Philippe Magnin

Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes » : l’intertextualité au service d’une esthétique de la disparité

Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes » (France, 2003) est passé quasiment inaperçu. Réalisé pour Arte, le cinquième film de Desplechin n’a été projeté que dans une salle parisienne au moment de sa sortie cinéma, bien qu’il ait été présenté au Festival de Cannes 2003 dans la section « Un certain regard ». C’est pourtant un film tout à fait singulier et il serait regrettable de négliger son importance dans le parcours cinématographique de Desplechin. Léo est l’adaptation d’une pièce anglaise d’Edward Bond, La Compagnie des hommes1. Assez fidèle au texte original, le film s’en écarte toutefois à plusieurs reprises, notamment par l’adjonction d’un personnage hamlétien, Ophélie (Anna Mouglalis), et par l’introduction ponctuelle, au sein du film principal en 35mm, de séquences vidéo montrant la préparation du film par Desplechin et ses comédiens. Ces répétitions font l’objet d’un film à part entière, Unplugged, en jouant « Dans la compagnie des hommes »2 (France, 2004), inédit en salle et diffusé uniquement en dvd3.

La notion clé qui jalonnera cet article est celle d’intertextualité, concept né dans le contexte structuraliste de la fin des années 1960, puis repris et développé par les poststructuralistes dans le but d’en faire un outil d’analyse4. L’intertextualité s’est ainsi constituée en pratique d’écriture et/ou en pratique de lecture et définit toute forme de correspondance qui peut être établie entre un texte de quelque nature qu’il soit (filmique, scriptural, iconique, musical, etc.) et une autre production antérieure ou synchronique. Mon ambition est donc de comprendre de quelle manière Léo s’approprie, assimile et transforme ses intertextes et d’analyser les points essentiels des relations dialogiques qui en résultent. Le choix de cette orientation n’est pas le fruit du hasard. Desplechin truffe son cinéma de références, citations et réemplois en tous genres. Cinéphile fervent et lecteur avide, il conçoit la mise en scène comme un travail d’interprétation et de confrontation à des modèles5. Sa démarche se résume assez bien par cette phrase tirée de la préface du scénario de Rois et Reine (France, 2004) : « Devinant ce film mien qui se dessine, j’essaie avant tout d’être rageusement fidèle aux films [et à toutes les autres œuvres, pourrait-on ajouter] qui m’ont inventé. »6 Apparaissent ici les notions de transmission et de filiation, qui sont omniprésentes dans ses films, tant au niveau esthétique que thématique. De ce point de vue, Léo est tout à fait emblématique puisque le film intègre deux textes qui ont précisément pour sujet l’héritage laissé par un père à son fils et la difficulté d’assumer le rôle de successeur. Dans la pièce de Bond, Léonard est un enfant abandonné et adopté par Oldfield (Jurrieu dans le film, joué par Jean-Paul Roussillon), un riche et puissant commerçant d’armes. Chargé de prendre la relève à la tête de la société, Léonard cherche à se montrer digne de son père, puis finit par le trahir et tenter de l’assassiner. La référence explicite à Hamlet viendra redoubler ce thème du conflit familial, tout en lui conférant une nouvelle dimension. Cette étude s’organisera en trois temps. Je me pencherai tout d’abord sur la rencontre entre Léo et ses deux principales sources, In the Company of Men et Hamlet [1603]. J’examinerai les procédés d’intégration de la matière shakespearienne au sein de l’univers diégétique emprunté à Bond et tenterai de comprendre ses causes et ses effets. Dans un deuxième temps, j’analyserai la relation complexe que Léo entretient avec son pendant documentaire Unplugged. Enfin, je tenterai de mettre en perspective les liens profonds qui unissent Léo au film de Desplechin qui l’a immédiatement suivi, Rois et Reine. J’exposerai brièvement les enjeux de l’usage de références dans ce dernier et proposerai une piste de réflexion sur l’évolution de la pratique intertextuelle du cinéaste.

Léo et ses hypotextes

L’adaptation d’un texte littéraire (romanesque, dramaturgique ou autre) est une pratique extrêmement répandue au cinéma et entre dans ce que Genette, dans Palimpsestes7, appelle l’hypertextualité, c’est-à-dire une relation de dérivation qui unit un hypertexte (le texte second) et un hypotexte (le texte antérieur). Avec Léo, Desplechin adapte pour la seconde fois, après Esther Kahn (France/France-Bretagne, 2000), un texte littéraire anglais. Cependant, c’est à un exercice d’écriture hypertextuelle totalement différent qu’il s’est essayé dans le second film. Pour l’adaptation d’Esther Kahn, courte nouvelle d’Arthur Symons publiée en 1905, Desplechin, assisté d’Emmanuel Bourdieu, avait fait le choix de conserver le texte en version originale, de tourner en Angleterre et de ne pas changer le contexte temporel, situant ainsi l’histoire à la fin du xixe siècle. Cette fois, il opère une transposition spatiale et propose une traduction du texte en langue française8, ce qui le conduit à changer le nom des personnages à consonance anglophone. L’autre différence majeure concerne la nature et la longueur du texte. Esther Kahn est une nouvelle très brève, à peine 25 pages, alors que In the Company of Men est une longue pièce de théâtre peuplée de personnages spécialement volubiles. Le travail de Desplechin pour Esther Kahn consistait ainsi à amplifier l’hypotexte en développant ses potentialités latentes et en donnant corps aux extrapolations que le texte-source encourageait ou qui sont nées de positions interprétatives particulières. Dans Palimpsestes, Genette distingue l’extension (augmentation par addition massive) de l’expansion (dilatation stylistique), deux pratiques qui jouent généralement de concert. Le respect total du texte de Symons conduit Desplechin à privilégier la seconde, n’ajoutant que très peu d’éléments totalement absents de la nouvelle, mais donnant de l’ampleur au récit d’actions résumées en quelques phrases par Symons. Au contraire, Arnaud Desplechin, Nicolas Saada et Emmanuel Bourdieu, coscénaristes de Léo, ont davantage utilisé le procédé inverse, c’est-à-dire l’excision et la concision. Dans le système genettien, l’excision est l’antithèse de l’extension et désigne donc une réduction par suppression, tandis que la concision, opération inverse de l’expansion, consiste en une condensation par un style plus succinct. Pour le dire autrement, l’excision est l’abandon d’un élément, alors que la concision le conserve mais l’exprime plus brièvement. La pièce de Bond se caractérise par des monologues très complexes et souvent extrêmement longs. Les scénaristes ont donc choisi de couper franchement dans le texte, tantôt un bout de phrase, tantôt un pan entier de dialogues. Le travail sur le texte ne s’est pas arrêté là, puisque très souvent l’ordre des répliques, voire des scènes, est modifié. Malgré cela, le sens global de la pièce est conservé, les limites de la diégèse sont les mêmes et à quelques exceptions près, l’intrigue suit strictement le fil narratif tissé par Edward Bond. Toutefois, le film effectue quelques écarts, certes peu nombreux, mais par conséquent d’autant plus intéressants et significatifs. Ces modifications relèvent selon moi de trois résolutions esthétiques particulières.

La première résolution est celle de rompre ponctuellement avec la représentation scénique et de développer les virtualités de l’hypotexte que les limites inhérentes à la représentation théâtrale devaient laisser à l’état d’embryon et que le médium cinéma permettait d’accomplir. D’une part, les scénaristes se sont employés à « donner de l’air » à la narration en multipliant les lieux extérieurs et intérieurs. A l’origine, la pièce de Bond ne se déroule que dans des espaces fermés : la résidence principale des Oldfield, leur maison de campagne et une vieille bâtisse en ruine. Or le film déplace plusieurs scènes dans un cadre différent. Ainsi, la première rencontre entre Léonard (Sami Bouajila) et William (Hippolyte Girardot / qui s’appelle Wilbraham dans la pièce), durant laquelle ils négocient le rachat de la société de William avec Doniol (Laszlo Szabo / Dodds chez Bond) pour arbitre, n’a plus lieu dans le salon de la maison principale. Les trois personnages se rendent dans une forêt, à l’abri des regards, puis terminent leurs tractations dans une voiture. On peut citer plusieurs autres exemples de transpositions spatiales ponctuelles : la rencontre entre Hammer (Wladimir Yordanoff / Hammond dans la pièce) et Léonard a lieu dans un grand bureau ; la discussion durant laquelle Jurrieu annonce à son fils qu’il le fait entrer au conseil d’administration se déroule dans un café ; la présentation du nouveau fusil est déplacée dans le jardin, etc. D’autre part, le film opère deux expansions patentes. Celles-ci concernent deux analepses de la pièce transformées en longs flashbacks pour le film. Le premier est raconté par Jurrieu à son fils. Il lui explique comment il a été trouvé abandonné sur le seuil de leur porte et de quelle manière Thérèse, sa femme décédée, a simulé un accouchement, au moyen de médicaments destinés à lui donner de violents maux de ventre, et d’une poche de sang pour arroser le bébé. Se réjouissant de la douleur terrassante qu’elle s’inflige, Thérèse baigne son fils de sang (fig. 1). Cet épisode est entièrement actualisé dans le film, lui conférant un impact supérieur et donnant corps à un personnage absent de la pièce.

Le second récit, dont la narration est déléguée au serviteur Jonas (Bakary Sangaré / Bartley chez Bond), se divise en deux parties et évoque la carrière militaire de ce dernier dans un sous-marin nucléaire. Dans la pièce, ces deux parties sont situées dans la même unité (5)9 et ne sont séparées que par l’irruption de Hammond dans le refuge de Léonard et Bartley. Dans le film en revanche, la première partie est déplacée au début. Après que Jurrieu est allé se coucher, Jonas raconte à Léonard sa rencontre avec le père de ce dernier et relate la discussion qu’il a eue avec lui au sujet de son engagement en tant que majordome. Les paroles de Jonas donnent naissance à un flashback qui emmène le spectateur dans le hall d’un grand bâtiment. Jonas interpelle Jurrieu pour lui demander du travail. Après lui avoir montré ses états de service qui mentionnent son passage en cour martiale, Jonas raconte sa mise à pied qui serait survenue suite à une blague graveleuse de sa part. A la fin du film, dans l’immeuble en ruine, Jonas revient sur les raisons qui l’ont conduit en cours martiale, avouant avoir menti à Jurrieu pour pouvoir être embauché10. Le flashback qui en découle est guidé par quelques occurrences de la voix de Jonas, over, et ponctué de plusieurs retours au récit-cadre qui marquent les ellipses du récit enchâssé. Alors que le texte est globalement raccourci, cet épisode qui ne s’étend que sur à peine une page et demie dans la pièce dure environ sept minutes dans le film. Les scénaristes ont donc choisi de gonfler cette anecdote, voyant là l’opportunité de tourner une scène de cinéma intense, violente, très visuelle et située dans un lieu particulier qui renvoie à un genre cinématographique spécifique, le film de guerre (fig. 2).

Desplechin a souvent évoqué son goût pour les films de genre et son intérêt pour les assemblages hétéroclites de séquences très différentes. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait sauté sur l’occasion de développer une séquence telle que celle-ci, un petit film à part, presque autonome, dans un lieu et un genre très éloigné du récit-cadre.

La deuxième opération transformationnelle concerne la construction du savoir narratif du destinataire et son effet sur le mouvement général du récit. A une seule exception près – celle de la révélation retardée du mensonge de Jonas que je viens d’évoquer – le film annule tous les effets de surprise construits par la pièce, au profit d’une écriture que Desplechin qualifie lui-même d’« hitchcockienne »11, basée sur le suspense et plaçant des objets au centre de l’attention. Les accessoires jouent déjà un rôle prépondérant dans l’œuvre de Bond : un verre de whisky mal préparé, une chemise empruntée, deux chargeurs intervertis, un testament à moitié signé ; Desplechin ne fait donc qu’accentuer la prééminence de ces objets pour en faire les vecteurs du suspense et les moteurs du récit. Parmi les quelques exemples qui illustrent cette troisième résolution, l’épisode du fusil de précision me semble être le plus éloquent. Alors que la révélation au lecteur de la culpabilité de Léonard dans cet incident est sans doute le point d’orgue de la pièce, Desplechin refuse cet effet, se focalisant sur Léonard et octroyant une fonction narrative privilégiée à la cartouche que Léonard tente de glisser dans le chargeur. Chez Bond, l’incident peut se résumer ainsi : le tout nouveau fusil des usines d’Oldfield est apporté par Bartley qui s’occupe de remplir les chargeurs et qui est supposé en placer un vide sur l’arme de démonstration. Léonard s’en saisit et commence la présentation. Alors qu’il vise son père, Bartley l’interrompt, sort le chargeur et y découvre une balle. Il essaie de dissimuler la pièce à conviction, mais se fait attraper par Oldfield. Malgré les protestations du domestique, chacun pense qu’il est le responsable de la bévue et qu’il a dû se tromper de chargeur par inadvertance. On apprendra plus tard que c’était en fait Léonard qui était discrètement intervenu pour faire passer son crime pour un accident. Dans le film, l’histoire racontée est exactement la même, les faits sont identiques, mais la construction narrative est totalement différente. Tout l’effet de la séquence est alors chamboulé, convertissant une vague ambiguïté conclue par un coup de théâtre en un long moment de suspense. Détaillons cette séquence du film. Elle commence par une action forcément absente de la pièce. Léonard se trouve dans un entrepôt et ouvre avec précaution une caisse de munitions. Il se saisit d’un chargeur et referme la caisse. Après un détour par Shakespeare, on retrouve Léonard dans la chambre de son père, qui est endormi. Léonard subtilise alors une clé sur la table de nuit et ouvre le grand coffre de la pièce d’à côté pour y prendre une cartouche. Réveillé par le bruit, Jurrieu l’appelle. Léonard s’assied à son chevet, la cartouche dans la main et le chargeur posé sur le lit (fig. 3). Le père porte un masque de sommeil qu’il ne retire pas, ce qui lui donne un désavantage perceptif évident par rapport au spectateur (fig. 4). On assiste alors à une courte conversation, banale mais très tendue, puisque Jurrieu, qui a la cartouche sous le nez, peut retirer son masque à tout instant.

Le film retrouve alors le fil narratif de la pièce pour le long entretien entre Léonard et William (unité 4). Or, cette scène est enrichie par la nécessité pour Léonard d’enfiler la cartouche dans le chargeur, sans que son interlocuteur ne s’en aperçoive. A nouveau, Desplechin détourne l’attention du spectateur par des gros plans insistants sur la cartouche et les mains de Léonard. Le discours bondien de William devient secondaire. Ce qui compte pour le spectateur, c’est d’observer à quel moment Léonard pourra profiter de l’agitation de son interlocuteur pour insérer la cartouche. Il y parvient finalement au dernier moment, alors que Jurrieu et Jonas sont entrés dans la pièce. Comme le spectateur sait que le fusil est chargé et que Léonard à l’intention de tuer son père, la scène de la démonstration dans le jardin pousse le suspense à son paroxysme. Léonard braque le fusil sur son père. Le pointeur laser parcourt le corps de Jurrieu (fig. 5) qui accompagne lui-même la tache rouge avec sa main, sereinement, ne se doutant de rien. Ce déplacement du point de vue, cette redistribution des savoirs narratifs, crée toute la tension et la force de cette séquence et découle directement des leçons d’Hitchcock12.

Enfin, le troisième parti pris esthétique qui constitue un écart notoire entre l’hypertexte et son hypotexte a notamment été mis en avant par Philippe Azoury dans sa critique pour Libération : « En jouant ‹ Dans la compagnie des hommes › voudrait tout montrer, tout dire, tout déshabiller, tout faire comprendre, pour qu’aucune intention, cette fois, ne prenne le risque de rester incomprise. »13 Cette remarque, formulée dans un sens nettement dépréciatif dans les lignes de Philippe Azoury, me semble parfaitement pertinente, sans que cela n’appelle forcément un quelconque jugement de valeur. Le signe le plus probant de cette tendance est sans doute la présence régulière d’une voix over, vouée à souligner les transitions narratives, à annoncer l’évolution à venir et à témoigner des transports intérieurs des personnages, Léonard en particulier. Le narrateur over (Desplechin lui-même) dit par exemple à la 34e minute : « Léonard ne dit rien à son père sur la proposition de William. Avec l’aide de Doniol il manœuvre aussi habilement qu’il mène à bien l’achat de la société, puis l’éviction de William, sans que le vieux Jurrieu ne s’aperçoive de rien. » Ou, à la 73e minute : « Léonard a volé une cartouche. Il va devoir maintenant intervertir les deux chargeurs. Son projet est guidé par une haine maximale et un amour maximal. Léonard va essayer de tuer son père pour lui arracher son royaume et, fils aimant, pour n’avoir jamais à lui avouer sa déchéance. » L’interprétation est ainsi guidée par le narrateur qui cherche à limiter le plus possible les zones d’ombre. Car la voix over n’intervient pas pour combler un manque laissé par les coupures que les scénaristes ont dû opérer dans le texte original, mais donnent des précisions qui ne sont pas explicitées par la pièce. La scène, exclusive au film, durant laquelle Léonard pleure, hurle et se frappe pour exprimer sa rage et son dépit d’avoir été piégé (49’) remplit à peu près la même fonction. Le flou et l’ambiguïté sont bannis et plusieurs objets introduits dans le film visent également à apporter une forme de tangibilité à des détails restés incertains dans l’hypotexte. Le film remplace par exemple la réplique de Dodds : « Votre père est venu me voir en ma qualité de secrétaire général de la compagnie et il a officiellement exprimé ses doutes à votre sujet. »14 par un enregistrement vidéo qu’il montre à Léonard et dans lequel Jurrieu confie qu’il trouve son fils dangereux et qu’il veut le paralyser (48’). Par ce film étrange, visiblement capté en caméra cachée mais parfaitement cadré, le doute qui pouvait subsister dans la pièce quant à la véracité des propos de Dodds est totalement dissipé. Le coup bas de Jurrieu est certifié et il est même rendu bien plus violent. De la même façon, Hammer sort de sa poche un enregistreur audio qu’il place sur la table pendant sa conversation avec Léonard pour lui révéler qu’il a de quoi le faire chanter (46’30"). Les deux aspects que je vais aborder maintenant, s’inscrivent également dans ce désir de tout montrer. D’une certaine manière, greffer Hamlet à La Compagnie des hommes, c’est rendre explicite sa propre interprétation du texte, et insérer des séquences documentaires de répétitions, c’est exhiber de quelle manière on a fabriqué le film.

Le spectre dʼHamlet

Desplechin entretient un rapport récurrent avec Shakespeare. Déjà dans La Sentinelle (France, 1992), il faisait réciter au personnage prénommé justement William un passage de Richard III [1591] et plus tard, dans une scène particulièrement cocasse, la célébrissime tirade d’Hamlet, que William déclame dans son bain avec dans les mains, le globe terrestre qui avait longtemps servi de cachette au crâne gardé par Mathias. Le film cite donc Hamlet, tout en faisant allusion à la représentation traditionnelle du personnage, tenant le crâne de Yorick. De façon plus naturelle, Shakespeare est aussi convoqué dans Esther Kahn. La jeune Esther (Summer Phoenix) obtient le rôle de doublure de Jessica, personnage du Marchand de Venise [1597]. Puis, lors du cours de théâtre avec Nathan (Ian Holm), c’est Le Roi Lear [1606] qui est utilisé pour l’exercice. Enfin, Philippe (Fabrice Desplechin) donne à Esther son interprétation audacieuse d’un passage d’Othello [1604]. On retrouve dans cette scène le goût de Desplechin pour les exégèses à la fois provocatrices, adroites et savantes. Shakespeare est également présent dans Rois et Reine, à double titre. Très lié à Léo, le film reprend l’idée d’apparition fantomatique empruntée à Hamlet et, de façon plus anecdotique, les deux infirmiers qui viennent chercher Ismaël (Mathieu Amalric) à son domicile sont affublés des noms improbables de Prospero et Caliban, deux personnages de La Tempête [1611]. Cette occurrence est d’autant plus dérisoire que seul le nom du premier est prononcé, très tard, dans le film. Il faut donc se référer au générique ou au scénario paru chez Denoël pour connaître le nom du second. Enfin, Un conte de Noël (France, 2008) fait de multiples références au Songe d’une nuit d’été et au Conte d’hiver.

Il n’est donc pas étonnant de retrouver Shakespeare dans Léo, d’autant que La Compagnie de hommes n’est pas sans lien avec les thèmes tragiques shakespeariens : des hommes de pouvoir qui se disputent un royaume, la trahison d’un chef par son fidèle bras droit, l’exil et la mort d’un enfant banni. Cette relation se cristallise dans Léo, lorsque Desplechin y intègre un personnage externe. Durant une scène de répétition intégrée au film et sous le prétexte apparemment anodin que La Compagnie des hommes « manque de filles », le cinéaste choisit de prendre le personnage d’Ophélie. Après plus d’une demi-heure de film, Anna Mouglalis fait donc son entrée pour jouer ce rôle étranger qui redistribue les rôles des personnages qui l’entourent dans son nouvel univers. Léonard se double en Hamlet, son collègue endosse le rôle de Laërte, le frère d’Ophélie, et Doniol devient Polonius, mais aussi, comme Laszlo Szabo l’explique lui-même pour le spectateur (36’) : « un peu Iago15 » puisqu’il trahit « son maître Jurrieu ». Par un marquage intertextuel très fort, en dévoilant ostensiblement les ficelles épaisses de sa manigance, Desplechin brouille totalement le schéma actantiel qui avait été mis en place de façon tout à fait stable jusque-là, et insère brutalement un corps exogène, sans réellement chercher à le fondre dans le récit premier. Ainsi, aucune des cinq scènes comprenant Ophélie ne trouve de réelle motivation narrative. Elles sont implantées au sein de l’intrigue et l’hétérogénéité produite par ces collages est accentuée par les multiples allers-retours effectués entre plusieurs situations d’énonciations différentes.

Le film de Desplechin est hanté par l’œuvre de Shakespeare comme Hamlet par le spectre de son père. Ces apparitions me semblent assumer de multiples fonctions et avoir une portée plus essentielle que la simple importation d’une femme dans un monde d’hommes, d’autant qu’elle ne s’y intègre jamais vraiment. Comme je l’ai dit, les liens sémantiques et thématiques entre La Compagnie des hommes et plusieurs tragédies shakespeariennes sont criants : Coriolan [1607] pour les luttes mesquines entre des hommes qui ambitionnent de prendre le pouvoir et l’exil du héros, Othello pour la trahison du lieutenant du roi, Le Roi Lear pour la question de l’héritage, etc. La présence citationnelle répétée et appuyée d’une œuvre en particulier, a fortiori aussi célèbre que Hamlet, lui confère donc automatiquement une implication dialectique importante et témoigne d’une interprétation précise du texte de Bond par les scénaristes de Léo. Il convient alors d’examiner soigneusement de quelle manière le film retravaille sa source.

Première constatation : dans les cinq scènes reprises dans le film, le traitement du texte-source est nettement subversif. En plus d’extraire des bouts de scènes çà et là de la pièce de Shakespeare, pour les insérer sans ménagement dans le continuum de son propre texte, Desplechin coupe allégrement dans les répliques et les modernise en modifiant le vocabulaire. Cependant, il ne le modernise pas suffisamment pour que les répliques semblent naturelles dans la bouche de personnages d’aujourd’hui. Cela conduit à une double incongruité. D’une part, les personnages de Bond se voient attribuer des répliques dont le lyrisme et les tournures ne siéent guère à leur rôle et à la situation ; et d’autre part, le texte de Shakespeare est vulgarisé et rendu presque insignifiant par le contexte anachronique et artificiel dans lequel il s’inscrit. Dans la première occurrence shakespearienne (38e minute, tirée de l’Acte I, scène 3), Ophélie fume une cigarette pendant son entretien avec son frère Laërte. Le passage est considérablement raccourci et quelque peu transformé. Ophélie ponctue une phrase de son frère d’un « Ah ouais ? » assez peu élisabéthain et toute la scène est accompagnée d’un morceau rap de Diam’s, Partir, vraisemblablement extradiégétique16. Tout contribue dans la greffe de Shakespeare à produire des contrastes puissants. Certes, comme souvent chez Desplechin, cette démarche est en partie entreprise sur un mode ludique et provocateur. Comme le titre du film l’indique, le cinéaste joue. Il organise des rencontres impromptues entre les textes et entre les cultures, pour observer ce qui peut éclore. Mais cette esthétique du choc va plus loin que le seul plaisir de faire des comparaisons et de provoquer la confusion du public. On touche là à un enjeu nodal de la pratique filmique de Desplechin. Le cinéma est l’art des extrêmes : celui qui est le plus populaire, mais aussi celui qui a le pouvoir de redonner vie aux œuvres les plus consacrées. Pour autant, Desplechin se méfie des hiérarchies culturelles. Aussi se donne-t-il pour tâche de matérialiser franchement des confrontations entre passé et présent, ou entre plusieurs passés différents, pour bouleverser les échelles de valeur. Non sans un certain formalisme, il construit donc ici des relations dialogiques extravagantes entre Shakespeare et Diam’s, entre Hamlet, l’un des textes les plus commentés et adaptés au monde et une pièce contemporaine, La Compagnie des hommes, qu’il décide de filmer en réutilisant plusieurs codes du film policier et de la série B. Plus largement, Léo est aussi la rencontre entre le théâtre et le cinéma et entre la fiction et le documentaire. Les antagonismes se construisent à tous les niveaux, avec toujours la même volonté de remettre en question ce qui semble trop établi. Alors les scènes shakespeariennes sont toujours vacillantes, déconstruites. D’un plan à l’autre, tout est bouleversé : le décor, la lumière, le grain de l’image et la longueur des cheveux d’Ophélie, pour qu’aucune frontière ne soit délimitable. Le télescopage que le film organise entre les plans en pellicule et les plans en vidéo n’est pas moins violent et riche en significations que la rencontre entre Bond et Shakespeare. Penchons-nous donc à présent sur la relation ambiguë que le film entretient avec lui-même en intégrant dans le cours du récit fictionnel des séquences témoignant du travail de répétitions mené par Desplechin et ses acteurs.

Léo et Unplugged

Quel est le statut des plans en vidéo qui sont intégrés au développement narratif « classique » de Léo ? Jean Ricardou opposait l’intertextualité externe et l’intertextualité interne17. La première qualifiait la relation d’un texte avec un autre texte et la seconde, la relation d’un texte avec lui-même. Pour clarifier la distinction et éviter de reproduire le paradoxe contenu dans la dénomination de Ricardou, Lucien Dällenbach a proposé de renommer l’intertextualité interne, autotextualité18. Or, dans le cas présent, sommes-nous face à une pratique citationnelle d’un texte, Unplugged, par un autre, Léo, ou est-ce plutôt un cas de métadiscursivité, de mise en abyme au sein d’un seul et même film double et formellement hétérogène ? Carole Guidicelli penche pour la première solution, considérant les plans vidéo comme tirés de Unplugged19. Emmanuel Burdeau, en revanche, ne fait pas cette distinction et insiste sur l’hybridité endogène du film, en opposant Léo-pellicule et Léo-vidéo20. Pour ma part, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de se décider pour l’un ou pour l’autre. Léo et Unplugged sont certes deux films à part entière, mais le projet initial de Desplechin prévoyait déjà d’intégrer des séquences de répétition et le tournage vidéo a donc été réalisé non seulement pour lui-même, mais aussi pour Léo21. L’ambiguïté ne peut pas être levée et la connexion Léo-Unplugged sera envisagée comme un cas limite d’intertextualité. Toutefois, l’analyse de son fonctionnement ne mérite pas moins sa place au sein de cette étude, à plus forte raison que la présence du documentaire dans la fiction et du théâtre dans le théâtre se trouve entrer en résonance profonde avec Hamlet.

Métadiscursivité

Les citations de Unplugged peuvent être divisées en trois groupes distincts. Le premier groupe contient les trois occurrences dans lesquelles Desplechin et son équipe discutent de la pièce et du travail d’interprétation. La première apparait dès le générique. Sami Bouajila, Laszlo Szabo et Arnaud Desplechin sont autour d’une table (fig. 6). Un gros plan présente plusieurs exemplaires de l’édition française de la pièce de Bond (fig. 7). Les trois hommes en parlent, prennent des notes. Contrairement aux deux autres, cette scène documentaire ne coupe pas le fil narratif, puisqu’elle se situe avant même le début de l’immersion du spectateur dans l’univers fictionnel. Mais cette immersion est singulièrement troublée par le dévoilement immédiat du travail de création, de la figure d’auteur, ainsi que de l’acteur en tant qu’acteur et non en tant que personnage.

La seconde apparition est plus frappante. Après la conversation entre Léonard et son père au sujet de sa place au conseil d’administration de la compagnie, la narration est brusquement interrompue par un retour à la vidéo. Les acteurs donnent alors leur interprétation des motivations qui animent leur personnage dans la scène à laquelle le spectateur vient juste d’assister. La dernière apparition documentaire de cette espèce brise encore davantage la continuité narrative, puisqu’elle s’ouvre sur Sami Bouajila qui répète une tirade que l’on a déjà entendue dans la fiction. Desplechin intervient ensuite pour se plaindre du manque de filles et l’introduction du personnage d’Ophélie et ses implications sont alors débattues. Ces balancements entre fiction et documentaire sont donc de type métadiscursif. Le documentaire se constitue comme le commentaire de la fiction en plus d’en être l’origine. On retrouve ici illustrée au pied de la lettre la conception selon laquelle tout film de fiction est en même temps un documentaire sur sa propre fabrication et son contexte de production. Mais Desplechin annule cette simultanéité en séparant formellement la fiction, dont la narration est en somme assez « classique », et le documentaire, qui prend la forme d’un réel atelier de travail. Léo et Unplugged apparaissent ainsi comme les deux visages de Janus, les deux revers, radicalement différenciés, d’une seule médaille. Car le choc, aussi brutal soit-il, de la rencontre entre discours fictionnel et métadiscours documentaire ne cherche pas tant à les opposer qu’à définir leur indissociabilité. Cette imbrication de Léo, que l’on peut qualifier de fiction documentarisante, et de Unplugged, dont le degré élevé de narrativité incite, à l’inverse, à définir comme un documentaire fictionnalisant22, a pour effet de bouleverser fortement la temporalité, de rompre la continuité et la clôture du film et de tenir le spectateur à distance de toute immersion fictionnelle.

Montage altéré : le parasitage de Unplugged

Le deuxième type de citation se caractérise par l’hybridation de scènes adaptées soit de Bond, soit de Shakespeare, par l’insert de plans tirés de Unplugged. Six scènes sont ainsi marquées de façon plus ou moins prégnante par des raccords sauvages entre pellicule et vidéo. Dès la première scène d’Ophélie, son dialogue avec Polonius/Doniol est constitué d’une série de champ-contrechamps qui présente Ophélie dans l’univers diégétique de Léo, tandis que les plans sur son interlocuteur sont puisés dans Unplugged. Les autres scènes fonctionnent de la même manière : la rencontre entre Hammer et Léonard, la seconde conversation entre Ophélie et son père, la scène où Léonard est au chevet de son père, celle où il lui avoue sa trahison, et enfin, les derniers plans du film, qui montrent la corde et la chaise dans le décor du film, puis dans l’espace de répétition. Ces plans concluent ainsi le film en rappelant son double mouvement et, comme le note Guidicelli, « le double traitement des objets dans le film (narratif pour l’un, poétique pour l’autre) »23. Le parasitage de ces scènes mutantes ne provoque pas de discontinuité narrative, comme c’est le cas des fragments métadiscursifs. Au contraire, chaque jump cut d’une situation d’énonciation à l’autre cherche à s’insérer dans le flux du texte de Bond ou de Shakespeare. Il ne s’agit plus tant de mettre en perspective l’acte de création que d’afficher l’artificialité intrinsèque de la continuité cinématographique. L’espace profilmique du contrechamp n’est pas contigu à celui du plan qui le précède. Les costumes, la lumière, le grain de l’image, rien n’est raccord. De cette façon,

« la fiction, s’exposant comme quelque chose d’extérieur à la réalité, se fait théâtre de la fiction, se théâtralise. S’observe ici non pas un refus du réalisme mais une dénonciation du faux réalisme cinématographique – ce qu’on appelle vraisemblable – par un redoublement du simulacre, du faux-semblant. »24

La discontinuité est notamment très forte dans la seconde scène entre Polonius/Doniol et Ophélie, qui change beaucoup d’aspect physique (fig. 8 à 13). Les trois coupes de cheveux qu’arbore Anna Mouglalis représentent d’ailleurs nettement trois temps réels : la rencontre et les premiers essais (coupe longue), les répétitions (cheveux courts) et le tournage à proprement parlé (coupe mi-longue). Toujours dans la même volonté de détourner les méthodes classiques destinées à déguiser le discours en histoire (comme dirait Christian Metz25) et à garantir l’immersion du spectateur, Desplechin use de tous les moyens les plus incisifs pour bousculer les habitudes.

Carole Guidicelli remarque très justement que ces scènes hybrides servent également à créer une sorte d’effet-spectre, ce qui renvoie par conséquent à Hamlet, cette pièce « hantée par la réflexivité de la création théâtrale »26. En effet, l’apparition fantomatique de Hammer (44’30"), dont le « Bonjour » semble tout droit sorti d’outre-tombe en raison d’un changement de texture du son, évoque immédiatement l’apparition spectrale d’Hamlet père et « met le temps hors de ses gonds »27. La double temporalité UnpluggedLéo, en ce qu’elle représente une opposition entre présent et passé, est d’autant plus féconde que le film est obsédé par la question de l’héritage et des problèmes de succession entre une génération et celle qui la suit. De ce point de vue, il est intéressant de constater que toutes les scènes où les deux temporalités s’entrechoquent, opposent deux personnages de générations différentes28, et que dans la grande majorité des cas, c’est l’ancien des deux qui apparaît en vidéo, alors que le plus jeune conserve son « intégrité pellicule ». En revanche, toutes les scènes qui concernent deux personnages de la même génération sont soit entièrement composées de plans pellicule, soit entièrement tirés de Unplugged.

Double jeu, triple « je »

Le dernier mode de citation n’est en fait constitué que d’un seul exemple, celui de Sami Bouajila et Anna Mouglalis qui jouent une partie de la scène 1 de l’Acte III de Hamlet (fig. 14). Cette scène est la seule qui puise son texte chez Shakespeare tout en étant intégralement empruntée à Unplugged. Son étrangeté en est encore accrue puisque rien ne la rattache au continuum dans lequel elle se greffe, ni le décor, ni les costumes, ni même ce prénom, Léonard, souvent prononcé par les personnages hamlétiens. On sent que cet import est artificiel et par conséquent que l’on regarde des acteurs « jouant » et non des personnages. Ce jeu théâtral, ce jeu qui se présente pour lui-même, comme étant en train de se construire, est tout à fait déroutant. Ophélie n’est pas un personnage classique, n’ayant ni motivation, ni psychologie, ni rôle dans le schéma actantiel. Aussi le jeu d’Anna Mouglalis peut-il sembler vide, désincarné. Cette scène de rupture entre Léonard/Hamlet et Ophélie n’a pas d’autre emploi que celui d’être une pure scène de jeu, dans laquelle il s’agit plus de « goûter les mots »29 et de s’approprier le texte, que d’incarner un rôle. Dans cette perspective, Hamlet n’a aucune importance. Cela aurait tout aussi bien pu être un texte de Sophocle, d’Ibsen, ou d’Arthur Miller. Or, le spectateur ne veut pas voir des acteurs jouant, mais des personnages, tout comme il ne veut pas voir des espaces, mais des lieux.

Il est donc assez révélateur que la performance d’Anna Mouglalis ait été plutôt mal reçue par la critique. Pierre Murat la juge « pas très à l’aise »30. Jean Philippe Tessé trouve que « la pauvre Mouglalis [est] balancée dans le film, minaudante, ridicule »31. Quant à Emmanuel Burdeau, il utilise exactement le même vocabulaire : « L’actrice lève les yeux au ciel, change de coiffure, minaude, mais au bout du compte ne s’expose qu’au ridicule d’une présence pure qu’aucun rôle ne porte »32. Le jeu de Mouglalis peut être décrit par le concept brechtien de gestus33, qui désigne la seule performance d’un corps, de sa voix et de sa gestuelle. La dernière scène d’Ophélie est exemplaire de ce point de vue. Entièrement composée de plans en 35mm, elle présente Ophélie qui a sombré dans la folie dans la scène 5 de l’Acte IV. Comme dans la pièce, elle distribue des fleurs, mais dans le film elle ne s’adresse à personne, laissant tomber sur le sol les fleurs qu’elle tend (fig. 15).

Cette situation, en plus d’intensifier la folie d’Ophélie, insiste surtout sur la désincarnation de l’actrice, sur l’absurdité de son intervention et donc sur la réduction de l’actrice à la seule occupation corporelle de l’espace. Qui est là ? La question revient souvent dans Hamlet. Elle a aussi été posée par Nathan dans Esther Kahn, au cours de la séquence des leçons de théâtre. Après avoir demandé à la jeune actrice d’entrer en scène et tandis qu’ils s’exercent sur une scène du Roi Lear, Nathan lui demande :

–Qui vient d’entrer ?–Cordelia ( ?)–Allons donc. Tu sais bien que ce n’est pas vrai. Tout le monde sait qu’il s’agit d’une pièce de Shakespeare et Shakespeare est mort depuis des siècles. Il n’y a que toi et moi dans ce théâtre. Est-ce que vraiment tu espères me faire croire que c’est Cordelia, la vraie Cordelia qui vient d’entrer maintenant ?–Alors qui vient d’entrer maintenant ?–Je n’en sais rien.–Je suis Esther.–Oui et ça c’est très important. Mais ça ne suffit pas. Parce que cette fille qui vient d’entrer, elle doit dire – qu’est-ce que Cordelia peut dire ? – « Aime et tais-toi. » Et Esther ne parle pas exactement comme ça.

Ces deux films posent la question aussi essentielle que délicate de la situation d’énonciation au théâtre et au cinéma. Qui parle ? D’où viennent ces mots ? Et à qui sont-ils adressés ? La théâtralité de Léo pointe du doigt la démarcation floue entre l’acteur et le personnage, ainsi que l’origine étrangère de chaque mot employé. Les séquences de répétitions dévoilent une réalité toute simple : les acteurs tentent de se déguiser en quelqu’un d’autre et prononcent des mots qui ne sont pas les leurs. Léonard est aussi Hamlet, soit, mais il est surtout Sami. Cette triple identité s’affiche comme telle, annihilant toute possibilité d’identification pour le spectateur. De fait, le spectateur s’identifie alors autant à l’acteur qu’au personnage. Sami se fait appeler Léonard et lit le texte de Shakespeare qu’il tient dans les mains. Les trois identités s’alternent et même se superposent. Le corps de Sami Bouajila a ainsi plusieurs référents simultanés, il se disloque. Comme le dit Jacqueline Nacache, l’acteur est « une tension, une déchirure, une sorte de monstre »34. On retrouve aussi chez elle l’idée de spectre, si prépondérante dans Léo : « Au cinéma, pas de peau, ni de chair, ni de dehors-dedans. L’acteur n’est qu’un fantôme, analogon électrique, vestige de quelque chose qui a vécu, bougé, souri, pleuré devant la caméra, mais dont il ne reste presque plus rien »35. Sami n’est pas vraiment Léonard, ni vraiment Hamlet. Il n’est pas tout à fait Sami non plus. Comme Jonas qui trempe machinalement son pain dans le sang de son collègue, le cinéma est un cannibale. Il avale mécaniquement ce qui se présente à lui et en recrache une image imparfaite.

De manière générale, le jeu des acteurs de Desplechin est excessif, décalé, naviguant sans cesse entre émotion et distanciation, entre « l’être mimétique proche du réel représenté et le ‹ paraître › que lui dicte la loi de l’organisation diégétique du film »36. Il est proche en cela du Kammerspiel (qui était d’ailleurs le titre initial d’Un conte de Noël), ce théâtre de l’intime, de l’introspection, cette « visitation de l’âme par la mise en scène et le jeu d’acteur »37. Comme il le dit lui-même, ce qu’il recherche en filmant ses acteurs, c’est à capter leur pensée38. Toutefois, attaché à ce jeu et à cette mise en scène de l’artifice que l’on qualifie peut-être un peu vite de « théâtral », Desplechin n’use que très peu du dispositif propre à la représentation théâtrale. La caméra, très mobile, filme les corps au plus près. Ces corps qui, dans Unplugged, ne sont pas dans les décors prévus pour la fiction, mais pas non plus sur un espace scénique faisant face à un espace réservé à un public. Les acteurs répètent dans un espace neutre, un grand atelier, et jouent toujours « pour » la caméra. Par l’extrême complexité du système énonciatif de Léo, Desplechin parvient à mettre en corrélation trois niveaux, trois réalités distinctes qui s’interpénètrent. Les frontières entre le cinéma, le théâtre et la vie sont exposées tout en étant rendues très floues. En somme, Léo apparaît comme une sorte de compendium des ambitions esthétiques du cinéma dit moderne. Le film est non seulement hanté par le théâtre (deux pièces), mais aussi par une forme de théâtralité, à savoir par la mise en perspective de sa propre représentation et de sa propre artificialité. De façon tout aussi schématique, le film met à mal la continuité narrative, segmentant le cours d’un récit classique par l’injection de séquences exogènes. Par là même, Léo se présente comme un témoignage de sa création et engage ainsi une lecture documentarisante. La réflexivité, la théâtralité, la discontinuité, le rejet du personnage classique, tout le programme moderne est là. Cependant et paradoxalement, le traitement ludique et presque caricatural de ces problématiques est plus caractéristique du courant cinématographique qui a justement voulu nier la modernité, la postmodernité.

Rois et Reine, le faux jumeau de Léo

Léo, comme tout le cinéma de Desplechin, intègre l’autre en soi de manière quasiment compulsive. Le cinéaste sélectionne, découpe et colle avec soin les intertextes qui sont autant de questions qu’il pose à sa propre démarche. Cette esthétique de la contamination, du brassage de références s’est confirmée par la suite, tout particulièrement dans Rois et Reine et Un conte de Noël. Pourtant, sa pratique intertextuelle semble être en évolution constante. Rois et Reine est inextricablement lié à Léo, notamment parce qu’ils ont été conçus en parallèle par Desplechin, qui considère les deux opus comme un diptyque sur l’adoption et a même envisagé d’intercaler Rois et Reine entre la sortie de Léo et celle de Unplugged39. Le film oppose deux récits parallèles au sein même d’un seul univers diégétique. Il balance entre le vaste et fastueux royaume de Nora (Emmanuelle Devos) et celui, étriqué et désordonné, d’Ismaël. Cette structure narrative est soulignée par la tonalité radicalement différente des deux parties. Comme l’explique Desplechin, la partie centrée sur Nora raconte la destinée d’une femme à la manière d’un mélodrame hollywoodien de la fin des années 1950, tandis que la partie centrée sur Ismaël relate les péripéties burlesques d’un personnage comique inspiré du cinéma américain des années 196040. Les brusques changements de ton creusent l’écart entre les deux récits entremêlés. On retrouve également dans Rois et Reine des personnages à identités multiples. De façon moins explicite que dans Léo, plus fine sans doute, les deux personnages centraux sont utilisés comme les lieux d’un carrefour intertextuel. Par le biais d’une sorte d’épigraphe prononcée par un locuteur over à l’ouverture du récit41, puis par la présence répétée d’un intertexte iconique, une gravure, Nora est associée au personnage mythologique de Léda. Selon la légende, cette reine de Sparte attira les convoitises de Zeus qui se transforma en cygne pour la séduire et y parvint. En réaction, Ismaël est également comparé à une figure de la mythologie grecque. De multiples représentations d’Hercule parsèment en effet sa partie de manière plus ou moins discrète42. Nora se voit aussi comparée à Holly Golightly (Audrey Hepburn), l’héroïne de Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany’s, Blake Edwards, Etats-Unis, 1961), via la récurrence du thème de Moon River d’Henri Mancini qui fonctionne comme un leitmotiv. La musique de la partie « Ismaël » ne fait pas référence à un personnage précis, mais illustre néanmoins le nivellement culturel dont Ismaël s’avère être le chantre. Il est altiste dans un quatuor et joue de la musique de chambre de Boccherini (période classique). Puis il se fait virer, intègre alors un grand orchestre et joue la musique pré-contemporaine de Webern, tandis que chez lui ou dans sa voiture, il écoute du rap. L’intertextualité musicale de la partie « Ismaël » fait donc surtout appel aux connotations culturelles des textes empruntés.

Les prénoms des deux protagonistes sont aussi des références intertextuelles. Nora est le nom du personnage principal de La Maison de poupée [1879] d’Henrik Ibsen. Une femme simple, morale, qui vit dans la plus parfaite soumission à son mari et qui s’émancipe finalement en quittant son foyer. Ismaël est d’une part le nom du héros de Moby Dick [1851] d’Herman Melville, qui part à la chasse à la baleine et qui finit seul rescapé d’un naufrage, et, d’autre part, une figure biblique, premier fils d’Abraham qui symbolise la marginalité, le refus et le rejet de la société. Certes ces rapprochements intertextuels peuvent engager un travail herméneutique dialogique entre le film et ses références. Toutefois, à part quelques connexions souvent légères et amusantes – par exemple le fait qu’Arielle, jeune suicidaire multirécidiviste ait comme nom de famille Phénix, du nom de la créature mythologique qui renait de ses cendres – ces relations intertextuelles de Rois et Reine ne me semblent pas destinées à être expressément étudiées par le spectateur. Le marquage intertextuel est d’ailleurs souvent assez faible. Le but est davantage de donner une sorte d’épaisseur au personnage, une dimension bigger than life, et d’ouvrir le champ des possibles. Desplechin justifie sa démarche :

« La discussion avec Roger [Bohbot, le coscénariste du film] c’était : pourquoi mettre quelque chose dans le film que les spectateurs ne vont pas voir ou comprendre ? Je lui disais : C’est parce que tu réfléchis comme un adulte. Quand on est un enfant, on est entouré de significations qui brillent dans tous les sens. Et au contraire d’être un problème, on se dit que c’est vachement bien d’être en vie. Des significations qui brillent partout, c’est quand même vachement plus agréable qu’un monde qui ne veut rien dire du tout. Ça on le perçoit si bien quand on est enfant. Le monde est plein de significations et on ne cherche pas du tout à les contrôler quand on est un bon spectateur de cinéma. C’est-à-dire jusqu’à 14 ans. »43

Bâtir un monde plein de significations. Peut-être trop plein. Desplechin avait déjà reconnu cette propension dans un entretien à propos de La Sentinelle : « C’est mon côté ‹ tournedos Rossini › : on met de la viande, du foie gras, du lard, du foie gras »44. Cette comparaison triviale illustre assez bien sa pratique de l’intertextualité. Construire un monde fictionnel ne suffit pas, il faut que de ce monde naissent d’autres mondes, vastes et touffus. Alors quoi de mieux pour donner à son film cette épaisseur qui donne un peu le vertige que d’incorporer de la mythologie ? En se référant à un mythe, on convoque tout un faisceau d’œuvres disparates, on fait appel à un imaginaire démultiplié. Il faut ajouter que l’intertextualité n’est pas nécessairement une pratique tournée vers le spectateur. Elle peut correspondre à une démarche personnelle de l’auteur, une technique d’écriture. Desplechin ne cache pas que le choix des prénoms, entre autres, naît souvent d’une interprétation qu’il ne veut pas forcément transmettre au spectateur, mais qui l’aide à avancer. Ce qui est transmis, c’est la conception d’un monde qui « scintille ». Cette question pragmatique de la communication entre l’auteur intertextuel et le spectateur est toujours cruciale, puisque l’intertexte n’a de sens, d’un point de vue herméneutique, que lorsqu’il est reconnu. Souvent, Desplechin limite son marquage pour que l’intertexte soit repéré, mais pas nécessairement identifié et compris par le spectateur. L’impression d’étrangeté, d’« ailleurs », exercée sur le spectateur lui suffit. La posture du cinéaste est donc bien différente dans Rois et Reine et dans Léo, pour lequel il s’est attaché à rendre explicite la raison d’être de chaque recours à l’intertextualité et à placer le spectateur dans une position qui lui permette de tout voir et de tout comprendre.

Tout comme Léo, Rois et Reine se présente donc comme un film résolument hybride et référentiel, mais aussi bigarré soit-il, l’homogénéité de l’univers diégétique n’est jamais brisée et toutes les occurrences d’intertextualité ou de réflexivité sont intégrées dans une logique narrative qui conserve son hégémonie. Ce mouvement vers une plus grande fusion entre l’autre et soi se confirme avec Un conte de Noël. Pour ce film, Desplechin convoque à nouveau une multitude d’intertextes, bien davantage encore que dans ses films précédents. Ils sont de tous types : philosophique (Emerson, Nietzsche, Pascal), cinématographique (Truffaut, Hitchcock, Bergman, Malick,…), dramaturgique (Shakespeare encore), musical (Mendelssohn, Charles Mingus) et même scientifique puisque l’écriture du film a été inspirée par La Greffe45 de Jacques Ascher et Jean-Pierre Jouet, un essai coécrit par un psychanalyste et un médecin hématologiste. Cependant, malgré le nombre et l’hétérogénéité des références, le film est beaucoup moins éclaté que Léo ou même que Rois et Reine. Genette a utilisé l’image du palimpseste pour représenter un texte qui dissimule en son sein un ou plusieurs autres textes antérieurs. C’est à l’origine un parchemin dont on a gratté la surface manuscrite pour pouvoir écrire un nouveau texte par-dessus. On parvient aujourd’hui, grâce à des techniques avancées, à apercevoir en filigrane les textes qui avaient été effacés. Tout comme Léo peut aisément être assimilé à un « film-mosaïque », rassemblant des pièces ostensiblement composites pour former son unité, Un conte de Noël a tout du « film-palimpseste » recelant de nombreux trésors cachés sous un vernis d’homogénéité. Tandis que Léo déshabille toute sa fabrication, Un conte de Noël absorbe ses références pour les rendre souvent imperceptibles. Mais que ce soit par des chocs violents ou par de légers effleurements, le croisement des textes orchestrés par Desplechin a toujours pour ambition de fabriquer du sens et de dépasser les hiérarchies pour aboutir à une réconciliation.

1 Edward Bond, La Compagnie des hommes, Paris, L’Arche, 1992 [In the Company of Men, 1988].

2 « Unplugged » signifie débranché. On dit d’un groupe de musique qu’il joue unplugged, lorsqu’il joue sans apport électrique. Le terme est ici utilisé en référence au fait que le film est répété sans décors, sans costumes et sans l’équipe de tournage.

3 Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes » (120 min) et Unplugged (92 min). Compléments de programme (films présentés par Arnaud Desplechin et Nicolas Saada). Edition double dvd, Arte Vidéo, France, 2004.

4 Trois ouvrages notables sont consacrés à la définition et à l’histoire de ce concept dans le champ littéraire (dans l’ordre chronologique) : Nathalie Piégay-Gros, Introduction à l’Intertextualité, Paris, Dunod, 1996 ; Tiphaine Samoyault, L’intertextualité. Mémoire de la littérature, Paris, Nathan, 2001 ; Sophie Rabau, L’Intertextualité, Paris, Flammarion, 2002.

5 Voir à ce propos : « Arnaud Desplechin. La vraie vie ça ne peut pas être que ça ? », propos recueillis par Claire Vassé, Positif, no 476, octobre 2000, p. 9.

6 Arnaud Desplechin et Roger Bohbot, Rois & Reine, Paris, Denoël, 2005, p. 10.

7 Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, Seuil, 1982.

8 Sa propre traduction, puisqu’elle diffère des versions françaises déjà existantes.

9 La pièce n’est pas divisée en actes et en scènes, mais en neuf « unités » (units).

10 Dans la pièce, Bartley présente d’emblée sa première histoire comme un mensonge. Edward Bond, op. cit., p. 64.

11 « Desplechin – Saada, une conversation », bonus de Léo, double dvd Arte vidéo.

12 Nous faisons référence ici à la célèbre distinction d’Alfred Hitchcock entre la « surprise » et le « suspense », qu’il exemplifie comme cela : dans un premier cas, deux personnages discutent tranquillement dans un restaurant, et il y a soudainement une explosion, car une bombe était sous la table. Dans un deuxième cas par contre, le public connaît l’existence de la bombe placée sous la table, et « […] il sait que la bombe explosera à une heure et il sait qu’il est une heure moins le quart […] ». Hitchcock conclut que, dans la première situation, le public a vécu 15 secondes de surprise, alors que dans la seconde, il a enduré 15 minutes de suspense, et il « […] participe à la scène ». François Truffaut, Le Cinéma selon Hitchcock, Paris, Seghers, 1975 [1966], p. 81.

13 Philippe Azoury, « Desplechin, le plein de doutes », Libération, 17 mai 2003.

14 Edward Bond, op. cit., p. 41.

15 Iago est un officier d’Othello dans la pièce du même nom.

16 La musique de Léo est d’ailleurs entièrement « anempathique » (Michel Chion, Le Son au cinéma, Paris, Editions de l’Etoile, 1985). En effet, en utilisant les chansons pop-rock de Paul Weller, Desplechin ne cherche jamais à marier la musique extradiégétique à la situation émotionnelle du récit et crée plutôt une impression de « décalage ».

17 Jean Ricardou, Pour une théorie du Nouveau roman, Paris, Seuil, 1971, p. 162.

18 Lucien Dällenbach, « Intertexte et autotexte », Poétique, no 27, Paris, Seuil, 1976, p. 262.

19 Carole Guidicelli, « Léo et son double : Arnaud Desplechin entre théâtre et cinéma », dans Pierre-Henry Frangne, Gilles Mouëllic et Christophe Viart (éd.), Filmer l’acte de création, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, pp.  99-112.

20 Emmanuel Burdeau, « Desplechin en son pouvoir », Cahiers du cinéma, no 587, février 2004, pp.  24-28. Il faut tout de même noter que Burdeau n’avait pas encore eu l’occasion de voir Unplugged.

21 Il l’explique dans « Et en plus il y avait un sous-marin », propos recueillis par Emmanuel Burdeau et Jean-Michel Frodon, Cahiers du cinéma, no 587, février 2004, p. 26.

22 Voir à ce sujet : Roger Odin, De la fiction, Bruxelles, De Boeck Université, 2000.

23 Carole Guidicelli, op. cit., p. 107.

24 Michèle Garneau, « Effets de la théâtralité dans la modernité cinématographique », L’Annuaire théâtral, no 30, Ottawa, SQET/CRCCF, automne 2001, p. 30. Comme la date l’indique, cet article ne parle pas de Léo.

25 Christian Metz, « Histoire /discours. Note sur deux voyeurismes », dans Julia Kristeva, Jean-Claude Milner et Nicolas Ruwet (éd.), Pour Emile Benveniste, Paris, Seuil, 1975, pp.  301-306.

26 Carole Guidicelli, op. cit., p. 108.

27 « The time is out of joint », Hamlet, Acte I, scène 5, traduit par Yves Bonnefoy.

28 Ophélie / Polonius, Léonard / Hammer, puis à nouveau Ophélie / Polonius et enfin deux fois Léonard / Jurrieu.

29 Comme le dit Nicolas Saada dans les bonus de Unplugged.

30 Télérama, no 2820, 31 janvier 2004.

31 L’article est consultable le site http://www.chronicart.com/

32 Emmanuel Burdeau et Jean-Michel Frodon, op. cit., p. 26.

33 Voir à ce propos : Patrice Pavis, Vers une théorie de la pratique théâtrale. Voix et images de la scène, Presses Universitaires du Septentrion, 2007 [1982], pp.  64-93.

34 Jacqueline Nacache, L’Acteur de cinéma, Paris, Nathan, 2003, p. 17.

35 Id., p. 11.

36 Dominique Nasta, « Du Kammerspiel à ‹ Dogma › : émotion et distanciation dans la mise en scène du jeu d’acteur », dans Vincent Amiel, Jacqueline Nacache, Geneviève Sellier et Christian Viviani (éd.), L’Acteur de cinéma : approches plurielles, Rennes, Presse universitaire de Rennes, 2007, p. 33.

37 Ibid.

38 Antoine de Baecque et Thierry Jousse, Le Retour du cinéma, Paris, Hachette, 1996 p. 116.

39 « Entretien avec Arnaud Desplechin. Bien sûr qu’on est des rois, des reines, des princes », propos recueillis par Stéphane Goudet et Claire Vassé, Positif, no 526, décembre 2004, pp. 23-27.

40 Id., p. 24.

41 Le narrateur dit : « Zeus aimait la belle Léda, épouse du mortel Tyndare, neuvième roi de Sparte. Il l’aborda sous la forme d’un cygne ».

42 Au mur du salon d’Ismaël est accrochée une affiche représentant Hercule se battant contre le taureau crétois, le septième de ses travaux. Plus tard, dans l’hôpital psychiatrique, un calendrier publicitaire pour un psychotrope porte l’image d’une toile de François Lemoyne intitulée Hercule et Omphale (1724). La scène représente Hercule qui, pour avoir commis un meurtre, doit servir Omphale comme un esclave. Il est habillé en femme et file la laine pour sa maîtresse. La légende porte sur le renversement des rôles et des valeurs entre hommes et femmes. Deux autres représentations mythologiques que je n’ai pas réussi à identifier, mais qui sont probablement liées à Hercule, sont glissées dans le film, d’abord sur la tasse de Me Mamanne, puis placardée par Ismaël au mur de sa chambre. Enfin, Hercule fait une dernière apparition, toujours sur une affiche, dans le studio d’enregistrement. Le héros est vêtu d’une peau de bête et tue l’Hydre de Lerne, le deuxième de ses travaux.

43 Stéphane Goudet et Claire Vassé, op. cit., p. 26.

44 Olivier De Bruyn et Olivier Kohn, « Le travail du deuil. Entretien avec Arnaud Desplechin », Positif, no 377, juin 1992, p. 16.

45 Jacques Ascher et Jean-Pierre Jouet, La Greffe – entre biologie et psychanalyse, Paris, Presse universitaires de France, 2004.