François Albera, Claire Angelini, Martin Barnier

M / Le Maudit, ses doubles et son doublage

On a largement oublié de nos jours qu’il y eut une version française du film de Fritz Lang et Thea von Harbou, M1.

Classique des ciné-clubs2, classique de l’histoire du cinéma, commenté, analysé, expliqué à de multiples reprises (monographies dans plusieurs langues3, sans compter les chapitres des ouvrages dévolus à Lang), ressorti dans le circuit commercial en 1960, objet d’un remake américain dû à Joseph Losey (M, E.-U., 1951) et d’une variation française de Robert Hossein (Le Vampire de Düsseldorf, Esp./Italie/France, 1965), ce film semble difficilement pouvoir être appréhendé autrement que dans sa version allemande « d’origine », telle que nous la promettent de successives « reconstructions » et « restaurations »4.

Dans les années 1990, début de ces « restaurations », une copie française nitrate portant le titre Le Maudit est identifiée aux Archives Française du Film, à Bois d’Arcy. C’est celle de la sortie française du film en avril 1932. Elle est aussitôt transférée sur pellicule « safety » puis diffusée sur Ciné Classics – où elle passe inaperçue5. On repère de même l’existence d’une version anglaise, réalisée à la même époque, sortie en 1933 aux États-Unis et en Grande Bretagne ; elle figure dans le Blu-ray britannique de M6.

Le sujet que l’on voudrait évoquer ici ne tient cependant pas tant à ces dimensions « philologiques », aux variations du « texte filmique », à la comparaison de ces différentes versions – qui ont leur importance et dont on aura à tenir compte – qu’au fait que toute la littérature critique concernant M en France (et sans doute dans le monde anglo-saxon en va-t-il de même) n’a pas pris en considération le fait que la majorité des spectateurs français découvrirent ce film dans sa version française, c’est-à-dire en partie doublé et en partie re-tourné avec des acteurs français ou parlant français, et que bon nombre des commentaires parus dans la presse se fondaient sur cette VF quoique l’exploitation parisienne du film ait proposé les deux versions. En effet, la VO (sans sous-titres) est signalée par plusieurs critiques qui conseillent même d’aller la voir et l’entendre, mais la plupart se concentrent sur la VF dont, en majorité, ils louent le doublage7.

Par conséquent, quel film reçoit-on sous le titre du Maudit en avril 1932 à Paris puis sur le reste du territoire français ? Quel contexte permet de l’appréhender autrement que comme un « policier » particulièrement réussi ou encore comme un brillant exercice de cinéma sonore ? Qu’est-ce qu’implique le passage d’une langue à l’autre, compte tenu de l’entrelacement serré que M entretient avec un contexte que tous les commentateurs évoquent – les faits divers, les tueurs en série, le climat de violence de l’Allemagne de Weimar sur sa fin, etc. – pour s’en distancier assez vite en adoptant une perspective « auteuriste » ou « artistique » qui dispose tous ces éléments dans un autre système explicatif ?8

La version doublée en français de M – qu’on appellera Le Maudit – ne doit aucune de ses variantes à l’auteur Fritz Lang. Elle les doit aux auteurs français de « l’adaptation », Roger Goupillières et André Lang, qui sont très présents dans l’accueil critique comme dans la publicité ou les informations concernant le film9.

Il y a donc sur le « cas » de M/Le Maudit un ensemble de particularités qui valent d’être examinées car, au-delà du problème « technique » du doublage, de l’accueil qui lui est fait, de la perception qu’on en a et des conditions dans lesquelles il est réalisé, elles concernent la réception d’un film qui est un « double » de la version allemande originale et qui pourtant s’en distingue comme une nouvelle version – sur plusieurs plans –, porteur d’un propos différent en raison même de cette transposition et du passage dans une autre langue avec d’autres mots, d’autres accents, d’autres affects, etc. Dirons-nous que sur le cas précis de ce film dont le thème n’est autre que la scission de la personnalité d’un homme que son « double » pousse à tuer10, la version française est hantée à tous les niveaux ou presque par l’allemande, comme par une part « maudite » ? La situation a tout d’un théâtre fantastique : il y a des acteurs allemands visibles qui parlent avec des voix françaises d’acteurs invisibles, on assiste à la profération de mots allemands accompagnés de mouvements corporels afférents, mais ce sont des mots français qui nous parviennent et même, dans un cas, les mots que prononce Peter Lorre sont bien des mots français, on le « lit » sur ses lèvres, mais on lui a tout de même substitué une voix d’emprunt.

De tout cela les critiques parlent – sans connaître pour autant les dessous de cette fantasmagorie –, car le dubbing ne va pas de soi. Mais en outre – et de cela les critiques ne parlent pas ou incidemment –, Le Maudit refoule toute une part de ce qui se joue dans M, qui le relie à un ensemble de discours qui circulent et même prolifèrent dans l’Allemagne où il est produit : dans les journaux, chez les hommes politiques, les « experts » en criminologie ou pathologie sexuelle, dans la population.

En mars 1932, alors que le film vient d’obtenir son visa de censure français, André Lang, l’un des adaptateurs, lui-même deuxième « double » – avec Goupillières – de son homonyme allemand, publie un article intitulé « Le Maudit va poser deux problèmes » dans lequel il écrit :

« Vous allez voir bientôt, à Paris, le dernier film de Fritz Lang, dans sa version originale allemande et dans une version française, qui a donné à mon ami Roger Goupillières l’occasion de réaliser avec un soin jaloux un ‹ doublage › impeccable.Cette œuvre (‹ M › (première lettre du mot ‹ Mörder ›, meurtrier en allemand, Le Maudit en français) va provoquer, j’en ai le sentiment, quelques discussions passionnées. Discussions de principes, s’entend, et il n’y a pas à craindre qu’on se batte dans la salle ! Car Le Maudit, qui est aux films policiers ce que Les Croix de bois sont aux films de guerre, posera avec éclat deux problèmes : celui du choix du sujet et celui de l’opportunité du doublage. »11

Tout est dit dans ces quelques lignes qui ont fonction d’exorcisme : le même Lang avait déjà évoqué auparavant une salle « houleuse » à Berlin où « le film n’était pas accepté sans discussion »12 et sa « méfiance » à l’endroit d’un « sujet aussi scabreux », « le nom du réalisateur n’étant pas pour [le] rassurer »13. Et, de fait, chacun reposera à sa guise les deux problèmes du Maudit, nul ne pouvant faire l’impasse sur la double nature de ce film.

Ainsi, dans Pour Vous, René Lehmann annonce la sortie du film en écrivant : « Le Studio des Ursulines projette la version allemande et la version française du film M… de Fritz Lang. C’est de la version française, adaptée par M. Roger Goupillières, écrite par M. André Lang, que nous allons vous entretenir. »14

Le Maudit, double de M

Cette version française de M, produite par Pathé-Natan, distribuée par Pathé-Consortium, est donc due à une équipe comportant un metteur en scène qui vient de signer Jaima la double (Roger Goupillières, France, 1928) et La Voix de sa maîtresse (Roger Goupillières , France, 1929)15, un scénariste-dialoguiste16 et des acteurs : les deux premiers figurent dans le nouveau générique du film, dans un carton autonome sur-titré « Adaptation française de » qui suit le titre, précédé d’un carton consacré au seul Fritz Lang (fig. 1), et occupent la même place dans le même arrangement géométrique original (fig. 2). Dans les commentaires des journaux, on parle de leur travail comme d’une véritable création et leurs noms sont présents dans les programmes des cinémas avec celui de Fritz Lang. Les acteurs en revanche ne sont pas mentionnés au générique du film – dans la VO non plus où l’on ne trouve ni la mention des acteurs allemands, ni celle de la scénariste Thea von Harbou, ni celle de l’équipe technique –, dans les publicités, annonces ou commentaires17.

Dans Cinémonde, Suzanne Chantal transcrit une conversation avec les deux adaptateurs. André Lang y explique son travail de mise au point du texte français à partir des trente-deux pages de dialogues en allemand. La difficulté qu’il met en avant tient aux différences des deux langues, plus grandes qu’entre l’anglais et le français :

« [Cela] en raison de la longueur des expressions allemandes et surtout de la syntaxe qui reporte le verbe à la fin des phrases. Inévitablement l’artiste, en prononçant une phrase, appuie sur le verbe qui est le point capital de la phrase, et cette accentuation est visible sur l’expression même de son visage. À tel point qu’un décalage entre les mots prononcés et cette expression produit une rupture de ton dans le dialogue, plus choquante qu’une légère désynchronisation. »18

Il évoque par la même occasion le problème de ces tournages-doublages, c’est-à-dire de la mise en scène sonore des interprètes français. Hostile d’abord, son expérience avec Goupillières l’a convaincu que le dubbing n’est pas seulement « un mal nécessaire mais un élément de progrès pour le bon cinéma »19. Il s’en explique dans son article de Pour Vous où il justifie le doublage par rapport aux deux autres solutions (le sous-titrage et le tournage d’une version française) :

« [C]omment présenter ce film au public français, sans trahir l’auteur ? C’est là où le doublage apparaît comme une nécessité, comme un bienfait. Le ‹ doublage› […] offre le seul moyen de donner des grands films étrangers, de ceux que nous devons connaître, une traduction harmonieuse et fidèle. […] On ne pouvait refaire tourner ce film, dans une atmosphère française et par des acteurs français, sans lui faire perdre son caractère, son originalité et sa force. Présenter la version allemande avec des sous-titres français, étant donné l’importance du texte dans Le Maudit, eût été une erreur esthétique et psychologique. Le film y eût perdu son rythme, sa clarté et ses nuances. Seul le ‹ doublage› permettait de le traduire honnêtement. »20

Mais, poursuit André Lang, le doublage « est une arme éminemment dangereuse, un instrument inouï et redoutable, qu’il ne faut manier qu’à bon escient et avec les plus sérieuses précautions »21 et qui « demande énormément d’attention et de soin. Il ne suffit pas d’engager des acteurs anonymes qui prêteront leur voix au reflet d’autres acteurs. Il faut que ces fantômes mêmes fassent œuvre d’artistes, pour que l’émotion qui se dégage des mots entendus ne soit pas moindre que celle que dégage le visage qui l’exprime »22.

Pour M, continue Lang (André), Lang (Fritz) avait réuni « une troupe extraordinaire » où les rôles apparemment les plus insignifiants étaient tenus par de vrais artistes ; « nous avons voulu que, pour la part dans laquelle nous collaborions avec lui, notre troupe ne soit pas inférieure à la sienne ».

Puis il évoque les difficultés pratiques du travail de doublage à partir de l’exemple de la première séquence :

« Le film s’ouvre sur un groupe de petites filles qui chantent une ronde. Cette ronde me donna tant de mal que je crus devoir renoncer… Elle en donna plus encore à Goupillières. Il lui fallut dix jours pour la mettre parfaitement au point. Lorsqu’il eut réussi et que nos petits interprètes (l’aînée n’avait pas dix ans) libérées, furent parties, Goupillières soupira puis me jeta un regard navré. Nous avions encore plus de 2500 mètres de film à travailler ! »23

C’est donc un premier aspect sur lequel il convient ici de s’arrêter : le doublage, au début des années 1930, n’est pas considéré comme une opération technique plus ou moins « transparente », une substitution d’une langue par une autre pour des raisons d’accessibilité qui « naturaliserait » la transformation opérée. Il procède d’un travail en tant que tel (reconnu, signé – le cas du Maudit est à cet égard un peu exceptionnel) dont on convient qu’il participe de la réalisation du film ou de sa recréation.

C’est pourquoi on peut s’opposer véhémentement à cette opération qui « dénature » l’œuvre originale : on connaît les positions de Borges, de Renoir, de bien d’autres dont on aura des exemples plus loin à propos du Maudit.

En outre, la proximité dans laquelle on est avec le cinéma muet, la présence même de films muets toujours en exploitation, voire l’hypothèse de continuer d’en réaliser quand la parole n’y est pas essentielle motive qu’on accorde aux codes de l’expression non verbale et paraverbale, aux mimiques, gestes et à la mimique articulatoire une place égale à l’énoncé de la parole24. L’un des problèmes du doublage est alors celui de la coïncidence ou la non-coïncidence de ces deux niveaux – qui ne se limite pas à la meilleure synchronisation possible des mouvements labiaux, comme on vient de le voir, puisqu’un décalage de ton entre l’expression corporelle et l’énonciation verbale paraît plus grave qu’une légère désynchronisation.

Enfin la vive conscience de l’opération même de substitution de voix nouvelles aux voix qui émanaient des corps filmés conduit à parler très fréquemment non seulement de « reflets » mais de « doubles », de « fantômes ». L’assemblage « contre-nature » d’un son/d’une voix et d’une image/d’un corps est ressenti fortement et renvoie à la fois à cette conscience de l’artifice et à la nécessité de l’illusion. Gaston Thierry exprime ainsi son soulagement quand, enfin, un procédé lui semble offrir une synchronisation parfaite25. Parmi les premiers à « croire à l’avenir de la synchronisation après coup, au succès du ‹ dubbing › ou ‹ doublage › », il se désolait de le voir demeurer un « pis-aller » avant d’être mis en présence d’une « réussite éclatante, indiscutable » : Le Mystère des cinq dés, film allemand dont la version française a été réalisée grâce aux procédés de l’ingénieur Charles Delacommune et « dont c’était la première application »26. Élargissant ce succès à l’enregistrement sonore dans son ensemble, Thierry voit dans cette réussite « l’agonie d’un tyran » (entendez : le microphone) et le retour du cinéma « à sa véritable destination : créer de l’irréel, du merveilleux ». Grâce à la « précision rigoureuse, mathématique dans la synchronisation des images et des sons » on retrouve « cette sensation d’amplitude de vie, de bien-être vers laquelle nous aspirons ». Pour lui ce succès ne touche pas, en effet, que le doublage des voix étrangères, il s’étend à tout le travail sur le son et permet de remédier aux coûts des studios de prise de vue sonore, aux difficultés de réalisation, à l’exiguïté du champ dans lequel l’enregistrement est possible et à l’inexactitude de la reproduction des bruits de la nature. Pour lui, la question du « doublage » s’inscrit dans celle, plus large, de la synchronisation, qui se pose dès les débuts du cinéma27 et qui continuera d’être au centre des recherches techniques comme des positionnements esthétiques jusqu’à nos jours.

De 1929 à 1932, le dubbing, francisé en doublage, demeure une opération encore hasardeuse, malgré quelques réussites, concernant plutôt des films tournés à Hollywood28. Quand sort la version française de M, Valentin Mandelstamm fait le bilan des avancées dans ce domaine. Cet observateur avisé des progrès techniques du cinéma note que la « synchronisation des films » arrive à un niveau « très proche de la perfection »29 :

« Des opérateurs expérimentés arrivent maintenant, par de minutieux ajustements et recoupements dans la bande du son (d’un ordre inférieur à une douzaine de secondes) à faire coïncider presque mathématiquement le mouvement des lèvres des acteurs […] avec les syllabes prononcées par leurs doubles […]. De plus, on est arrivé à développer toute une nouvelle technique dramatique à l’usage de ces doubles qu’on sait maintenant choisir de manière adéquate, afin qu’ils s’adaptent à la personnalité de l’acteur initial dont ils sont appelés à incarner la voix. »30

Mandelstamm détaille la façon dont les mots français sont placés pour correspondre aux mouvements des lèvres et comment la bande défile devant les « doubles » pendant l’enregistrement. La technique a assez peu varié en France depuis ce début de 1932 (à part les supports techniques). La « bande rythmo », abréviation de « rythmonome », facilite le calage dès les années 1930. Le rythmonome « enregistre, en traits plus ou moins longs, les syllabes étrangères. Traduction achevée, l’adaptateur écrit au-dessus de chaque graphique linéaire les syllabes françaises correspondantes »31.

Ainsi, s’agissant de M/Le Maudit, il conviendrait, en toute rigueur, de distinguer plusieurs acceptions au terme même de doublage : en effet la version allemande ne comportait pas (beaucoup) moins de séquences ou de plans postsynchronisés (voix et bruits) ou tournés en play-back que la française32, de même que cette dernière, on va le voir, contient des séquences tournées en français et en son direct puisqu’elle est partiellement une version multiple (acteurs français) et majoritairement doublée.

L’accueil du dubbing

Dans le corpus des critiques françaises du Maudit, on trouve quelques condamnations du doublage (mieux vaut voir la version originale allemande même si on ne comprend pas la langue33), mais elles sont rares car, a contrario, et eu égard au statut de recréation qu’on lui accorde, on se félicite plutôt de la réussite qu’il représente. C’est le cas de Claude Aveline qui loue cette VF en dépit de son opposition de principe au phénomène34.

L’hostilité au procédé même n’a pas d’adversaire plus résolu que François Vinneuil. Dans L’Action française, il s’emporte à propos de la version doublée de Papa longues jambes, film américain qui sort dans la même période que Le Maudit :

« Jamais encore on ne nous administra exemple plus typique de cette étrange hérésie qu’est le doublage. […] Le doublage est facile et même recommandable pour certains films où la parole n’est qu’un auxiliaire du récit simplement plus rapide que l’ancien sous-titre. Il nous semble que l’on peut doubler en américain, en italien, en russe, en yiddish, en finnois, le Million [René Clair, France, 1931] et À nous la liberté [René Clair, France, 1931] sans causer à leur unité un préjudice bien sérieux. Mais on ne nous a montré à ce jour aucun film étranger qui soit à ce point délesté du verbe. Le doublage a donc désaccordé, entre autres, City Streets [Les Carrefours de la ville, Rouben Mamoulian, E.-U., 1931].Il est impossible qu’un film doublé, quelle que soit la qualité de ses images, obtienne jamais le succès de Ben Hur [Fred Niblo, E.-U., 1925], des Nuits de Chicago [Underworld, Josef von Sternberg, E.-U., 1927]. Il faut choisir sans hésitation, pour les bandes étrangères qui en valent la peine, le moindre mal, le sous-titre concis, peu fréquent, mais bien placé.Nous aimerions savoir quels arguments pourraient fournir pour défendre leur travail, les adaptateurs de Papa longues jambes : pourquoi a-t-on désigné, parmi 5 ou 600 films américains, cette bluette jouée sans l’ombre d’esprit par Janet Gaynor […] ? On a cependant entrepris en son honneur la longue, délicate et décevante traduction, syllabe par syllabe, du bagout américain dans notre langue. L’artifice qui se conçoit encore pour quelques répliques isolées devient insoutenable dans une succession de tirades, lues d’une voix grise et appliquée par un comédien besogneux. Cette fois, par manière de distraction, quelques-uns de ces esclaves anonymes prennent un petit accent yankee (à moins qu’ils ne soient vraiment des Américains auquel cas on serait plus indulgent pour leur hésitante syntaxe). C’est irrésistible. »35

L’exemple de City Streets, que Vinneuil juge « désaccordé » par le doublage, rencontre, à l’inverse, l’approbation de Maurice Huet, qui qualifie les dialogues en français de ce film de gangsters de « fort adroitement ajustés […] sur la mimique labiale américaine »36. C’est également le cas du chroniqueur du Populaire, Charles Jouet : « Le procédé est adroitement employé, avec des répliques parfois trop peu vives, mais généralement très suffisantes… »37

S’agissant de M/Le Maudit – dont Vinneuil est l’un des rares à ne pas commenter le doublage – la critique est, dans l’ensemble, élogieuse à l’endroit de la version française ou, à tout le moins, satisfaite. Si Cinéa se borne à qualifier le doublage de « correctement réalisé »38, Georges Champeaux écrit qu’il « représente un véritable tour de force. L’illusion est complète. Et le texte demeure de qualité »39. Dans Pour Vous, on parle d’une « technique parfaite que le doublage et le texte n’ont pas trahie au contraire […] »40. Pour Cinémonde, « [r]ien n’était plus malaisé que de faire le doublage vocal en français de ce film aux dures consonances allemandes. C’est pourtant ce qui fut tenté… et réussi par Roger Goupillières et André Lang. Et c’est tout à fait remarquable »41. Relevons que la difficulté qu’André Lang mettait sur le plan « grammatical » (place du verbe) se situe ici sur le plan de la phonétique (consonances). On verra que certains élargiront encore ce caractère au sujet même du film ou à telle ou telle de ses péripéties, accordée au « goût profond du morbide » des Allemands42.

Un autre critique, plus catégorique encore s’agissant de la « réussite complète que constitue le doublage en français du film de Fritz Lang », tient à souligner ce « premier succès absolu que remporte le dubbling »43. Ce succès est sans doute exceptionnel, car « de récents et éclatants échecs nous ont en effet prouvé que ce procédé compromettait gravement le caractère original des films ainsi traités. La réussite accomplie par MM. Goupillières et André Lang […] n’en a que plus de prix »44. Il attribue cette réussite au fait que « pour la première fois c’est un metteur en scène, Roger Goupillières, qui a dirigé la synchronisation d’un dialogue nouveau sur les images d’un film antérieurement réalisé dans une autre langue », et que cette synchronisation « n’a été rendue possible que parce qu’on a spécialement tourné à nouveau certaines scènes jouée en premiers plans, et grâce aussi à la prodigieuse somme de patience qui a été dépensée par tous les collaborateurs français invisibles de Moerder »45.

Le doublage ne se limite donc pas à la synchronisation de nouvelles voix, il nécessite, pour être réussi, le re-tournage de certaines scènes dans la langue seconde, en particulier dans les cas de premier plan et de durée de parole – ce qui ne garantit pas une meilleure coïncidence… En effet Guy Roberty – qui trouve le doublage remarquable quoique peu favorable aux voix féminines – relève quelques problèmes de synchronisation, de non-coïncidence, en particulier lors de la conversation téléphonique du ministre et du préfet et lors du monologue final de Beckert46 : or ce sont les deux scènes qui ont fait l’objet d’un tournage français en français, sous la direction de Goupillières !

Une expression de Charles Jouet dans Le Populaire met bien en lumière le paradoxe même du doublage dont il salue « l’excellence du procédé ». Il écrit :

« Une version en français jouée par les mêmes comédiens dont les voix ont été remplacées par celles d’acteurs invisibles a été dirigée par M. Roger Goupillières et son dialogue est de M. André Lang. »47

Les acteurs « invisibles » (le mot revient plusieurs fois), ces « fantômes », ces « doubles » hantent par conséquent tous les commentaires, sans qu’on puisse distinguer leurs voix des scènes où ils figurent dans l’image de celles où ils doublent les acteurs allemands parlant allemand et de celles, enfin, où un acteur allemand parlant français – Peter Lorre – est pourtant doublé…

M dans son temps : sources

L’un des enjeux de cette contradiction que soulève la substitution de voix françaises à des voix allemandes et qu’incarnent les deux opérations du doublage et de l’adaptation réside dans le lien étroit que le film entretient avec la société allemande contemporaine et, en particulier, avec le fait divers qui agite les esprits en profondeur dans le moment même où le film est conçu, tourné puis montré, l’affaire du « vampire de Düsseldorf », le tueur « en série » Peter Kürten, qui prend la suite de plusieurs autres48. Pourquoi ?

D’une part, parce qu’au-delà de la seule relation des faits, du récit, tout un ensemble d’éléments, soigneusement disposés ou convoqués par Fritz Lang et son équipe allemande se trouvent appauvris ou disparaissent dans l’« adaptation ». On veut parler du lexique même des dialogues mais aussi des mentions écrites diégétiques, des accents verbaux très différenciés, des modalités de l’expression verbale, de la prosodie.

Or ces éléments – eu égard à la volonté documentaire affirmée du metteur en scène et de la scénariste du film – renvoient et participent intimement à l’atmosphère d’une société que secouent les affaires de meurtres en série. Ils inscrivent le film dans un ensemble de discours, concernant ces « affaires », plus ou moins familiers aux spectateurs allemands qui les retrouvent dans le film soit tels quels, soit ramassés sous une forme dramatique, jusqu’à des effets de coïncidence faisant, plus d’une fois, prendre le film pour la réalité.

D’autre part, non seulement le scénario de M s’inspire de ces affaires policières et judiciaires qui lui fournissent son matériau (on fait d’ailleurs explicitement référence dans le film même aux meurtriers Haarmann et Grossmann49) – ce dont tous les commentateurs conviennent –, mais le film intervient dans le débat social qui fait rage entre 1929 et 1931 en Allemagne. Il offre un espace d’expression aux discours qui s’opposent dans la presse, dans la rue et dans diverses institutions publiques (politiques, policières, judiciaires, médicales) et partis politiques autour de l’efficacité de la police, de la peine de mort ou de l’internement psychiatrique du tueur.

Cette démarche « documentaire », Lang l’a revendiquée après La Femme sur la lune, déclarant vouloir désormais se tourner vers la réalité :

« Cela conduit, je crois, au reportage filmé. Non que je souhaite complètement renoncer au film de fiction, mais ce vers quoi je tends, c’est sortir du studio, pouvoir montrer quelque chose sans enjolivure ni exagération. »50

Lang exprime ainsi une profession de foi quasi « factualiste », proche de toute une tendance inclinant la littérature, le théâtre et le cinéma vers le reportage51, qui imprègne le réalisme du film – tourné pourtant entièrement en studio52 – et qu’on a pu rattacher plus tard au courant de la Neue Sachlichkeit (Lotte Eisner)53 , mais dont on a aussi discuté les ambiguïtés à l’époque, Siegfried Kracauer voyant cette tendance au reportage contredite par une « mythologisation »54.

Pour comprendre ce double rapport du film avec « l’actualité » allemande, il faut revenir à la chronologie55. C’est le 25 mai 1930 que Peter Kürten, qui a terrorisé la ville de Düsseldorf durant quinze mois en perpétrant une quarantaine d’agressions dont neuf mortelles (garçons et filles), a été arrêté. Le 6 juin, la presse corporative indique, sans autre détail, que Fritz Lang est à nouveau au travail56 ; le même jour, le Film-Kurier signale qu’un documentaire sur Kürten, réalisé par une équipe travaillant par ailleurs pour la police de Düsseldorf, a fait scandale dans un cinéma de la ville57. Le 13 juin, Lang révèle le titre de son prochain film en même temps que l’accord de production avec Semour Nebenzahl (Nero) : Mörder unter uns !58 Après un certain nombre d’annonces (engagement des comédiens) et d’articles, le film est tourné entre le 18 décembre 1930 et le 16 février 1931. Son sujet en est plus ou moins connu grâce aux reportages réalisés sur le tournage et durant le montage59. Le 31 mars, la première publicité avec la main marquée d’un « M » apparaît. Le procès Kürten s’ouvre le 13 avril. Le 20 avril, la Nero annonce que le film de Lang sera « sans titre ». Le 22 avril, le procès Kürten s’achève avec la condamnation à mort du meurtrier. Le 27 avril, l’autorisation de la censure pour le film est délivrée. La Première à l’UFA-Palast am Zoo a lieu le 11 mai et la sortie publique le 13. Le 23 juin, l’exploitation du film est prolongée en raison de son succès. Kürten est exécuté (guillotine) le 2 juillet dans la prison de Köln-Kligelpütz. Le 30 août, M voit son exploitation prolongée sur tout le territoire allemand. En mai 1932 a lieu une seconde sortie en exclusivité du film en Allemagne (dans une version raccourcie d’environ dix minutes).

L’affirmation – vraie ou fausse – selon laquelle le scénario du film était achevé avant l’arrestation de Kürten60 ne relativise en rien cette relation entre le film et les événements. En effet, même si Lang a dit plus tard avoir emprunté à d’autres figures de meurtriers en série, Thea von Harbou et lui-même ont insisté sur la documentation à laquelle ils recoururent, en particulier la presse61. Or, outre l’« article » d’Egon Jacobson qui serait à l’origine du sujet – cité par plusieurs auteurs, il figure même dans certains génériques apocryphes et on le retrouve sur celui du remake de Losey en 1951 (en tant qu’« author of book ») – et qui a tout du « leurre »62, il faut plutôt mentionner un numéro spécial du Kriminal-Magazin (édité à Leipzig) sorti au début de 193063 (soit avant l’arrestation de Kürten) : il fournit en effet un grand nombre de détails, d’images, de diagnostics ou de formulations que l’on retrouve presque tels quels dans le film, à commencer par son titre et son sous-titre : « 15  000 Mark Belohnung ! Der Massenmörder von Düsseldorf. Ein Massenmörder spielt mit einer Stadt »64.

Lang lisait apparemment ce magazine dont on a retrouvé plusieurs coupures dans son carnet de notes en juin et octobre 193065. Ce numéro spécial de 25 pages était conçu pour permettre d’aider à la mise hors d’état de nuire du meurtrier en série en faisant appel au public car, est-il dit, « nous sommes tous concernés ».

Confié à un spécialiste « qui suit l’enquête depuis le début » et à qui on a demandé, sous couvert de l’anonymat, de dresser un état de la question le plus objectif possible, il trace un portrait du tueur : il assassine ses victimes au couteau (35 coups de couteau pour la petite Gertrud Albermann) et les meurtres se succèdent, à quelques jours, voire parfois à quelques heures d’intervalle. Le goût pour les couteaux de Beckert – et l’association Beckert/couteaux – traversent le film, il n’est pas besoin d’insister. La lacération des victimes trouve également un écho dans la phrase d’un expert de la police lors de la conférence autour du préfet : « […] et quand on les retrouve, Dieu sait dans quel état on les retrouve… »66

La psychose qui saisit toute une ville – en l’occurrence Düsseldorf – est évoquée dans le journal dès les premières lignes : non seulement les affiches promettant des récompenses à qui mettra la main sur le tueur y sont placardées massivement (« überall in der Stadt hängen Plakate, die riesenhafte Belohnung ausloben [partout dans la ville des affiches promettent une récompense énorme] »67), mais des scènes où les passants molestent un passant suspecté sont également mentionnées :

« [U]n homme qui ne ferait pas de mal à une mouche voyant sa petite nièce jouant seule dans la rue et qui l’emmène pour la soustraire au danger se voit soupçonné d’être le tueur d’enfants et risque d’être lynché est sauvé par un commando de la police. »68

On retrouve une scène identique dans le film avec l’épisode du petit homme à chapeau melon empoigné par un géant, et pris à partie par la foule pour s’être inquiété d’une petite fille en trottinette qui lui avait demandé l’heure69.

L’allure, l’âge, et la façon dont la petite victime du film de Lang (Elsie Beckmann)70 est emmenée par son assassin évoquent également d’assez près le meurtre de la petite Gertrud Albermann du 9 novembre 1929, dont la photographie est reproduite dans le Kriminal-Magazin. On lit que le meurtrier emmène sa victime de son plein gré après lui avoir fait un cadeau (dans le film, le fameux ballon) :

« [P]ar la fenêtre d’une maison proche, une voisine a observé comment un jeune homme avec un manteau sombre d’environ 25 ans est parti avec l’enfant et sans doute est-ce un cadeau ou une promesse qui a permis cette confiance. »71

Jusqu’à des petits détails comme le fait que le meurtrier garde les mains dans ses poches, selon un témoin. Kürten, en effet, se tenait en arrière de ses victimes pour pouvoir mieux les frapper soudainement : ainsi la scène où Beckert sort son couteau pour peler une orange illustre, par déplacement, ce que l’on sait du tueur, elle « joue » doublement avec le savoir du spectateur mais aussi celui, dans le film, du jeune homme qui « file » Beckert et le marquera, à la suite de cet épisode, du fameux « M ».

L’assassin mystérieux, dont le Kriminal-Magazin analyse les forfaits, écrit des lettres à la police et à la presse. C’est l’un des éléments qui paraît le plus intéressant au plan de sa psychologie. La première, envoyée au journal communiste Freiheit, est écrite au crayon bleu (rouge dans le film, le crayon devient un indice) et indique par un plan l’endroit où le corps d’une victime a été enterrée. Ces lettres sont analysées par de nombreux graphologues dont l’un est cité dans le journal en des termes repris d’assez près par le graphologue du film72 :

« […] celui qui a écrit ces cartes est, du point de vue mental un cas pathologique, probablement un schizophrène […] ; d’après nous, le fait qu’il s’agisse d’un type de malade mental, c’est-à-dire un schizophrène, est fortement suggéré par les lettres W et H sur la carte no 2, de même sur la carte no 1 par les lettres G et H […]. »73

On trouve dans le même numéro du Kriminal-Magazin la photographie d’une réunion de différents commissaires de la Police criminelle réunis sur le cas du tueur de Düsseldorf (Mordkommission) dont le Kriminalrat de Berlin, Ernst Gennat. C’est lui qui inspire à Lang le personnage de Lohmann74 – en empruntant son nom, à une voyelle près, au responsable du cas Schumann, le Kriminaloberwachtmeister Lahman75. Un autre numéro du Kriminal-Magazin publie en première page la photographie de Gennat « au travail » examinant, à l’aide d’une loupe, un document sur un rebord de fenêtre76, image faisant furieusement penser à Lohmann examinant le rebord de fenêtre où Beckert a rédigé sa lettre à la presse77

Ernst Gennat est le représentant permanent du directeur de la Police judiciaire berlinoise dirigeant la division de la police criminelle « M » (Mord). La lettre du titre du film « sans titre » renvoie donc tout autant à Mörder (meurtrier), donc au personnage, qu’à Mord (meurtre) et à la division de la police criminelle spécialisée en la matière. Que ce soit les mendiants-truands qui en fassent l’usage que l’on sait en « marquant » le suspect n’en est que plus ironique de la part de Lang et participe de cette superposition des deux « institutions » en lice dans la traque du tueur.

Gennat a pour première préoccupation et doctrine la prévention du crime. À cette fin il crée un fichier central réunissant toutes les données possibles concernant un cas (journaux, radio, affiches, avis, etc.). Il est également le promoteur de nouveaux principes de criminologie, notamment l’usage central des relevés d’empreintes digitales, procédé alors relativement nouveau en Allemagne – ce dont le film se fait largement l’écho lors de l’exposé du préfet de police au ministre (recherche d’indices dans les fichiers d’empreintes digitales, analyse desdites empreintes, constitution systématique de fichiers que l’on voit être consultés dans le film).

Ces emprunts à l’actualité et ces références à des personnages existants et à des réalités précises relèvent de cette démarche documentaire dont Lang et Harbou se réclament. Dans les entretiens qu’ils donnent ou les articles qu’ils écrivent sur leur film, ils soulignent ce lien à l’actualité et revendiquent une fonction sociale pour le cinéma (éducation et prévention) centrée sur la nécessité d’accorder plus d’attention à la sécurité des enfants sur laquelle se clôt le film78.

Mais le film joue également avec l’actualité sur un plan plus spectaculaire sinon commercial, notamment en théâtralisant le monde de la pègre, l’Unterwelt, dépeint comme une contre-société plus efficace que la société « officielle », que l’État79. Il va de la sorte participer au débat public non seulement autour de la sécurité des enfants mais de la sécurité en général, de la peine de mort, de la responsabilité ou de l’irresponsabilité d’un meurtrier malade. Au point, peut-être, d’être « instrumentalisé » au-delà des intentions de ses auteurs.

M dans le débat public : montrer et prévenir

On a vu le graphologue du Kriminal-Magazin et d’autres participants à l’enquête fortement enclins à considérer le tueur de Düsseldorf comme un malade mental. Après l’arrestation de Kürten, le prof. Franz Sioli, psychiatre de l’Académie de médecine de Düsseldorf, examine ainsi le meurtrier à la prison de Düsseldorf-Derendorf entre le 7 octobre et le 2 novembre 193080. Sioli l’interroge notamment sur le fait de savoir s’il entend des voix, et Kürten répond affirmativement. Il entend des voix depuis longtemps, tout en semblant comprendre qu’elles sont le fruit de son imagination. Il revient plusieurs fois sur ce thème et en particulier se met, de son plein gré, à écrire un mémoire dans lequel il décrit toutes les voix entendues depuis sa jeunesse81. À l’issue de ces entretiens, le médecin ordonne six semaines d’observation dans la clinique de Bedburg-Hau (Rhénanie-du-Nord-Westphalie).

Pourtant Kürten ne sera pas considéré comme un malade mental, malgré tous les signes pathologiques qu’il a pu donner : dans son rapport final, Sioli déclare qu’il ne décèle chez lui aucun de ces signes, aucun dérangement maladif des affects, ni les signes extérieurs de comportement ou de mouvement du visage et de la parole qui révéleraient la tension de la folie habitant le malade. Deux autres experts concluent à la préméditation et à la responsabilité de l’accusé dans ses crimes.

L’avocat de Kürten, Alex Wehner, plaidera en vain l’irresponsabilité de son client qu’il présente comme « poussé par une force irrésistible »82. Il fait état de ses antécédents anormaux et déclare que « les actes de Kürten relèvent davantage de la médecine et de la pathologie que de la justice »83.

L’opinion publique réclamait la tête de Kürten. Le ministère de la justice reçut un très grand nombre de lettres de gens réclamant sa mort et demandant même de prendre part à son exécution. Il ne fait guère de doute que des raisons politiques liées aux controverses sur la peine de mort pesèrent sur le verdict et amenèrent les juges, sur la base des diagnostics des psychiatres, à refuser à Kürten les circonstances atténuantes que lui auraient valu la reconnaissance de sa maladie. La cour savait qu’elle ne pourrait l’assumer face aux victimes. La sentence de mort devait être exécutée84.

Des voix s’élevèrent aussitôt contre l’exécution de Kürten, en particulier dans le périodique Die Justiz qui portait deux critiques : la première pour dénoncer l’influence des médias et de la vox populi sur le procès85 ; la deuxième pour contester le diagnostic de bonne santé mentale de Kürten86.

Comment le film participe-t-il à cette controverse et quels indices a-t-on de son rôle effectif ?

Au niveau du film (texte et réception), on voit bien, en particulier dans la scène du « procès » de la pègre, que sont exposés les différents arguments pour ou contre la peine de mort dans le cas d’une maladie mentale. La proximité entre l’argumentation de l’avocat de Kürten et celle de l’« avocat » de Beckert est frappante. Or dans la mesure où le tournage du film était achevé avant l’ouverture du procès, le « procès » du film fut conçu en quelque sorte comme une « actualité reconstituée » par anticipation du procès réel, lequel, par contre, était achevé à la sortie du film qui fut exploité avec succès jusqu’à l’exécution et après. Dès lors dans quelle mesure le film ne participe-t-il pas à rendre acceptable non seulement le verdict mais également l’exécution de Kürten ?

Le film donne à ce débat engagé depuis des années dans la République de Weimar87 une forme ramassée et dramatisée, dont on interprétera contradictoirement la logique dominante à l’époque comme par la suite : aux discours qui s’affrontent lors de l’enquête et de la traque (quels moyens mobiliser, qui rechercher, etc.) de part et d’autres des deux « institutions » en présence et en convergence (la police et la pègre) sous pression de l’opinion publique (scènes de rues, appel au lynchage, disputes de bistro, délation, etc.) succède l’affrontement à trois termes du procès avec l’acte d’accusation (Schränker), le plaidoyer de l’accusé (Beckert) et celui de la défense (l’avocat). Le film présente tous les arguments et les spectateurs s’affronteront dans les salles comme ils le faisaient dans la rue ou les cafés. Du côté des critiques qui relèvent tous la nature du sujet et son actualité, ceux dont l’avis est déjà constitué privilégieront tel ou tel orateur afin de faire dire au film ce qu’ils souhaitent, ou déploreront le manque d’affirmation du film dans leur sens. L’incertitude demeure cependant, moins en raison de la présence « équitable » des diverses positions en jeu dans la société de l’époque qu’en regard du statut des unes et des autres sur le plan dramaturgique, du discours de la forme filmique en d’autres termes. S’il est bien vrai que le film « se garde bien » de « prendre parti pour la peine de mort » de manière déclarative, comme l’affirme Kracauer88, puisque la loi s’impose et que Beckert ne finit pas lynché par les truands, il n’en reste pas moins que la dramaturgie du film conduit à cette exorde89 et fait valoir – comme l’avait brillamment relevé Roger Dadoun –, « le droit des mères » contre la Loi et la constitution du meurtrier en « bouc émissaire »90. Le discours de Schränker énonce la rumeur collective des truands, mendiants et prostituées qui forment le peuple de cette cérémonie91. Lang et Harbou mettent en scène la vox populi.

Le réquisitoire de Schränker est fondé sur le raisonnement suivant : c’est parce que tu avoues que tu ne peux faire autrement que tuer qu’il faut que tu meures à ton tour. C’est parce que tu es malade qu’il faut t’éliminer. Que Beckert décrive sa maladie et son impuissance à la combattre fournit précisément la preuve qu’il ne peut être intégré à la société, et donc doit être exterminé. Ce raisonnement s’éclairera sinistrement après 1933 puisqu’il sera repris par les autorités du IIIe Reich, mais en 1931 il ne se rattache pas moins à un courant de pensée à la fois judiciaire, policier et médical qui vise à l’élimination des « anormaux » dans la société. Des arguments de sécurité (agressions, meurtres, viols) le disputent à des arguments économiques (ils coûtent à la société) sur fond d’un idéal de lutte contre la décadence, l’affaiblissement de la race et la promotion de sa pureté92.

Les auteurs du film ont-ils été dépassés par cette participation au débat public ? C’est probable, mais on ne s’interrogera pas sur ce point, si ce n’est pour relever la manière dont il en est devenu partie prenante.

Si l’on peut faire abstraction des informations distillées au compte-goutte durant les phases de tournage et montage dont témoigne le « suspense » maintenu autour du titre et du sujet, il est patent en revanche qu’à sa sortie le film est délibérément inscrit dans le débat. Le premier dossier de presse rédigé par Alexandre Alexander souligne son actualité : outre des textes de Fritz Lang (« Mein Film-ein Tatsachenbericht » [Mon film M, un rapport factuel]) et de Thea von Harbou (« Warum gerade ein ‹ solcher › Film ? ! » [Pourquoi un tel film ? !]), il contient des interventions de spécialistes, dont l’avocat Erich Frey (qui a défendu Schumann, Grossmann et, pour un temps, Haarmann), Paul Steinbeck, le procureur général (Staatsanwalt), le directeur du musée du crime et de la Kriminalberatungstelle de Berlin, des fac-similés, enfin, de lettres de Kürten. Dans la brochure de présentation de l’Illustrierte Film Kurier, on reprend en encadré les paroles du ministre et des experts de la police qui, dans le film, parlent d’« [une] grande ville terrorisée par un tueur d’enfant pathologique [eine Großstadt wird monatelang von einem pathologischen Kindesmörder terrorisiert] », d’un « instinct bestial criminel [bestialischen Triebverbrechers an] », et de « bête humaine [Bestie in Menschengestalt auf] ». Le tressage entre la maladie mentale, le meurtre et l’inhumanité du tueur est insistant. En exergue, la brochure publie une déclaration du procureur Paul Steinbeck pour qui le film offre l’éclairage le plus vif sur les dangers que représentent de tels meurtriers et la mise en scène la plus impressionnante sur la manière dont on peut, soi-même et ses proches, s’en protéger93.

Les déclarations de Lang vont tout à fait en ce sens. Montrer le « danger invisible », prévenir ce danger, telle est la mission du film.

Dans son texte de présentation, il insiste sur le lien maladie/crime en employant une formule qui fait écho aux paroles de Schränker dans son réquisitoire : « Cet homme est un incendie qu’il faut éteindre […] ». Il poursuit :

« Si ce film, basé sur des faits véridiques, peut, à l’instar d’une main qui s’élève en avertissement, contribuer à montrer le danger invisible qui rôde, le danger chronique qui menace notre existence, surtout l’existence des plus faibles d’entre nous, les enfants, par la présence constante d’individus prédisposés à la maladie ou au crime une sorte de foyer d’incendie latent [latenter Brandherd] [nous soulignons] –, si ce film contribue peut-être en outre à prévenir ce danger, il aura rempli sa mission la plus noble et tiré la conséquence logique de la quintessence des faits qu’il rapporte. »94

Dans un article paru le lendemain, Lang nie avoir voulu faire un film « pour la peine de mort », mais pour prendre part au débat « avec des arguments objectifs pour et contre la peine de mort »95. Il reprendra cet argumentaire à Paris selon des propos que cite Léon Moussinac où le cinéaste revendique un « rôle d’éducation sociale » pour le cinéma :

« Il y a longtemps que le sujet du Maudit me sollicitait. Dans chaque pays apparaissaient des monstres qui sont la terreur des mères. Il y a plus de 40 ans il y eut, en Angleterre, Jack l’Eventreur. D’autres avant lui et après. J’ai voulu dénoncer le danger que font courir ces êtres aux enfants. Sont-ce des malades ou de vulgaires criminels ? Doit-on les châtier ou les soigner ? Cela m’est égal. »96

Dans L’Intransigeant  :

« J’estime que le cinéma n’est pas seulement un art. Il doit s’intéresser aux problèmes de l’actualité. J’ai voulu mettre en garde le public contre les innombrables déséquilibrés qui vivent librement et menacent la sécurité : l’époque tourmentée où nous vivons voit se multiplier les déviations sexuelles les plus étranges. La société doit se protéger de ces malades. Les enfants surtout doivent être attentivement surveillés. Enfin il est bon que le public sache comment la police effectue ses recherches et les moyens dont elle dispose. J’ai donc voulu avertir et instruire le public. La base de mon film m’a été inspirée par l’histoire du vampire de Düsseldorf. »97

Et dans Pour Vous  :

« J’ai longuement mûri ce sujet… Je l’ai réalisé en pensant qu’il avait une valeur d’ordre général. On peut prévenir un mal en le montrant. Il y a eu un cas qui a démontré que le problème pouvait se poser… Je veux parler de celui de Kürten… »98

La prévention à l’endroit des enfants, but assigné au film dans les propos ultérieurs (notamment aux États-Unis), est donc, en 1931, inséparable de la question du châtiment des criminels sexuels car on ne voit pas en quoi le film montre de quelle manière se prémunir contre un tel danger – sinon par la solution préconisée par la pègre !99

Il y a, enfin, la réception du film. À l’époque le film est tellement directement rattaché au cas Kürten que la plupart des critiques s’y réfèrent sans détour, introduisant les personnes réelles au sein de la fiction pour en désigner les personnages (Kürten et Gennat en particulier)100. Dans la Weltbühne du 19 mai 1931, on publie même un faux « reportage radiophonique » (daté du 15 mai) sur « l’exécution » de Peter Kürten (condamné à mort le 22 avril) où l’on décrit l’arrivée du « luxueux cabriolet Mercédès Benz laqué de blanc et de rouge de Mme Thea von Harbou accompagnée de son mari le metteur en scène Fritz Lang » :

« Près de lui se tient Peter Lorre, l’acteur principal du Peter-Kürten-film ‹ M ›. À leurs côtés a pris place le président du Syndicat des truands, Emil Cziburra surnommé ‹ le tigre de Friedrichshain ›. Avec une juvénile élasticité, la poétesse saute du volant sur la chaussée et est accueillie par une jeune fille vêtue de blanc qui lui tend un bouquet d’iris couleur feu. Il est difficile de s’arracher de ce spectacle délicieux. »101

La formule « Peter-Kürten-Films ‹ M› » désignant M atteste bien de la manière dont le film est reçu (comme le fait d’appeler Lohmann du nom de Gennat dans certains articles).

Gabriele Tergit, journaliste de la Weltbühne, s’était déjà indignée, à sa sortie, de la manière dont le film exploitait éhontément l’actualité : « Le monstre était encore hier devant le tribunal et le voilà déjà à l’écran ! »102 Mais en dehors de cette indignation – que critiquèrent Rudolf Arnheim103 et Siegfried Kracauer104 parce qu’elle appelait implicitement à la censure – Tergit posait le problème de fond :

« Lorsque l’assassin Lorre, dans un moment d’inspiration presque poétique, en tout cas remarquablement bien joué, montre l’engrenage, la peur de la créature, l’horrible domination d’une sexualité anormale et que l’un des nobles gangsters crie : ‹ Il veut profiter de l’article 51, on connaît ça ›, le public de la première éclate en applaudissements enthousiastes. […]Est-ce que le fou est encore coupable, comme on le disait il y a deux cents ans ? L’article 51 ne concerne que la folie psychique, pas encore la folie physique. C’est ce ‹ pas encore › qui compte. »105

Les spectateurs allemands – qui en disputent eux-mêmes dans les salles106 – reçoivent ainsi M dans le cadre des controverses autour du paragraphe 51 et de l’exclusion sociale et même biologique des « fous », des « anormaux » que préconise tout un courant ethnopsychiatrique ; le film offre à ces débats une tribune. On sait que la mise en œuvre à grande échelle de ces théories d’élimination des infirmes, handicapés, vieillards, enfants déficients, etc. sera réalisée par les nazis quelques (petites) années plus tard sous le nom de programme T4. Et que ce programme servira lui-même de matrice à l’élimination, sur critères biologiques, d’autres catégories de la population (juifs, tsiganes) et des populations conquises à partir du déclenchement de la guerre (slaves). Le petit Helmut dans Germania anno zero (Allemagne année zéro, Roberto Rossellini, 1948) témoigne de la pénétration de ces théories dans le tissu social, via les instituteurs notamment107.

La réception française du Maudit

Il est évident que la réception française de M/Le Maudit ne peut être la même que celle qui a lieu en Allemagne une année plus tôt. Même si toutes les critiques ou à peu près se réfèrent à l’affaire Kürten108, voire aux deux affaires Kürten et Haarmann109 – et on a vu que Lang lui-même y renvoie dans les entretiens qu’il donne à Paris –, le public ne peut être sensibilisé à un événement qui s’est passé une année plus tôt et dans un pays sinon lointain du moins « différent » de la France et auquel on est tout prêt à reconnaître des « travers » qui lui sont propres110. Le meurtre qui secoue la population et les médias au moment de la sortie du film à Paris est celui… du président de la République Paul Doumer111. Une année plus tard ce sera le meurtre de leurs patronnes par les sœurs Papin112.

Mais surtout il n’existe dans la presse et l’opinion publique française en général aucun débat autour de la responsabilité ou non des malades mentaux ayant commis un meurtre ou une agression113. Dès lors, non seulement le film ne peut pas jouer ce rôle, mais les adaptateurs (et/ou le distributeur Pathé-Natan) ne le veulent pas : d’où les coupes (de près de dix minutes dans la version française), les atténuations via la traduction, la modification de la fin du film.

Cependant si Le Maudit, qui le « double », n’est pas M, M « hante » Le Maudit : double du double.

Dans la salle, au Studio des Ursulines, en effet, les deux versions peuvent être vues successivement. La critique selon les cas s’y refuse ou s’y applique mais, quoi qu’il en soit, l’analyse proposée aux lecteurs français se ressent de cette connaissance « spectrale » alimentée par les commentaires venus d’Allemagne, les propos de Lang, les échos assourdis de l’actualité qu’a eue le film à sa sortie. Le doublage (dans l’acception qu’on a dite au début : traduction, adaptation, interprétation, mise en scène, montage) se trouve au centre de cet exercice collectif de dénégation et de refoulement d’« impuretés » que l’on ne peut surmonter qu’en recourant à la sublimation artistique, la projection dans l’esthétique et la « pureté cinématographique ».

On a déjà signalé plus haut quelques omissions de scènes ou de plans qui affectaient cette adaptation et quelques cas de plans re-tournés expressément pour Le Maudit, indiqué enfin que cette version française s’achevait sur une autre fin que celle du film allemand. Il faut y revenir pour essayer d’en dégager la logique avant d’examiner plus en détail les écarts en matière de traduction proprement dite.

Le générique du film, passés les cartons indiquant le distributeur puis le réalisateur, reprend le dessin de la main comportant un « M » dans sa paume ouverte, identique à l’original mais perpendiculaire au bas de l’écran et non en oblique (fig. 3) ; puis, par fondu enchaîné, le « M » est « complété » pour que les mots « Le Maudit », comme écrasés entre les doigts de la main, se déploient. Ensuite arrive le carton mentionnant les noms des adaptateurs français dans le même arrangement géométrique que les premiers cartons.

La première différence entre les deux films se situe lors des scénettes du début illustrant la « psychose » collective sur la ville. Les paroles du policier venu perquisitionner chez un couple de gens modestes, atterrés d’avoir été dénoncés par une lettre anonyme, s’achève sur la phrase : « N’importe qui peut être l’assassin ». On passe alors, dans M, à la scénette où un petit vieux à qui une fillette en trottinette a demandé l’heure se fait apostropher et empoigner par un malabar puis prendre à partie par la foule des passants. Cette scène est omise dans la version française, ainsi que la suivante, où un pickpocket, arrêté par la police dans un autobus à impériale, est, à son tour, pris pour le meurtrier par la foule.

Le deuxième moment où les deux versions diffèrent se situe lors de la conversation entre le préfet de Police et le ministre de l’Intérieur. Les plans des deux hommes ont été re-tournés avec deux autres acteurs qui s’expriment en direct en français. Les angles de prise de vue diffèrent légèrement mais la gestualité des deux hommes reprend grosso modo celle de leurs « modèles ». On peut observer dans le décor du bureau du ministre, à l’arrière-plan, la partie inférieure d’un tableau de grande taille où l’on distingue un chien qui fait pendant aux tableaux orientalistes de la pièce où se réunissent les responsables des truands (femmes nues), tout en s’accordant par avance avec le plan sur les chiens policiers lancés sur la piste du meurtrier (fig. 4).

Le troisième moment où l’on observe des adaptations significatives se trouve dans la séquence croisée des deux conférences de la police et des truands. Le préfet demande à ses subordonnés de s’expliquer sur l’enquête et les mesures à prendre et chacun s’exprime. Après la première intervention d’un policier en tenue qui réclame brutalement « des rafles, encore des rafles », des contrôles d’identité, l’état de siège, la version française omet l’orateur suivant, un expert à l’allure professorale d’Unrath dans Der blaue Engel (L’Ange bleu, Josef von Sternberg, All., 1930), qui évoque le profil de psychopathe du meurtrier recherché. Goupillières a déplacé des plans rapprochés sur des « interlocuteurs » et même sur le préfet en les situant à d’autres moments de la réunion. On a ainsi affaire à une reconstruction du découpage initial dû sans doute à la difficulté de doubler sur une durée prolongée un orateur, les inserts permettant de réajuster les coïncidences labiales. Mais ce changement s’effectue aux dépens du propos, car, ici, Lohmann approuve de la tête l’appel aux « rafles », alors que cette approbation s’adressait au deuxième orateur.

Le quatrième moment est celui du « procès » de Beckert dans la distillerie abandonnée. Là aussi, Goupillières a retourné des plans – ceux du monologue de Beckert – et en a tourné d’autres : la scène est plus longue. Le décor est, à peu de choses près, le même que dans le film allemand (mur de briques, tuyaux de chauffage, deux marches de bois contre lesquels le fugitif est lancé sans ménagement par les truands après sa tentative de fuite, planches et corde), mais ce n’est pas exactement le même, et l’angle de vue comme la distance scalaire diffèrent nettement. Ce tournage « français » a-t-il été réalisé à Berlin et non à Paris, comme ont pu l’être ceux du dialogue du ministre et du préfet et surtout la ronde finale ? Des indices incitent à pencher pour un tournage en France : Lorre y est venu, accompagnant Fritz Lang114, il est vrai pour la première du film. André Lang, qui n’est pas avare de détails quant à sa participation au film, ne signale aucun tournage à Berlin pour cette version française. Au contraire, il rappelle qu’il était allé auparavant dans la capitale allemande et y avait vu M115. Peter Lorre, étant au centre de cette séquence du « procès », rejoue en partie son monologue, mais Goupillières, là aussi, a mélangé les plans originaux et les nouveaux en fonction des durées de paroles. Il en résulte un découpage très fragmenté où les plans ne raccordent pas toujours très heureusement en raison de disparités d’angles de vue ou de proximité (plus de plans rapprochés voire des gros plans), ou alors semblent se répéter (fig. 5-6).

Enfin, il faut en venir à cette étonnante fin française. Après le plan des juges muets – auquel on a ajouté un son hors-champ, celui de crieurs de journaux annonçant une « Édition spéciale ! » –, un fondu au noir laisse entendre des voix d’enfants, comme au début du film, se mettant en place pour une ronde. L’écran nous montre alors en contre-plongée une fenêtre vide où s’encadre une femme en train de cirer une chaussure (fig. 7), qui regarde en bas, sourit, fait signe derrière elle et montre les enfants – qu’on continue d’entendre sans les voir (« … Pour danser la ronde / Il faut être à deux / Pour savoir chanter / Faut savoir danser… ») – à un homme qui la rejoint. On voit enfin la ronde des enfants, toutes des petites filles, filmées d’assez près, à leur hauteur, qui tournent joyeusement se tenant par la main et chantant (fig. 8). Un deuxième plan sur elles, filmé depuis le haut cette fois, inscrit le cercle dans le rectangle de l’écran (fig. 9). Fondu au noir sur la chanson (« Allons passe, passe, passera… »), et le mot « fin » apparaît dans une composition géométrique reprenant celle du générique français (fig. 10).

C’est évidemment l’écart le plus violent par rapport à la fin langienne où rien n’était résolu si force restait formellement à la loi et où les mères psalmodiaient sans y croire qu’il leur faudrait désormais surveiller de plus près leurs enfants. Pour la France, la crise est passée, l’arrestation du meurtrier – qu’il soit responsable ou non de ses actes – permet de respirer à nouveau. Le cauchemar a pris fin. Goupillières et Lang (André) utilisent une structure en boucle : la fin du film reprend la situation initiale expurgée du danger, de l’angoisse qui régnaient et que l’action de la police a permis de surmonter (avec l’aide de la pègre…)116.

Pour aboutir à cette conclusion – où André Lang s’est efforcé de chasser la « morbidité germanique » qui le révulsait quelque peu dans le film – il a fallu gommer, atténuer, transcrire, en un mot « adapter » le sujet et son expression formelle.

Ainsi on observe tout au long du film non seulement l’omission de certaines scènes, mais, à l’intérieur de celles qui demeurent, de certaines répliques, de certains mots afin d’« alléger » l’atmosphère : quand les vendeurs de journaux, après la mort d’Elsie Beckmann, crient « Édition spéciale ! », « Nouveau crime », « Qui est le meurtrier ? », « Qui est le meurtrier ? », on ne conserve que la première des quatre apostrophes qu’on répète dix fois.

Le mot même d’assassin ou de meurtrier (Mörder), quand il n’est pas supprimé (ou non traduit s’il s’agit de mentions écrites), est plus d’une fois remplacé par celui de « vampire »117, voire de « type ». Toute la séquence qui se place sous la répétition de la question « Wer ist der Mörder ? » (affiche où Elsie fait rebondir sa balle, crieurs de journaux, affiche avec lecture collective, speaker de radio, buveurs de bière lisant le journal, etc.) se trouve ainsi affaiblie. Sur l’affiche jusqu’au café, on n’entend plus : « l’assassin inconnu qui terrorise notre ville a fait une nouvelle victime. Certains indices portent à croire que l’assassin est le même que celui qui a déjà tué huit enfants de notre ville… un sachet de bonbons, une pomme… peuvent être les appâts de l’assassin… Le coupable n’a pas laissé de traces. Qui est l’assassin ?… quels sont ses traits ? Où se cache-t-il ? Personne ne le connaît. Et pourtant il est parmi nous. Ton voisin peut être l’assassin » devient : « L’assassin inconnu qui terrifie toute la ville vient de faire une nouvelle victime… D’après des indices certains il apparaît que ce nouveau forfait est également l’œuvre du même vampire fantôme dont huit enfants de notre ville ont déjà été les victimes. […] un cornet de bonbons, une pomme… sont le plus souvent suffisants à tenter l’enfant et à gagner sa confiance ». L’altercation entre les quatre buveurs de bière dont l’un est soupçonné par un autre s’achève par des invectives où l’on traite le suspect de Mörder, répété plusieurs fois ; on dit en français « vampire !, vampire ! ». Quant à l’expression « Kindermörder », elle n’est jamais rendue par « assassin d’enfants ». Ce fait est particulièrement significatif quand une prostituée, lors de la rafle au Krokodil, lance excédée à Lohmann : « Vous feriez mieux d’attraper l’assassin d’enfants » ; on dit, en français : « Attrapez plutôt le vampire », alors que se construit tout au long du film une isotopie de la prostituée-mère qui culmine lors du « procès ». Autour de la table des truands, l’un d’entre eux, parlant de la police, s’écrie : « Ils ne peuvent trouver le vampire que par hasard ! » Quand on réfléchit au moyen de surveiller la ville on parle de « gens qui puissent surveiller la piste du vampire », et le cambrioleur, interrogé par Lohmann, avoue lui aussi que les truands sont allés chercher « le vampire ». Ce terme qui renvoie évidemment au « vampire de Düsseldorf », apporte des connotations fantastiques (de buveur de sang)118 et d’exceptionnalité qui irréalisent et nous éloignent du thème « le meurtrier est parmi nous », a fortiori accompagné du terme de « fantôme », de même que toute cette première partie tend à diluer le climat de suspicion générale119.

L’un des aspects de la difficulté à repérer l’assassin tient notamment à son état psychique, la soudaineté de ses crises, etc., or la référence à la maladie mentale est souvent évincée de l’adaptation française. Sans parler des scènes coupées où s’expriment les experts de la police sur la pathologie du tueur, on trouve le mot « malade » sans la caractérisation de « mental » dans la bouche du préfet qui commente la lettre de l’assassin à la presse, comme dans celle du secrétaire de Lohmann quand il lui apporte les dossiers des « malades traités dans les hôpitaux de l’État, les asiles ou les cliniques privées des cinq dernières années et qui en sont sortis guéris ou considérés comme inoffensifs […] ». En allemand, le film use à une seule reprise du mot « malade », lors de la plaidoirie de « l’avocat » qui veut « dépasser » le cas de la maladie mentale – qu’un des membres de l’assemblée vient de considérer comme un « truc », un « numéro » – pour jouer sur l’opposition bonne santé vs maladie : « Je dis que cet homme est malade. Et un malade ne doit pas être livré au bourreau mais au médecin ! ». À quoi on rétorque : « Garantis-tu la guérison ? », et lui : « À quoi servent les asiles… » Or cet échange est l’un des passages absents de la plaidoirie française. On constate une omission similaire du raisonnement selon lequel c’est le fait d’agir « sous une impulsion irrésistible » qui décharge Beckert en le rendant irresponsable puisque « nul ne peut être puni pour des actes dont il n’est pas responsable », argument explicitement opposé à l’affirmation de Schränker selon laquelle c’est le fait de « ne pas pouvoir agir autrement », de « devoir tuer » qui le condamne à mort. Cet affrontement des deux logiques qui traversent alors « l’opinion publique » allemande disparaît du Maudit.

Logiquement, les deux références que fait Schränker, lors du « procès », au « § 51 » – stipulant l’irresponsabilité pénale des malades mentaux120 – disparaissent également des dialogues français et, avec elles, l’enjeu de la controverse avec ses sous-textes économiques (« pour que tu passes le reste de ta vie au frais de l’État »), politiques (« […]et puis il y a une amnistie… »), psychiatriques (« aliénation mentale »), juridiques (« protégé par la loi »). Mais l’amenuisement auquel procède l’adaptation ne s’arrête pas là, comme on peut le voir dans l’extrait dont on publie ci-après la transcription du dialogue allemand original et ses deux traductions disponibles (celle de L’Avant-Scène et celle des sous-titres de la version 1960 du film), puis la transcription du dialogue de la version française d’après la copie du film.

Ambivalence critique

La critique française ne fait donc évidemment pas l’impasse sur le sujet, mais, à quelques exceptions près, elle n’entre pas frontalement dans un débat sur la peine capitale, sur les mesures de sécurité à prendre ou sur la question de l’irresponsabilité juridique des malades mentaux, même si des traces, au plan du vocabulaire notamment, peuvent être relevées : René Lehmann, évoquant le cas du tueur de Düsseldorf, parle de « dégénéré », Levinson d’une « étude pathologique » et, à propos du plaidoyer final de Beckert, de « tare ». Vinneuil évoque la « psychanalyse » qui hante le film et sait gré à Lang de ne pas lui avoir donné la première place.

La plupart des critiques reconnaissent la part « documentaire » du film, voire sa proximité avec les « actualités » ou le « journalisme » – qu’ils les saluent ou les condamnent121 –, mais c’est pour l’appréhender dans les catégories esthétiques du réalisme, du naturalisme, du fait divers, du drame du milieu ou de la satire122 :

« La poésie de la vie quotidienne, le pathétique de ses incidents banals, la misère humaine et la bonté humaine ont trouvé ici une expression étonnante à la fois de réalisme et de grandeur. »123

On narre et évoque le thème mais on s’applique à classer le film dans le genre où il est une réussite (policier) et à louer l’écriture langienne, son laconisme (suggestion, sobriété), son brio « purement cinématographique », sa réussite au plan du cinéma sonore. Il en résulte un style que Lalou rattache au « réalisme », par opposition au naturalisme, qui lui permet de saluer le fait que le personnage du meurtrier demeure malgré tout d’une « hallucinante humanité ».

En résumé écrit Guy Roberty, « une œuvre discutable – passionnément discutable – du point de vue le plus général » et « du point de vue cinématographique, une superbe démonstration des possibilités du septième art »124.

Il y a cependant chez plus d’un critique, au détour d’une phrase, le surgissement du « sujet ». Ainsi François Vinneuil, qui félicite Fritz Lang « d’avoir étudié la psychologie criminelle » et parle du « criminel obsédé », du « monstre », conclut : « C’est bien une bête tarée à détruire dans une battue. »125

C’est André Levinson qui laisse transparaître un point de vue sans nuance sur la culpabilité de Beckert quand il évoque le motif musical « qui perd le misérable » et ajoute entre parenthèses : « M. Lang aurait dit ‹ le malheureux › ». Il s’écrie ensuite :

« La chasse à l’homme commence. Enfin le tueur d’enfants est pris. Il comparaît devant le tribunal de la pègre, cour des Miracles érigée en Haute-Cour. Il se défend en arguant de sa tare, obsession irrésistible qui le force à tuer malgré lui. Faut-il le maudire ou le plaindre ? Sa tirade ne fléchit pas cette Sainte-Vehme126 des hommes du milieu. Mais la police intervient et le sauve pour qu’il puisse être condamné selon la loi par une cour d’assises. Trois femmes en deuil désapprouvent timidement le verdict. Ce sont les mères des victimes. Cet épilogue – ou plutôt cette brève péroraison – est supprimé dans la version française. De ce fait le dénouement reste incertain et la morale de la fable est escamotée. Mais on ne saurait donner tort à l’adaptateur. Un public français eût été révolté par l’indulgence des mères qui ne veulent pas la mort du pécheur. »

Ce plan des trois mères en deuil (absent de la version française et également de la version de 1960) condense ainsi plusieurs « insatisfactions ». Vinneuil – qui l’évoque sans relever qu’il « manque » dans la version française – trouve la conclusion trop brève :

« Trois juges pénétrant dans la cour d’assises, trois femmes en larmes écoutant la sentence : ‹ Ce n’est pas cela qui ressuscitera nos pauvres petites ›. La logique de l’esprit est satisfaite, celle des yeux ne l’est pas, elle réclamait un contraste d’images plus développé. »127

Mais c’est Jean Laury du Figaro qui va le plus loin en justifiant les appels au meurtre des prostituées du « tribunal » et en regrettant que ce ne soit pas de « vraies mères » qui les lancent :

« Un tribunal improvisé qui admet la loi du Lynch, siège pour juger le vampire, dans les caves d’une fabrique abandonnée : j’eusse préféré qu’on remplaçât, dans ce public de hors-la-loi, les femmes qui ne sont que des… filles, par des mères, des vraies – il en est partout – et leur verdict passionné n’eût point laissé à la police le temps d’intervenir : la justice immanente s’imposait et non la Justice tout court. »128

Comme si, là encore, des images de la version allemande hantaient la française ou, à l’inverse, comme si les lapsus de la VF révélaient le discours latent de la VO : les prostituées occupent dans le tribunal de la pègre la place des mères légitimes condamnées à l’acceptation et au silence.

C’est ce qu’énonce de manière explicite Levinson quand il revient sur le monologue de Beckert, « un laïus dont on se passerait » :

« [T]ant que la défense du sadique homicide ‹ qui n’y peut rien› est présentée en allemand, elle semble comporter une part, sinon de justice immanente, du moins de vérité subjective. Il y a là pour l’âme allemande, ou le tempérament allemand – force tumultueuse et trouble contenue par l’ordre imposé, la règle, la consigne – un cas de conscience et une solution plausible. Mais dès que la bête humaine plaide sa cause en français, son argumentation apparaît forcée et faussée. Et ceci d’autant plus que le dialogue est ‹ doublé ›. Quoi qu’on en dise, en mettant l’esthétique au service de l’intérêt commercial, cet expédient est grossier, offense l’œil et l’oreille, s’oppose à toute impression de vérité, à toute sensation de beauté. »129

Le doublage oblitère vérité et beauté mais en même temps il révèle le caractère insupportable, pour le critique, de l’aveu par Beckert de son aliénation mentale. Il évacue le problème en en faisant un « cas » propre à la mentalité germanique.

Conclusion

La version française de M a encore beaucoup à nous apprendre. Elle révèle les enjeux idéologiques et sociétaux de la période, même quand les compagnies de cinéma (Nero Film d’un côté du Rhin, Pathé-Natan de l’autre) essayent d’atteindre un large public en évitant de provoquer des polémiques. Cette VF unique, qui associe une légère part de version multiple à un doublage de qualité, apparaît dans un contexte technique et économique particulier. La saison 1932-1933 est celle de la généralisation du doublage. La firme Paramount abandonne les versions multiples tournées à Paris pour spécialiser ses studios de Saint-Maurice dans le « dubbing »130. De très nombreuses petites sociétés se créent pour profiter de la nouvelle manne que représente le doublage des films venus principalement des États-Unis, de Grande-Bretagne et d’Allemagne. Le résultat de cette activité de doublage sur le sol français entraîne une baisse des versions multiples et une montée des versions doublées. La Cinématographie française décrit l’état des lieux en mars 1933 : « En 1933, 90 films français et 35 versions [multiples tournées avec des acteurs français], mais 90 dubbings et 200 films étrangers sous-titrés. »131 Depuis fin 1931 et le démarrage réel du doublage en France, les milieux syndicaux s’inquiètent. Au moment même où M est adapté en français, le syndicat national du spectacle (affilié à la CGT) proteste contre ces « ersatz » de film132. Le travail effectué par Goupillières permet de saisir une double réception (version allemande, version française) qui contient des discours légèrement différents, alors même que les contextes politiques évoluent rapidement dans les deux pays. De plus, la crise économique qui frappe durement les compagnies cinématographiques comme Paramount en 1931-1932 (et un an et demi plus tard les sociétés françaises) fragilise les cinématographies nationales. L’arrivée des technologies améliorées pour le doublage perturbe le monde du cinéma français, comme le montre les réactions variées face au Maudit.

Cependant, ce qui se joue de façon fort emblématique dans le cas de M/Le Maudit n’appartient pas à un seul temps, celui, tâtonnant, de la mise en place du doublage. Ce film, en effet, rend tangible le problème insoluble de la postsynchronisation qui se généralise à partir du « parlant », succédant à la pratique antérieure du play-back133, que le passage au son optique inscrit sur la pellicule simultanément à l’enregistrement de l’image. Le fait que cette synchronisation se combine avec le passage d’une langue à une autre et qu’elle soit considérée à peu près unanimement comme une réussite la rend plus démonstrative encore.

Au plan de la traduction et de la transposition (adaptation), on a vu que le vocabulaire employé, les champs lexicaux convoqués dans les différents discours qui s’affrontent ou s’échangent dans le film (policiers, autorités politiques, experts, passants, membres de la pègre, mendiants et prostituées) sont profondément altérés ou transformés, avec les conséquences en termes de réception-compréhension du film que l’on a évoquées.

On assiste de plus à l’arasement des accents verbaux qui sont dans le film allemand très différenciés et qui permettent de « classer » les personnages selon des appartenances régionales (berlinois, rhénan, saxon,…) ou sociales (bourgeois, fonctionnaires, miséreux,…). La palette française des accents n’est évidemment pas la même (en particulier au plan des dialectes ou accents régionaux), et quoi qu’il en soit les adaptateurs n’ont pas souhaité tabler sur ce niveau de sens (comme le fera plus tard Renoir dans La Marseillaise ou dans Toni).

Au plan des mentions écrites figurant dans le décor (affiches, appels à témoins, avis de recherche, journaux, graffitis, documents officiels – cliniques, asiles, etc.) auxquelles il est impossible de substituer systématiquement un équivalent français filmé – cela ne se produit que dans deux cas, celui de l’affiche sur la colonne Morris où la petite Elsie joue à la balle et celui de la lettre de Beckert à la presse –, le spectateur français perd tout une série d’indications verbales qui font écho aux mots proférés par les personnages.

Ne prenons que quelques exemples attestant de ces altérations : le vocabulaire d’élimination des « irresponsables » que mobilise Schränker lors de ses différentes prises de parole (les plus longues et articulées parmi les truands) appartient au lexique wilhelmien et weimarien de type biologiste, économiste et hygiéniste des médecins et criminalistes qui étayent leur idéologie sur l’élimination des « asociaux »134 et des « vie indignes d’être vécues ». Tout autre est le vocabulaire médical des experts de la police lors de la conférence ou dans le diagnostic du graphologue qui s’appuie sur une classification des pathologies mentales (schizophrénie, narcissisme) et le vocabulaire psychiatrique (pulsions). Ainsi Schränker insiste-t-il sur le fait que la pègre « fait son travail », a des activités, une économie, etc., et que le meurtrier est un « irrégulier » – un asocial. Celui-ci, plaidant son irresponsabilité (catégorie classique du droit) souligne le fait que l’activité illégale des truands est fondée sur un savoir-faire. Dans le texte français, outre que le discours de Schränker est réduit à sa plus simple expression (on le voit dans l’extrait cité intégralement), celui de Beckert « s’enrichit » de considérations appartenant à une toute autre topique : il qualifie les truands de petits-bourgeois, de boutiquiers.

Par ailleurs, la dissociation des corps et des paroles met en évidence la question des postures corporelles des acteurs, des modes d’expression verbale, de la prosodie, des affects qui font partie de l’acte d’énonciation et se trouvent ici « désaccordés ». Le dynamique et la sémantique du jeu physique de Schränker ou de Lohmann s’accordent à leurs discours, et le passage au français (changement de locuteur et de langue) fait disparaître chez ces derniers la violence froide de l’un et la vulgarité matoise de l’autre.

Jean Lenauer, dans un article intitulé « Le Micro est-il un nouvel instrument musical ? », aborde cette question dans son introduction en mettant explicitement en question la validité du doublage d’un film dans une autre langue que celle du tournage :

« […] pourquoi un film tourné en une seule langue peut avoir un grand succès auprès d’un public qui ignore cette langue. Dans la plupart des cas, nous trouvons […] que le film en question a su utiliser le texte de manière musicale. Je veux dire par là que les paroles ne valent pas uniquement pour leur signification, mais surtout par la façon dont elles sont prononcées. »135

On trouvera une remarque du même type bien plus tard, sous la plume de Claude Ollier, à propos du doublage en français d’un film de René Clément, Che gioia vivere (Quelle joie de vivre, Italie/France, 1961) :

« Hors de doute que le doublage est pour quelque chose dans l’espèce d’inertie qui caractérise la version projetée en France […]. La langue italienne restitue peut-être à certaines scènes une vivacité qui, ici leur fait complètement défaut (musicalité, accord entre les gestes emphatiques et les paroles, etc.)… »136

Or la version italienne de ce film étant elle-même postsynchronisée, on voit que la question du « doublage » doit être remise dans une perspective plus large et que la coïncidence entre les voix d’acteurs se postsynchronisant eux-mêmes (ce qui n’est pas toujours le cas, en particulier en Italie) et leurs postures corporelles ou leur gestuelle exigerait de s’interroger sur la capacité à « revivre » une situation par ces derniers ainsi que sur les problématiques, abordées au sein de l’Institut de filmologie, autour de la « motricité ébauchée » suscitée par un spectacle visuel.

VO137

[ Schränker ] Damit du dich auf den Paragraphen 51 berufst… [ A.  Pour que tu puisses invoquer le paragraphe 51 ! B.  Pour qu’on te considère comme irresponsable…]

[ une voix ] Jawollja ! [ A. C’est ça ! B. néant ]

[ Schränker ] … und dein Leben lang auf Staatskosten verpflegt wirst !… [ A.  Et que tu passes le reste de ta vie aux frais de l’État ! B.  … et qu’on te nourrisse aux frais de l’État toute ta vie !]

Und dann brichste aus, oder’s kommt’ne Amnestie, und du, vergnügt – mit’nem Jagdschein kann dir ja nischt passieren, bist ja wegen Unzurechnungsfähigkeit gesetzlich geschützt… [ A.  Et puis tu t’évades… ou bien il y a une amnistie et te voilà libre comme l’air, muni d’un laissez-passer, protégé par la loi pour aliénation mentale… B. Puis tu t’évades ou il y a une amnistie… et joyeusement… – car les irresponsables sont protégés par la loi – …]

Gelächter [rires]

[ Schränker ] … gehst wieder fröhlich uff de kleenen Kinder los ! [ A.  Reparti à la chasse aux petites filles ! B. … tu t’attaques à d’autres gosses !]

… Neenee ! Davon wollen wir nischt mehr wissen ! [ A./B. Non, non… on ne marchera pas…]

[ une voix ] Jawoll ! [ A. Non… non… non… B. néant ]

[ Schränker ] Du mußt unschädlich gemacht werden ! [ A. Il faut te réduire à l’impuissance ! B. Non, il faut t’empêcher de nuire !]

Du mußt weg ! [ A. Il faut que tu disparaisses ! B. néant ]

[ des voix ] Bravo ! … Der / Kerl mu weg ! [ A. Bravo ! … Qu’il disparaisse ! B.   néant ]

[ Beckert ] Aber ich kann doch nichts… dafür ! [ A. Mais je n’y peux rien… Je n’y peux rien… B.  Mais ce n’est pas ma faute !]

Ich kann… ich kann doch… ich kann doch nichts… dafür ! [A. Je n’y peux rien… Je n’y peux… peux… peux rien… B. Ce n’est pas ma faute]

[ un homme ] Hähähä ! Det kenn’wir ! [ A. On l’connaît ce numéro… B. On connaît ça]

[ Beckert ] Was wit denn du ? Was red’st denn du ? Wer bist du denn überhaupt ? Wer seid ihr denn… ? Alle miteinander ? [ A. Qu’est-ce que tu en sais ? Qu’est-ce que tu dis ? Qui es-tu seulement ? Qui êtes-vous… tous… B. Qu’est-ce que tu en sais, toi ? Qu’est-ce que tu racontes ? Qui es-tu au juste ? Qui êtes-vous tous ?]

VF

[Schränker] Pour que ton cas soit soumis aux aliénistes, qu’on te déclare irresponsable et qu’on te relâche dans 10 ou 20 ans !

Non, non, nous ne marchons pas dans cette combine…

[une voix] Sûrement !

[Schränker] Tu dois être rendu inoffensif, tu dois sauter…

[Beckert] Mais vous ne savez pas, ce n’est pas ma faute… Ce n’est absolument pas ma faute… Absolument pas… ma faute…

[un homme] Hé, hé ! Bien sûr…

[Beckert] Qui êtes-vous donc… vous… tant que vous êtes… pour me juger…

1 On n’ignorait pas l’existence de cette version française, mais on n’en a pas tenu compte. Ainsi, dans L’Avant-Scène Cinéma, no 39 (15 juillet 1964), qui publie le découpage du film (établi par Gero Gandert et Ulrich Gregor pour Cinemathek, vol. 3, Hambourg, Marion von Schröder, 1963) dans une traduction de Volker Schlöndorff, la page de générique du film (qui cumule toutes les données possibles sans distinguer à quelles copies elles correspondent ni de quelles sources elles proviennent) mentionne une « version doublée réalisée par Roger Goupillières et André Lang », mais le découpage ne s’y réfère pas pour en signaler les variantes éventuelles aux plans de l’image et du son.

2 On trouve dans le dossier de presse constitué de coupures d’articles de l’Institut Lumière de Lyon un grand nombre de feuillets fournis par des ciné-clubs des années 1960 aux années 1980 à leurs adhérents. Remerciements à Armelle Bourdoulous et Philippe Roger.

3 Après un assez grand nombre d’analyses partielles du film (en particulier de sa première partie) – de la part de Francis Courtade, Raymond Borde et Freddy Buache, Noël Burch, Marie-Claire Ropars, Thierry Kunzel, etc. –, vinrent les monographies consacrées au film. On peut citer notamment : Pierre Guislain, M le maudit, Paris, Hatier, 1990 ; Noël Simsolo (éd.), M le Maudit, Paris, Plume, 1990 ; Stephan Jankowski, « Warte, warte nur ein Weilchen… » Die Diskussion um die Todesstrafe in Fritz Langs Film « M », Wetzlar, Kletsmeier, 1998 [rééd. Marburg, Tectum, 2000] ; Anton Kaes, M, Londres, BFI Film Classics, 2000 ; Jacques Gerstenkorn, Martin Barnier (éd.), M. le Maudit : un film de Fritz Lang, Grenoble/Lyon, L’AcrirA/Université Lumière Lyon 2, 2002 ; Michel Marie, M le maudit : Fritz Lang, étude critique, Paris, Nathan, 2005 ; Christoph Bareither et Urs Büttner (éd.), Fritz Lang. « M – Eine Stadt sucht einen Mörder ». Texte und Kontexte, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2010.

4 On distingue, au moins, la version de 1931 (117 min), celle de 1932 (98 min), celle de 1960 (version 1932 encore modifiée et « dynamisée » dans son montage – on coupe des débuts ou des fins de plans, en omet d’autres –, son bruitage est refait et son cadrage resserré pour des raisons de formats de pellicule), celles de 1986 et 1995 (reconstructions de Enno Patalas), puis celle de 2001 (restauration de Martin Kœrber), sans compter les nouvelles interventions apportées à la faveur de transferts digitaux pour la production de DVD et de Blu-ray.

5 Sur le site http://www.devildead.com/forum/viewtopic.php?f=3&t=4346&start=15 (dernière consultation le 21 janvier 2013), un contributeur anonyme livre toute une série d’appréciations et d’informations (dont plusieurs sont erronées) sur cette version du film ; nous lui empruntons quelques éléments.

6 Le réalisateur de cette version parlée anglais est Charles Barnett.

7 Dans les années du « passage au sonore » les salles proposent des films « parlé anglais » ou « parlé allemand » sans traduction à côté des films doublés qu’on indique quelquefois par l’expression « parlé par dubbing ». Cette confrontation joue un rôle important dans l’appréciation que font les critiques et les commentateurs du procédé même du doublage. Nombre de films aujourd’hui connus seulement en VO avaient été vus en VF (version doublée) ou en VM (version multiple française). L’Ange bleu est montré à Paris en VO et en VF. Les VM de films allemands ou américains obligent à repenser la réception en France à l’époque. Le Testament du Docteur Mabuse ne sortit en 1933 qu’en version multiple française, des comédiens français ayant rejoué chaque scène à Berlin, sous la direction de Lang (sur les versions multiples, voir Martin Barnier, Des films français made in Hollywood. Les versions multiples, Paris, L’Harmattan, 2004).

8 « On verra à quel point le cinéaste, chez lui, l’emporte sur le moraliste. » (André Levinson, « ‹ M ›, un film de Fritz Lang », Radio-magazine, 24 avril 1932, p. 7).

9 Si l’on en croit Alfred Eibel, Le Maudit rencontra un succès « extraordinaire » à Paris. Lang, Lorre et le producteur Seymour Nebenzahl étaient présents lors de la première aux Ursulines le 12 avril 1932. Il restera plus de trois mois à l’affiche (voir Fritz Lang, Trois lumières. Écrits sur le cinéma, Paris, Ramsay, 2007, édition établie par Alfred Eibel, pp. 48-49). Après cette première cependant, Lang, dans une interview donnée à L’Intransigeant, assure qu’il réalisera lui-même, pour son prochain film, la version française avec des acteurs français (16 avril 1932, p. 6).

10 Siegfried Kracauer, après la guerre, le fait appartenir à « une vieille famille de personnages du cinéma allemand. Il ressemble à Baldwin de L’Etudiant de Prague, qui succombe lui aussi à son double diabolique ; et c’est le rejeton direct du somnambule Cesare… » (De Caligari à Hitler, Lausanne, L’Age d’Homme, 2009 [1947], p. 248).

11 André Lang, « Le Maudit va poser deux problèmes », Pour Vous, no 175, 24 mars 1932, p. 10.

12 Suzanne Chantal, « Un curieux film de Fritz Lang : Le Maudit », Cinémonde, no 178, 17 mars 1932, p. 177.

13 Id., p. 176. Au sujet de Lang (Fritz), Lang (André) « charge » de tous les maux « sa collaboratrice Thea von Abou (sic) » : « idéologies faciles, symboles primaires, extravagances d’imagination » réservant au cinéaste « la maîtrise technique », « le style ». François Vinneuil écrit de son côté que Lang a été « plusieurs fois desservi par les libretti primaires de sa collaboratrice, Mme Théa von Arbou (sic) » (L’Action française, 15 avril 1932, p. 4). Topos qui perdure de nos jours, régulièrement relayé par les mêmes assertions non vérifiées. Après plusieurs ouvrages en allemand et la monographie de Tom Gunning sur Fritz Lang, Bernard Eisenschitz a rendu récemment justice à Thea von Harbou dans son Fritz Lang au travail, Paris, Cahiers du cinéma, 2011).

14 René Lehmann, « Les films nouveaux : M… (le maudit) », Pour Vous, 14 avril 1932, p. 6. La différence entre les deux versions (on y reviendra sur des aspects plus centraux) est située, par le critique du Populaire, Charles Jouet, au plan de la longueur (« Sur les écrans », 15 avril 1932, p. 4).

15 Outre ces deux titres qui semblent prédisposer ce cinéaste à « doubler » le film d’un autre, Roger Goupillières (1896-1988) est, à la même époque, également réalisateur du Poignard malais (France, 1931), d’Echec et mat (France, 1931), et surtout du Cinéma parlant en 1900 (France, 1933), documentaire dans lequel il reprend de petits films réalisés vers 1900 pour le Ciné-Phono-Théâtre, système qui permettait la synchronisation de voix enregistrées sur cylindres avec les images d’acteurs et de chanteurs célèbres.

16 André Lang (1893-1986), journaliste, dramaturge, écrivain, scénariste (Volpone, France, 1929 ; Tarakanova, France, 1930 ; Les Croix de bois, France, 1932). On va louer la qualité de ses dialogues dans Ariane, jeune fille russe de Paul Czinner (France/All., 1932) où il « a essayé de faire parler le moins possible » (Hebdo-film, 1er octobre 1932).

17 Peter Lorre aurait été doublé par l’acteur Jean Rozenberg (selon le site http://www.devildead.com/ cité plus haut) qui avait alors joué dans Tout s’arrange (Henri Diamant-Berger, France, 1931) et Bric à brac et compagnie (André Chotin, France, 1931). Le générique du film apparaît dans le matériel publicitaire et les annonces des journaux corporatifs, mais même en Allemagne on ne distingue guère la fonction des uns et des autres (« Dieser Film enstand in gemeinsamer Arbeit von [ce film est dû au travail collectif de] » en dehors de la distribution où l’on énumère des « types » (le meurtrier, l’enfant, la mère, le ministre) à part Schränker, Lohmann et Grœber. En France, A. de Reusse se plaint de ce qu’on ne fasse pas figurer dans les notices « qu’on nous distribue et qui nous servent, après présentation, à rédiger critique et compte rendu » le nom des personnages en face du nom des artistes (Hebdo film, 1er octobre 1932, p. 32). Ce qui peut expliquer pourquoi François Vinneuil dit ignorer le nom de l’interprète du meurtrier dans le film (« On ne nous dit pas le nom de celui-ci », « ‹ M › (Le Maudit) », op. cit.), bien que les journaux et revues aient abondamment indiqué de qui il s’agissait.

18 Suzanne Chantal, op. cit., p. 177.

19 Ibid.

20 André Lang, « Le Maudit de Fritz Lang va poser deux problèmes », op. cit., p. 10.

21 Ibid.

22 Suzanne Chantal, « Un curieux film de Fritz Lang : Le Maudit », op. cit., p. 177.

23 Ibid. La durée du travail avec les enfants ne concerne pas que le doublage de la première scène mais sans doute aussi le tournage de deux plans inédits – ne comportant, contrairement à la première ronde, que des fillettes – placés en conclusion de la version française (voir plus loin).

24 La manière dont Iouri Tynianov expose le problème de la parole au cinéma – à l’époque du muet – en la décomposant dans ses éléments constitutifs (parole proférée – bonimenteur –, mélodie – musique d’accompagnement –, sens – intertitre –, mimique articulatoire, gestualité paraverbale) offre une « grille » qui permet de le comprendre (voir « Le cinéma, le mot, la musique », Jizn’ iskusstva, no 1, 1924 (signé Iou. van Wezen), repris dans François Albera (éd.), Poétique du film. Les Formalistes russes et le cinéma, Lausanne, L’Age d’Homme, 2008, pp. 187-191).

25 Gaston Thierry, « L’agonie d’un tyran », Paris-Midi, repris dans Hebdo-film du 24 octobre 1931, p. 6.

26 Ce procédé de dubbing est une application du fameux pupitre de synchronisation musique-image projetée mis au point par Delacommune en 1923. Alain Boillat mentionne que celui-ci permettait une synchronisation des images avec la voix d’un bonimenteur et qu’il était prévu d’utiliser cette invention pour ajouter aux images animées « non seulement un récitatif over, mais aussi une déclamation qui serait synchrone avec les lèvres des acteurs à l’écran », grâce à la transcription phonétique simultanée des paroles et à leur décomposition syllabiques. Mais il laisse entendre qu’il n’y eut pas de réalisation concrètes pérennes de ce système sinon avec le « Rythmographe » peut-être abusivement attribué à Delacommune par Jean Mitry dans son Histoire du cinéma (« Les Voix au cinéma. Bonimenteur, voix synchrone, déliaison et voix-over », Thèse de Doctorat, Université de Lausanne, 2006, chap. 3, pp. 250-253 ; repris de façon abrégée dans Du Bonimenteur à la voix-over, Lausanne, Antipodes, 2007, p. 92, note 162). L’article de Thierry paraît attester d’au moins une expérience menée à bien avec le système de Delacommune, à moins que l’auteur ait opéré cette même assimilation du Rythmographe au Ciné-pupitre. D’après Valentin Mandelstamm, le « Rythmographe » est en effet un appareil allemand du début des années 1930 (« Le Dubbing », Cinéa et ciné pour tous réunis, avril 1932 [reprise d’un article de La Revue Mondiale paru peu auparavant], p. 27).

27 Voir Laurent Mannoni, « Gaumont, pionnier du film sonore », dans Maurice Gianati et Laurent Mannoni (éd.), Alice Guy, Léon Gaumont et les débuts du film sonore, New Barnet, Herts, John Libbey Publishing, 2012, pp. 53-140, où sont énumérés et décrits les multiples procédés mis au point pour synchroniser phonographe et cinématographe.

28 Voir Alejandro Avila, La Historia del doblaje cinematografico, Barcelone, CIMS, 1997, pp. 63-72.

29 Valentin Mandelstamm, op. cit., p. 27.

30 Ibid.

31 Eva Elie, Puissance du cinéma, La Chaux-de-Fonds, Nouveaux Cahiers, 1942, p. 85.

32 Le décorateur Emil Hasler a témoigné dans les années 1960 de ce que le scénario-découpage du film distinguait des passages en noir (son direct), en bleu (play-back) et en rouge (postsynchronisé) (cité par Bernard Eisenschitz, « La production, le tournage », dans Noël Simsolo, Bernard Eisenschitz, Gérard Legrand, M le Maudit, Paris, Cinémathèque Française/Plume/Calmann Lévy, 1990, p. 33).

33 « Si je peux donner un conseil à nos lecteurs, c’est d’aller voir aux Ursulines la version originale, même s’ils ne connaissent pas l’allemand. Ils comprendront tout ce qu’il y a à comprendre » (André Levinson, « ‹ M› film de Fritz Lang », Radio-magazine, dossier de presse de l’Institut Lumière, références paginales non reportées).

34 Claude Aveline, « Cinémas d’ailleurs – Films policiers – Nord Atlantique », La Revue hebdomadaire du 4 juin 1932.

35 François Vinneuil, L’Action française, 13 mai 1932, p. 4.

36 Maurice Huet, Le Petit Parisien, 15 avril 1932, p. 5.

37 Charles Jouet, Le Populaire, 15 avril 1932, p. 4.

38 [Anon.], Cinéa, no 24, avril 1932, p. 37.

39 Georges Champeaux, Gringoire, circa avril 1932. Coupure de presse conservée à l’Institut Lumière sans référence.

40 René Lehman, Pour Vous, no 178, 14 avril 1932, p. 6. Cet « au contraire » semble indiquer une « amélioration » de la version originale par son adaptation française, sans doute sur le plan du choix des mots et peut-être de la modification de la fin du film (voir plus loin).

41 Julien Sorel, « Sur les écrans de Paris : Le Maudit (M) », Cinémonde, no 182, 14 avril 1932, p. 309.

42 André Lang, Cinémonde, op. cit. ; Levinson parle de « l’âme allemande », du « tempérament allemand – force tumultueuse et trouble, contenue par l’ordre imposé, la règle, la consigne… » (André Levinson, op. cit.).

43 Sur cette orthographe voir André Lang : « le doublage ou dubbing (ou dubbling que j’emploie encore bien que Goupillières déclare ce dernier terme impropre…) » (Cinémonde, 17 mars 1932, p. 3).

44 Signé P.O. Source non localisée. Coupure de presse conservée à l’Institut Lumière sans référence.

45 Ibid.

46 Guy Roberty, « M (le maudit) », L’Ami du film, 15 avril 1932.

47 Charles Jouet, op. cit. (nous soulignons). Notons que certaines voix françaises sont particulièrement bien travaillées de façon à correspondre aux intonations allemandes. Ainsi le policier qui prétend « venir des finances » quand il se rend chez la logeuse de Beckert est doublé par Jacques B. Brunius. On reconnaît les intonations « distinguées » de cet artiste du Groupe Octobre (cinéaste, monteur, écrivain) qui joue le très cynique président du conseil d’administration dans La Vie est à nous (Jean Renoir, France, 1936) et l’un des canotiers de Partie de campagne (Jean Renoir, France, 1936).

48 Les autres tueurs en série de l’époque sont Friedrich Schumann, Carl Grossmann, Karl Denke, Fritz Haarmann (voir Bernard Eisenschitz, « La production, le tournage », op. cit., p. 28).

49 Scène de la conférence de la police autour du préfet. Ces références sont omises dans la version française et dans les sous-titres français de la version 1960 du film.

50 Dans le Berliner Börsen-Courier du 12 octobre 1929 (cité par Bernard Eisenschitz, « La production, le tournage », op. cit., p. 24).

51 En URSS, Trétiakov et Brik prônent cette démarche qui évite de déformer le matériau par sa conformation aux codes narratifs (voir le débat au sein du Novi Lef de 1927-1928, publié dans Documentaires, no 22-23, décembre 2009). Elle est importante en Allemagne où s’y illustre quelqu’un comme Ernst Ottwald – qui écrit, avec Brecht, Kuhle Wampe – et connaît des tentatives également en France – Léon Moussinac avec Manifestation interdite en 1933 (roman-reportage « simultanéiste », consacré au retentissement de l’exécution de Sacco et Vanzetti sur un échantillon de personnages). Kracauer commence son premier article sur M par ses mots : « On aime aujourd’hui le reportage » (« Unterwelt », Frankfurter Zeitung, 18 mai 1931 [repris dans Christophe Bareither et Urs Büttner (éd.), op. cit., pp. 209-210]).

52 Thea von Harbou n’en réaffirme pas moins, à la sortie du film, que « ce film est un reportage » (« Warum gerade ein ‹ solcher› Film ? ! », Berliner Volkszeitung, no 220, 12 mai 1931 [repris dans Christophe Bareither, Urs Büttner (éd.), op. cit., pp. 201-202).

53 Lotte Eisner, Fritz Lang, Paris, Etoile/Cinémathèque française, 1984, p. 142.

54 « Comme si Fritz Lang ne parvenait pas à se défaire des Niebelungen, comme si son goût pour le grand opéra l’amenait à une apothéose jusque dans le monde des criminels : au lieu d’ancrer son propos dans la réalité sociale contemporaine, il héroïse la pègre », dit Kracauer (« Unterwelt », op. cit., en français dans le « Courrier de Berlin » qu’il adresse à La Revue du Cinéma, no 25, 1er août 1931, pp. 62-65). Ces réserves disparaissent dans les pages consacrées au film dans De Caligari à Hitler (Siegfried Kracauer, op. cit., pp. 245-249) qu’on présente parfois comme la « reprise » de cet article de 1931.

55 Elle emprunte à Bernard Eisenschitz, « La production, le tournage », op. cit., et le complète.

56 Son film précédent, Frau im Mond (La Femme sur la lune, All., 1929) était sorti le 15 octobre 1929.

57 Anonyme, « Kürten-Skandal im Düsseldorforfer Kino ! », Film-Kurier, 6 juin 1930, cité par Bernard Eisenschitz, « La production, le tournage », op. cit., 1990, p. 25.

58 Cité dans Ibid.

59 Eisenschitz cite un reportage anonyme du Film-Kurier, au début du tournage, où le journaliste, décrivant les décors, évoque les lieux « où l’assassin finira par être pris par la pègre même », parle de « la traque de l’assassin » et de « Peter Lorre, assassin parmi nous… » [reprise du premier titre annoncé : Mörder unter uns] (ibid., pp. 30-32).

60 Voir les propos de Lang rapportés par Jean Vidal (« Fritz Lang nous a dit… », L’Intransigeant, 16 avril 1932, p. 6 : « On aurait tort de croire […] que j’ai pris le fameux Kurten comme modèle : en effet, le film a été terminé (sic) avant l’arrestation du criminel ») et Jean Vincent-Bréchignac (« Avec Fritz Lang et Peter Lorre, le Maudit », Pour Vous, 21 avril 1932, p. 4) et divers autres plus tardifs de collaborateurs (comme Gero Gandert qui parle d’un scénario achevé en 1929 ce qui est manifestement erroné).

61 Thea von Harbou fait état de l’importance de ce matériel documentaire (journaux, photographies d’assassins et de victimes, avis de recherche, etc.) réuni en une « cartothèque de l’horreur », dans son article (dans Rolf Aurich, Wolfgang Jacobsen, Cornelius Schnauber (éd.), Fritz Lang. Leben und Werk. Bilder und Dokumente, Berlin, Jovis, 2001, catalogue trilingue de la rétrospective Lang au Festival international du film de Berlin 2001, p. 168). Theo Lingen parle du scénario comme d’un « énorme manuscrit » comme il n’en vit plus jamais de sa vie par la suite (dans Fritz Lang, Trois lumières, op. cit., p. 82). Malheureusement ce scénario est un des seuls qui manquent dans les deux fonds Lang de la Cinémathèque française et de la Stiftung Deutsche Kinemathek de Berlin.

62 Personne ne donne sa référence exacte (Patrick Mc Gilligan – dans Fritz Lang. The Nature of the Beast, New York, St Martin Press, 1997 – indique seulement Berliner Zeitung am Mittag sans date) et les derniers travaux allemands sur le film ne le mentionnent plus. Il existe en revanche un H. Jacobsohn, auteur de « Asozialität als psychopathologisches Phänomen » (Mitteilungen der Deutschen Gesellschaft zur Bekämpfung der Geschlechtskrankheiten, no 26, 1928 [cité par Sven Kornilius, « Evolution de la thématique des ‹ asociaux › dans la discussion sur le droit pénal pendant la République de Weimar », Astérion [ENS Lyon], mis en ligne le 18 avril 2006, consulté le 16 octobre 2012. URL : http://asterion.revues.org/511]).

63 Das Kriminal-Magazin est mentionné semble-t-il pour la première fois par Fridemann Beyer dans Peter Lorre, Seine Film-sein Leben, Munich, Heyne Filmbibliothek, 1988, pp. 30-32.

64 « 15  000 Mark de récompense ! Le meurtrier de masse de Düsseldorf. Un tueur en série se joue de toute une ville ». La prime – réduite à 10  000 marks – se retrouve en tête de l’affiche sur laquelle Elsie Beckmann fait rebondir sa balle ; les autres formules viennent dans la bouche du ministre ou dans les journaux lus ou filmés.

65 Cité dans Rolf Aurich et alii, op. cit., p. 171, avec la qualification surprenante de « revue policière apparemment satirique » et « sans rapport avec les films de Lang de l’époque ». Les coupures liées à M se trouvaient sans doute dans le « monstrueux » scénario qui a disparu.

66 Réplique absente de la version française et passage coupé de la version allemande de 1960. Levinson, qui a visionné les deux versions en 1932, la cite dans son article en « complétant » les mots de l’expert (« … des petites filles que l’on retrouve – quand on les retrouve – affreusement dépecées » (André Levinson, op. cit.).

67 Kriminal-Magazin, Leipzig, 1930, p. 16.

68 Id., pp. 16-17.

69 Scène omise dans la version française.

70 La petite Elsie est sa neuvième victime (le chiffre atteint par Kürten), puisque l’affiche montrée dans le film au début en mentionne huit.

71 Kriminal-Magazin, op. cit., p. 27.

72 Scène absente de la version allemande de 1960.

73 Dans le film, l’interprétation par le graphologue de la forme brisée des lettres qui lui fait parler de théâtralisation, est sans doute une ironie de Harbou et Lang à l’endroit de l’expert (montré comme assez pédant dans la dictée de son diagnostic) puisqu’on apprendra par la suite que ce sont les irrégularités du support de bois qui les a produites ! (Lohmann l’emporte ici sur le graphologue).

74 Gabriele Tergit, à la sortie du film, parle « du commissaire Gennat » comme personnage du film (« Der Film des Sadismus », Die Weltbühne, no 23, 9 juin 1931 [reproduit dans Rolf Aurich et alii, op. cit., pp. 148-150]).

75 Anton Kaes, M, Londres, BFI Film Classics, 2000.

76 Kriminalmagazin, no 14, mai 1930.

77 Gennat consacre deux articles à l’affaire de Düsseldorf : l’un, publié avant l’identification et l’arrestation du meurtrier, porte sur la recherche du coupable (« Die Düsseldorfer Sexualverbrechen », Kriminalistischen Monatsheften, 1930) ; la deuxième partie paraît en 1931 sous le titre « Der Kürtenprozeß » où il décrit l’action policière liée à l’arrestation de Kürten (réédités en annexe au livre de Karl Berg, Der Sadist, Munich, Belleville, 2004 [1931]).

78 Thea von Harbou relativise cependant ce message d’avertissement en soulignant que les ouvriers et ouvrières sont dans l’impossibilité de surveiller leurs enfants en raison de leurs horaires de travail. (« Warum gerade ein ‹ solcher› Film ? ! »,repris dans Christophe Bareither et Urs Büttner (éd)., Fritz Lang. « M – Eine Stadt sucht einen Mörder » Texte und Kontexte, op. cit., pp. 201-202). La différence de classes est marquée dans le film dès le début, où les mères de familles pauvres font la lessive pour d’autres alors qu’au même moment, quand midi sonne, des parents en manteaux de fourrures attendent leurs enfants à la sortie de l’école. C’est notamment sur ce point que le film est critiqué dans l’Arbeiterbühne und Film (Tölle, « ‹ M› Tonfilm von Fritz Lang », no 6, juin 1931, pp. 27-28), qui souligne que le rôle de l’État est passé sous silence par les cinéastes.

79 Voir Peter Prätorius, « Mit Fritz Lang in der Unterwelt. Für 30 Mark verrät der Führer alle ‹ Geheimnisse› », Neue Leipziger Zeitung, 13 mai 1931. Joseph Kessel, dans une mémorable série de reportages dans l’Allemagne de la montée du nazisme, situe l’une de ses enquêtes pour le Matin de 1932 dans l’Unterwelt dont il tire un portrait saisissant assez voisin de l’image qu’en donne Lang – auquel il l’a peut-être empruntée : celle d’une communauté très organisée (une « société » de « frères » soumis à une rigoureuse discipline et une hiérarchie dominée par des « princes » et un président). Il la décrit en ces termes : « sous une forme organisée, syndiquée, hiérarchisée, c’est un état dans l’État, un ‹ sous-monde › qui double le monde apparent et visible » ; les membres de cette communauté de plusieurs milliers à Berlin se reconnaissent à l’insigne qu’ils portent à la boutonnière. (« Unterwelt », 1932, repris dans Les Jours de l’aventure, Paris, Plon, 1968, p. 145). On trouve la dénomination de « Prince » pour désigner Schränker sous la plume de Pierre-Albert Birot dans Pour Vous (26 mai 1932, p. 12).

80 Les notes du Prof. Sioli tirées de ses conversations avec Kürten sont publiées dans : Elizabeth Lenk, Katharina Kaever (éd.), Peter Kürten, genannt der Vampir von Düsseldorf, Francfort-sur-le-Main, Eichborn, 1997, pp. 160-167 ; et les rapports d’expertise produits lors du procès (Prof. Sioli, Dr Raether, etc.) dans ibid., p. 232 et sq.

81 Quand Sioli l’interroge sur ses lectures, Kürten évoque, entre autres, Cesare Lombroso. Il s’interroge sur son appartenance aux types définis par celui-ci (voir Cesare Lombroso, L’uomo delinquente [1876, trad. franç. 1887], Le più recenti scoperte ed applicazioni della psichiatria ed antropologia criminale [1893], Le crime. Causes et remèdes [1899]). Notons que Lang a déclaré avoir étudié Lombroso pendant la préparation du film mais que le personnage même de Beckert (ou de Kürten) sont des démentis aux schémas physiognomoniques de Lombroso.

82 Alex Wehner, « Le vampire de Dusseldorf est condamné neuf fois à mort », Le Figaro du 23 avril 1931, p. 4.

83 Ibid.

84 En dépit de la « normalité » postulée de Kürten, son corps sera, dans la minute qui suit l’exécution, remis au représentant de l’institut d’anatomie-biologie de l’université de Berlin, le prof. Krause qui, avec trois autres médecins, fut chargé d’entreprendre des recherches sur le cadavre.

85 « Der Kürten-prozeß war eine große Demonstration, eine kolossale Darbietung, veranstaltet für das Rechtsempfinden des Volkes, unbefriedigend aber und leer für die Warheitsfindung. » (Die Justiz/ Monatschrift für Erneuerung d. Deutschen Rechstwesens, vol. VII, 1931-1932 [Berlin-Grunewald, Dr. Walter Rothschild]).

86 Très rapidement le psychiatre Karl Berg, qui s’était entretenu longuement avec Kürten, publie une étude sur son cas (« Der Sadist. Gerichtsärztliches und Kriminalpsychologisches zu den Taten des Düsseldorfer Mörders », Deutsche Zeitchrift für die gesamte gerichtliche Medizin, vol. 17, 1931).

87 Sur cet aspect voir S. Jankowski, « Warte, warte nur ein Weilchen… », op. cit. : « Die Diskussion um die Todesstrafe in der Weimarer Republik » et Sven Korzilius, op. cit.

88 « Der Fall Kürten », Die Neue Rundschau, no 42, 1931, pp. 141-142. Kracauer répond sur ce point à l’assimilation qu’il juge abusive entre le film et l’actualité qu’a faite la critique berlinoise, mais lui-même, dans son premier article sur M (repris dans Siegried Kracauer, La Revue du cinéma, op. cit.), parle de Kürten et pose la question de l’exécution ou de l’internement psychiatrique.

89 Une « apothéose » dit Kracauer qui, au lieu de parler de notre réalité sociale s’en détache et héroïse la criminalité, altérant les qualités de reportage qui précèdent (« Unterwelt », op. cit., et « Les Bas-Fonds », La Revue du cinéma, op. cit., p. 63).

90 Roger Dadoun, « Le pouvoir et sa ‹ folie› », Positif, no 188, décembre 1976, pp. 13-20. On verra que dans la critique française plusieurs l’avaient déjà relevé. Plus nombreux encore sont ceux qui ont souligné combien les plans finals des trois juges puis des trois mères en deuil ne faisaient pas le poids, voire étaient délibérément rendus dérisoires.

91 Le bulletin d’information de l’Eglise évangélique le relève : « [Lang] se garde habituellement de « prendre parti », mais là il a déjà répondu à la question par l’affirmative puisque la « voix du peuple » se fait entendre à travers la masse des truands » (Mitteilungen der Evangelischen Bildkammer, no 11, juin 1931, cité dans Rolf Aurich et alii, op. cit., pp. 169-170).

92 Voir Benoît Massin, « De l’eugénisme à l’euthanasie 1890-1945 », La Recherche, décembre 1990, pp. 1563-1568 ; « L’euthanasie psychiatrique sous le IIIe Reich : la question de l’eugénisme », L’Information psychiatrique, vol. 72-718, no 8, octobre 1996, pp. 811-822.

93 Illustrierte Film Bühne, supplément de 4 pages de l’Illustrierte Film Kurier, no 5163, 1931, consacré à M.

94 Fritz Lang, « Mein Film M – ein Tatsachenbericht », op. cit., pp. 633-638 (dans Rolf Aurich et alii (éd.), op. cit., pp. 138-140) (une traduction française sans référence à la source figure sous le titre « Mon film M. Un récit documentaire » dans le recueil Trois lumières, Fritz Lang, op. cit., pp. 67-70).

95 Fritz Lang, Lichtbild-Bühne, no 121, 21 mai 1931, cité sans titre dans id., p. 169. Dans des textes ultérieurs, il insiste d’ailleurs pour se distancier de toute proximité avec les partisans de la peine de mort (voir « Réflexions sur mes films » [sans réf. ni date], dans Fritz Lang, Trois lumières, op. cit., p. 237).

96 Léon Moussinac, « ‹ M› ou Le Maudit », L’Humanité, 3 juin 1932, p. 4. La dernière phrase signifiant sans doute « Je ne choisis pas ».

97 « Fritz Lang nous a dit… », L’Intransigeant, op. cit., p. 6.

98 Jean Vincent-Bréchignac, « Avec Fritz Lang et Peter Lorre, le Maudit », op. cit., p. 4. L’interviewer demande à Peter Lorre s’il est allé observer Kürten pendant son procès.

99 Joseph Losey – qui dit avoir vu le film à Berlin en 1931 – exprime très clairement cette ambiguïté du film dont il a tenu à se distinguer dans sa version de M : « Le point de vue de Lang était que ce tueur maniaque était un être malfaisant qui devait être détruit, un être humain pas tout à fait humain, une brute qui pouvait être jugée par l’élément situé au plus bas de l’échelon social, à savoir celui des bas-fonds (underworld). » (texte de 1963, sans référence de source, repris dans Fritz Lang, Trois lumières, op. cit., pp. 85-86).

100 Ainsi Gabriele Tergit ou Tölle.

101 Repris dans Elizabeth Lenk, Katharina Kaever (éd.), Peter Kürten, genannt der Vampir von Düsseldorf, op. cit., pp. 298-303.

102 Gabriele Tergit, dans Rolf Aurich, Wolfgang Jacobsen, Cornelius Schnauber (éd.), Fritz Lang. Leben und Werk. Bilder und Dokumente, Berlin, Jovis, 2001, catalogue trilingue de la rétrospective Lang au Festival international du film de Berlin 2001, pp. 148-150.

103 Rudolf Arnheim, « Eine Minute Pause ! », Die Weltbühne, no 23, 9 juin 1931 (dans Rolf Aurich et alii, op. cit., pp. 151-153).

104 Siegfried Kracauer, « Der Fall Kürten », op. cit., pp. 141-142.

105 Gabriele Tergit, id.

106 André Lang témoigne de l’atmosphère houleuse de la salle où il vit M à Berlin : « À cette époque le vampire de Dusseldorf n’avait pas encore expié sa faute. Et […] il faut dire que le film n’était pas accepté sans discussion. » (Suzanne Chantal, « Un curieux film de Fritz Lang : Le Maudit », op. cit., p. 177) et Gabriele Tergit évoque, lors de la première du film, une dame qui crie « Ce type, il faut l’écarteler ! » (id.).

107 Sans parler des appréciations de Josef Goebbels qui applaudit au film dans son Journal (21 mai 1931), le quotidien nazi, Der Angriff (no 111, 31 mai 1932), explicite ce lien lors d’une nouvelle « affaire » : « Aujourd’hui nous parvient l’information qu’on a de nouveau gracié un assassin sexuel qui avait été condamné à mort. Ainsi le film M est-il de nouveau actuel […] [Il] constitue la meilleure argumentation contre les opposants à la peine de mort. L’assassin (Peter Lorre) n’a rien perdu de sa hideur repoussante. » (cité dans Rolf Aurich et alii, op. cit., p. 162). On sait par ailleurs que le film antisémite nazi Der ewige Jude (Le Péril juif, Fritz Hippler, All., 1940) reprit le monologue final de Beckert pour illustrer le danger mortifère représenté par « le Juif ».

108 Suzanne Chantal : « le dernier film de Fritz Lang inspiré par la sinistre odyssée du vampire de Düsseldorf » (Cinémonde, 17 mars 1932, p. 176) ; René Lehmann : « Vous vous rappelez sans doute l’histoire de ce fameux satyre de Dusseldorf qui sema l’épouvante dans la ville par la répétition de ses nombreux forfaits si longtemps impunis » (Pour Vous, 14 avril 1932) ; [anon.], « la nouvelle production de Fritz Lang inspirée par les crimes du vampire de Düsseldorf » (Cinéa, no 24, avril 1932, p. 10) ; M. Huet : « Avec un talent remarquable M. Fritz Lang […] vient, en un film, de ressusciter le fameux vampire de Düsseldorf » (Petit Parisien, 6 mai 1932) ; Moussinac : « une sorte d’affaire Kurten, le vampire de Dusseldorf » (L’Humanité, 3 juin 1932, p. 4) ; Georges Champeaux : « l’ouvrage est, on le sait, inspiré de la sanglante aventure du vampire de Dusseldorf » (Gringoire, circa avril 1932) ; Guy Roberty : « Sujet : le vampire de Düsseldorf » (L’Ami du film, 15 avril 1932).

109 André Levinson, Radio-magazine, op. cit., p. 7. Plus tard Paul Gilson dans les deux pages qu’il consacre à M dans Cinéma Magic évoque ce contexte allemand et le rapport Beckert-Kürten de manière très complète (Paris, André Bonne, 1951, pp. 66-68).

110 L’affaire du « vampire de Düsseldorf » apparaît régulièrement dans la presse française mais dans de petits articles informatifs (ainsi l’annonce de la condamnation à mort de Kürten en page 4 du Figaro le 23 avril 1931).

111 Le président Paul Doumer décède le 7 mai 1932 d’un assasinat commis la veille par un Russe blanc, Paul Gorguloff, alors qu’il inaugurait une vente aux enchères au profit des écrivains anciens combattants. Le meurtrier est jugé en juillet, considéré comme responsable de son acte et guillotiné le 14 septembre de la même année.

112 C’est avec ce fait divers-là que l’opinion publique française est mobilisée. Faut-il condamner à mort et exécuter les deux meurtrières ou sont-elles les victimes de leur situation sociale. Le Parti communiste et le groupe surréaliste tenteront de déplacer l’enjeu du procès sur la question de la lutte des classes ou de la transgression, tandis que Jacques Lacan élaborera une contre-expertise psychiatrique en parlant de « crime paranoïaque » (« Motifs du crime paranoïaque. Le double crime des sœurs Papin », Minotaure, no 3, décembre 1933).

113 Ce qui ne signifie pas qu’il n’existe pas un courant de pensée au sein du monde médical partisan de l’élimination des « dégénérés ». Ce courant de la seconde moitié du XIXe siècle n’épargne aucun pays européen. Morel, Servier, Lacassagne, Carrel préconisent à des degrés divers l’euthanasie, la castration (voir Laurent Mucchielli, « Criminologie, hygiénisme et eugénisme en France (1870-1914) : débats médicaux sur l’élimination des criminels réputés ‹ incorrigibles › », Revue d’histoire des sciences humaines, no 3, 2000, pp. 57-89). La préface que donne Taine à l’édition française de L’Homme criminel de Lombroso (Paris, Félix Alcan, 1895 [2e édition]) en dit long à cet égard : « Je suis fort loin d’entrer dans les idées humanitaires de nos juristes ; si j’étais juriste ou législateur, je n’aurais aucune indulgence pour les assassins et pour les voleurs, pour le ‹ criminel-né›, pour le ‹ fou moral›. […] Vous nous avez montré des orangs-outangs lubriques, féroces, à face humaine ; certainement, étant tels, ils ne peuvent agir autrement qu’ils ne font ; s’ils violent, s’ils volent, s’ils tuent, c’est en vertu de leur naturel et de leur passé, infailliblement. Raison de plus pour les détruire aussitôt qu’on a constaté qu’ils sont et resteront des orangs-outangs. A leur endroit je n’ai aucune objection contre la peine de mort, si la société y trouve profit. » (cité par Laurent Mucchielli, op. cit., p. 65).

114 Interview dans Pour Vous, le 21 avril 1932.

115 Voir l’entretien de mars 1932 avec Suzanne Chantal dans Cinémonde, op. cit., pp. 176-177, à une date où le travail de tournage et de doublage est en cours ; la journaliste signale que plusieurs « raccords » ont été tournés.

116 Voir Pierre-Albert Birot : « ‹ Haut les mains !› La ‹ citadelle› est prise et le monstre – qui ne cessait de pleurer qu’il voulait la justice des hommes et non celle des voleurs – est arrêté AU NOM DE LA LOI. » (Pour Vous, op. cit., p. 12).

117 La traductrice substitue d’ailleurs « vampire » à « meurtrier » ou « assassin » dans l’article de Kracauer sur le film dans La Revue du cinéma.

118 Qui résonnent évidemment avec les lieux communs concernant le cinéma allemand réduit à Caligari et Nosferatu. En outre, le mot « vampire » est de nouveau présent dans les journaux de cinéma quelques jours à peine avant que démarre le travail d’adaptation. Précisons que le Dracula de Tod Browning (E.-U., 1931) sort en France le 22 janvier 1932.

119 André Levinson déplore qu’on ait supprimé de la version française les mouvements de foules « spasmodiques » où l’on croit voir le monstre partout, où l’on lynche des innocents… (op. cit.).

120 Le § 51 ne correspond évidemment pas au Code civil français, mais on aurait pu trouver l’article correspondant.

121 « … inspiré de l’actualité la plus malsaine et la plus retentissante. » (Guy Roberty, « M (le maudit) », L’Ami du film, 15 avril 1932).

122 « M n’appartient à aucun des genres cinématographiques connus à ce jour » (ibid.).

123 Ibid.

124 Ibid.

125 François Vinneuil, op. cit., L’Action française du 15 avril 1932, p. 4.

126 « Sainte-Vehme, en allemand Femgericht – Nom donné à des tribunaux secrets actifs dès le XIe siècle en Westphalie et qui se multiplièrent dans le Saint Empire pendant le Grand Interrègne (1250-1273). Tenant des séances secrètes, et probablement dominés par des bourgeois des villes, ils condamnaient les malfaiteurs et les chevaliers-brigands à la pendaison immédiate. Ces tribunaux disparurent progressivement à partir du XVe siècle avec l’établissement des principautés territoriales modernes. », Larousse.fr (consulté le 12 mars 2013).

127 François Vinneuil, L’Action française, 15 avril 1932, op. cit., p. 4.

128 Jean Laury, Le Figaro, 17 avril 1932, p. 5.

129 André Levinson, op. cit.

130 Martin Barnier, « Les premiers ingénieurs du son français », 1895. Revue d’histoire du cinéma, no 65, hiver 2011, pp. 208-210.

131 La Cinématographie française, no 751, 25 mars 1933, pp. 44-45.

132 Le Spectacle, no 82, janvier-mars 1932 (journal du Syndicat National du Spectacle, conservé aux Archives de Seine-Saint-Denis, boîte 65J34).

133 Dans les phonoscènes Gaumont, le chanteur ou l’acteur qui le remplace à l’image « mime la chanson qu’il a au préalable enregistrée sur disque » (Laurent Mannoni, « Gaumont, pionnier du film sonore », op. cit., p. 88), ou que quelqu’un d’autre a au préalable enregistrée sur disque.

134 Le vocable « asocial » est particulièrement polysémique. Sven Kornilius qui étudie cette question cite la définition du psychiatre et pénaliste Gustav Aschaffenburg en 1922 qui distingue deux groupes d’asociaux : ceux qui « sont une charge pour la société » (malades chroniques) et ceux qui « nuisent » à la société (vagabonds, mendiants, prostituées, alcooliques, criminels,…). Il fait en outre une différence entre, d’une part, les malades physiques (tuberculeux, estropiés, aveugles, sourds-muets,…) et, d’autre part, les malades mentaux et les malades présentant une tendance aux « déficits moraux ». Font partie de ce groupe selon lui les jeunes « immatures », les « idiots », les aliénés, les épileptiques, les alcooliques, les polytoxicomanes et les déviants sexuels. L’auteur considère comme des « cas limites » « les débiles mentaux, les hébétés, les sans-volonté (mendiants, vagabonds, prostitués, criminels occasionnels), les individus excitables, les violents et les impulsifs, les affectivement asthéniques et les antisociaux (criminels actifs) ». Ces groupes sont souvent étiquetés comme « mentalement » ou « moralement » « inférieurs », ou catalogués par les auteurs de l’époque de Weimar comme une « vermine » voire des « parasites ». (« Evolution de la thématique des ‹ asociaux› dans la discussion sur le droit pénal pendant la République de Weimar », op. cit.).

135 Cinémonde, no 192, 23 juin 1932, p. 506.

136 C. Ollier, « Cinéma et vérité », La Nouvelle Revue Française, no 109, 1er janvier 1962, p. 122.

137 Le texte allemand est repris du « Protokol » du film établi par G. Gandert et U. Gregor (op. cit.) et entre crochets : A. la traduction française de V. Schlöndorff dans L’Avant-Scène (op. cit.) et B. la traduction des sous-titres de la version du film de 1960 due à Helmut Leibholz.