prend pour deux frères. Pendant le tournage, on est arrivés à cette station-service, on a observé ce qu’on pouvait filmer, et on a demandé à cette dame si elle était d’accord de participer au film. Ensuite, une fois qu’on avait installé la caméra, le plan fixe depuis l’extérieur (fig. 9), José et Jovan, qui n’avaient pas encore fait le plein, sont arrivés, ont pris de l’essence et sont allés payer vers la vendeuse. Ce qu’elle a dit, je ne pouvais pas le prévoir, et je ne l’ai découvert d’ailleurs qu’au moment du visionnement des rushes. Je pense que si on avait découpé la scène, on aurait perdu toute cette intensité, et ce serait devenu quelque chose de presque sans intérêt.

Mon souci, avec ces choix, c’est de faire en sorte que le spectateur travaille en permanence : avec un plan large, il a une liberté de regard, il travaille, il imagine. Le plus important pour moi, c’est que les spectateurs puissent participer à l’expérience du film et qu’ils aient le sentiment du voyage avec José et Jovan. On aurait pu faire un film plus court, je pense, mais il fallait résister à cette norme d’efficacité qui me dérange beaucoup dans certains films que je vois actuellement. Il fallait s’accorder cette liberté, ce temps, pour tendre à une certaine poésie. Les gens sont prêts, je pense, si on leur fait des propositions, disons, différentes, à participer à l’expérience qu’offre un film. C’est ce que j’ai découvert lors des premières projections en festivals – les gens participaient vraiment, c’était incroyable. A Locarno, une spectatrice, en sortant de la salle, m’a dit : « Mais je pensais qu’il y avait le retour ! » (rires).

VOITURE, DISPOSITIF

Il y a aussi les tunnels qui donnent un rythme au film : le rythme de l’autoroute.

Exactement. Il y a d’autres autoroutes qui ont moins de tunnels en Italie, mais j’ai évidemment choisi celle qui en a le plus ! Avec les tunnels vient aussi l’idée du souterrain, de l’enterrement...

La majeure partie du film se déroule sur la route, dans le corbillard, avec des plans frontaux sur José et/ou Jovan, et de temps en temps, le cercueil (fig. 10-11) . Qu’est- ce qui t’intéressait dans le fait que le film se passe en voiture ?

Abbas Kiarostami disait quelque chose d’assez juste sur les tournages en voiture. Etre en voiture, c’est une situation particulière : on est deux, ou trois ou quatre, côte à côte, mais jamais face à face, comme autour d’une table. Chacun peut regarder la route, parler parfois un peu automatiquement, sans forcément regarder son interlocuteur. Dans le film, José et Jovan se parlent et se regardent parfois, mais ils sont aussi chacun dans leur univers, seuls avec eux-mêmes.

En même temps, le fait de ne pas être face à face facilite peut-être le dialogue et les confidences…

Tout à fait. C’est ce rapport particulier que permet le dispositif de la voiture qui m’intéressait.

Est-ce que tu avais en tête d’autres « films de voiture » en préparant celui-ci ? On pense justement volontiers à certains films de Kiarostami, comme Ten [2002] ou Le Goût de la Cerise [1997], qui est une fiction.

Oui, bien sûr. Mais je pense encore à d’autres films. L’un des films que j’ai revus en préparant Calabria et qui a été important pour moi, c’est Macadam à deux voies de Monte Hellman [Two-Lane Blacktop, E. ‑ U., 1971], un road movie américain des années 1970 ! Parmi des films plus récents, j’aime particulièrement Old Joy de Kelly Reichardt [E.-U., 2006], un très beau film sur deux amis qui se sont perdus de vue et qui se retrouvent le temps d’un voyage. Il y a une subtilité et une douceur dans les rapports entre les deux personnages, qui disent quelque chose sur la vie et qui me touchent beaucoup. Le dispositif de la voiture est assez classique au cinéma, et très simple, mais je le trouve passionnant. Il permet de créer un huis clos avec deux personnages qui traversent le temps et l’espace.

Comment, techniquement, as-tu mis en place le dispositif de filmage ?

Dans un corbillard qui roule très vite, sur des revêtements différents, c’était compliqué à mettre en place. On a utilisé deux caméras semi-professionnelles. Il fallait que je puisse les contrôler manuellement pendant qu’on roulait pour changer le diaphragme, en fonction des variations de lumière, et faire le point pour avoir une image nette, etc. Tout était donc câblé et j’avais en permanence en main deux télécommandes qui me permettaient de diriger les caméras. Sur le pare-brise, à l’intérieur, devant José et Jovan, il y avait des ventouses avec les caméras (ils devaient regarder un peu en dessous pour conduire !). Les caméras étaient fixes ; je n’avais pas de doute sur le cadre et je ne voulais pas en changer en cours de voyage. J’étais donc couché derrière eux, sur une petite banquette arrière, avec deux écrans de retour collés contre les deux sièges, un enregistreur son qui tournait en permanence, et une batterie de voiture qui faisait fonctionner le système. J’avais donc un tout petit espace pour travailler.

Pour trouver ce dispositif technique, il a fallu plusieurs mois, et plusieurs tentatives ratées. On a d’abord tourné avec des caméras qui vibraient beaucoup trop ; un autre système s’est effondré le premier jour de tournage…

La plus grande partie du trajet est construite avec ces plans sur José et Jovan, et le spectateur ne voit jamais les paysages qu’ils traversent (et qu’ils essaient parfois, en vain, de photographier !), à part lors de leurs haltes. Pourquoi as-tu fait ce choix ?

C’est vrai, les seuls paysages que l’on voit sont ceux où a vécu le mort, en Suisse et en Calabre, et sinon il y a des extérieurs quand José et Jovan s’arrêtent et sortent du corbillard. Au tournage, on avait filmé des longs travellings de paysages, mais ils n’appor taient rien à mon avis. Je trouvais beaucoup plus riche d’observer tout ce qui se passe sur leurs visages –   leurs différents états et expressions, la fatigue du voyage…   – que de filmer une autoroute qui défile. C’est au spectateur d’imaginer ce qu’il y a hors-champ. Ça permet de faire travailler son imagination. Et on a pu en jouer aussi, notamment pour créer un effet comique, lorsqu’ils essaient de prendre des photographies de ce paysage insaisissable.

Dans le cadre, il y a aussi en permanence un troisième personnage, en arrière-plan : le mort, dans le cercueil. Il est le sujet d’une des premières conversations entre José et Jovan, mais ensuite, on tend à l’oublier.

C’était important pour moi qu’il soit effectivement tout le temps présent à l’image. On l’oublie, oui, pour se concentrer sur ce qui se passe entre José et Jovan – un peu de la même façon qu’on ne pense pas toujours à la mort dans nos vies. Ceci dit, je voulais vraiment que ce soit un troisième personnage au début et à la fin du film, et pas juste une sorte d’objet. C’est pour cette raison qu’il y a un plan aux pompes funèbres de son point de vue (fig. 12) – j’avais envie de lui donner une présence et qu’elle soit reliée aux images d’archives du prologue. Je voulais aussi développer l’idée que le mort quitte l’endroit où il a vécu, la Suisse, et qu’on le voie arriver dans l’endroit où il a grandi, en Calabre. Entre deux, il y a quelques plans plus spécifiquement sur le cercueil pour rappeler sa présence, par exemple quand José et Jovan sortent du corbillard pour dormir à l’hôtel, mais cela reste discret.

GESTES, RITUELS

Il y a deux séquences, au début et à la fin du film, qui montrent les gestes des employés des pompes funèbres dans leur travail et les rituels entourant la mort : en Suisse, lors de la préparation du corps, puis en Italie, au moment de l’ensevelissement. T’es-tu servi de ces gestes ritualisés pour mettre en évidence la différence entre les deux pratiques funéraires ?

Cela n’était pas intentionnel de ma part, mais les employés des pompes funèbres en Suisse, lorsqu’ils ont vu le film, ont été très intéressés de voir comment l’ensevelissement se passait dans ce village en Calabre. C’est sûr que c’est différent, moins protocolaire.

Le travail de José et Jovan aux pompes funèbres est très ritualisé. C’est un travail répétitif – ils répètent les mêmes actions près de dix fois par jour : sortir du corbillard, aller chercher le corps d’un défunt, lui mettre une chemise, une cravate, le déposer dans la crypte où la famille pourra venir le voir, etc. Leurs gestes sont très silencieux et, d’une certaine manière, un peu mécaniques, mais ils sont toujours très conscients que les défunts sont des personnes, et ils les traitent avec un profond respect. Je pense que l’aspect protocolaire de leur gestuelle leur permet de travailler avec un peu de recul face à des situations qui sont parfois extrêmement violentes. Leur travail s’apparente en fait à une double mise en scène : celle des corps qu’ils doivent préparer, mais aussi leur propre mise en scène en tant qu’individus – au travail, ils doivent jouer leur rôle dans les moments de recueillement en présence de la famille et des proches.

Comment se sont déroulées les prises de vues de l’enterrement en Calabre ?

Les pompes funèbres du village ont pris en charge l’enterrement. Une fois le transfert du corps d’un corbillard à l’autre effectué, José et Jovan se sont tenus un peu à distance ; ils ont assisté à tout, mais de loin.

A partir de là, de notre côté, avec le chef opérateur et l’ingénieur du son, on a suivi l’action qui se déroulait, sans la mettre en scène. Je ne voulais pas déranger la famille durant l’enterrement. Ce qui est délicat dans ces moments-là, c’est de tenir son point de vue, de rester concentrés sur ce qu’on veut filmer, sans se laisser distraire.

Dans le film, tu montres la préparation d’un corps mort sans artifice. On se rend compte en le voyant qu’on est très peu habitués à ce type de représentation pourtant « naturelle » de la mort. En quoi ces images étaient-elles importantes pour toi ?

J’étais assez sûr qu’il fallait filmer la personne décédée. Avant le début de l’entretien, on parlait du dernier film d’Alain Guiraudie, Rester vertical [F., 2016], et de sa façon très franche de montrer les scènes de sexe. C’est un peu la même idée avec la mort dans Calabria : il y a à mon avis des choses qui doivent être montrées franchement, dont on ne peut pas faire l’ellipse. On a essayé de tourner les séquences de préparation du corps en évitant de le montrer et en ne filmant que les visages ou les gestes de José et Jovan, mais ces stratégies d’évitement me dérangeaient. Je voulais qu’on soit simplement face à cette réalité, en échappant toutefois au spectaculaire ou à un voyeurisme mal placé. J’ai donc choisi des plans frontaux et assez larges qui me permettaient, à mon avis, d’être juste et d’avoir la bonne distance. Ce qui était très important aussi était bien sûr d’avoir l’accord de la famille pour ces plans – ce qui s’est fait sans problème.

MUSIQUE, LANGUE

Calabria ne contient aucune musique extradiégétique, mais c’est pourtant un film très musical avec les chansons de Jovan ou du saisonnier dans le prologue, la musique de Beethoven qu’ils écoutent dans une séquence, et les nombreuses discussions autour de la musique.

L’idée était de créer un film sonore plus que musical. On a beaucoup travaillé au montage son sur des structures sonores différentes : au travail, à la morgue et aux pompes funèbres, mais aussi pendant le voyage, dans les tunnels, avec les différents revêtements de route, etc. Il y a tout le temps des éléments sonores qui sont montés pour donner une ambiance « musicale ». Ce travail m’intéressait plus que d’ajouter de la musique extradiégétique.

Concernant les chansons interprétées par Jovan, comme je l’ai déjà dit, on les a choisies ensemble et les paroles m’importaient beaucoup. Je redoutais l’effet folklorique « musique des Balkans » et je souhaitais qu’on recherche une sonorité plus universelle. C’est pour cette raison qu’il chante sans accompagnement – on serait tombés dans autre chose si on avait ajouté la musique d’un orchestre.

Sinon, ce qui concerne Beethoven a été totalement imprévu, comme pour beaucoup d’autres séquences du film d’ailleurs. Quand on prend le temps d’observer, parfois, tout à coup, les choses prennent forme et sens. La discussion autour de la mort de Paco de Lucía par exemple, je n’avais aucun moyen de la prévoir : il se trouve que ce guitariste, tzigane comme Jovan, est mort pendant le tournage… Pour Beethoven, c’est un peu particulier : durant le trajet, je leur avais interdit d’écouter la radio ou de la musique, pour éviter la routine de la route et de freiner les discussions. Mais à un moment, lors de leur discussion sur celui qu’ils considèrent comme le meilleur musicien, Jovan a demandé à José d’insérer un CD de musique de Beethoven, et ce moment a soudain pris une ampleur magnifique. Je me suis tu et j’ai simplement laissé tourner les caméras en évitant d’intervenir…

Ton film contient beaucoup d’allusions langagières, notamment quand José et Jovan prononcent des phrases dans la langue de l’autre. Penses-tu que ces jeux sur la langue peuvent freiner l’exportation du documentaire ?

Oui, sans doute qu’un spectateur non francophone passera à côté de certaines subtilités langagières, qui sont importantes dans le film. Mais cette question de la langue m’intéressait beaucoup. La dernière discussion à laquelle tu fais allusion porte sur la prononciation de phrases en portugais puis en serbe ; les propos deviennent de plus en plus absurdes et délirants. Il y a un rapport avec l’émigration et la question de l’apprentissage d’une langue bien sûr, mais c’est surtout pour moi une sorte d’apothéose dans leur relation, c’est le moment le plus joyeux de leur amitié, grâce à la langue. J’avais toujours Beckett en tête durant la réalisation de Calabria…

1 Son premier documentaire, Face au Juge, est sorti en 2009. Voir Marthe Porret, « Débat critique à Soleure : trois critiques français s’expriment à propos de Cœur animal, Verso, Face au juge et La guerre est finie », Décadrages, no 16-17, 2010, pp. 149-161.

2 Kyrkogardso, CH/Finlande, 2012.

3 Accolti a braccia chiuse / Empfang mit verschränkten Armen / Accueillis à bras fermés, Climage, Cinémathèque suisse, TSR, 2009.