Une rétrospective à l’envergure du personnage
Le Festival de Locarno s’est démarqué en 2008 par la rétrospective organisée autour de Nanni Moretti. Lors des dix années précédentes, le festival avait mis à l’honneur des réalisateurs tels que Marco Bellocchio (1998), Orson Welles (2005), et Aki Kaurismäki (2006), ou des thématiques particulières (« All That Jazz » en 2003, « Newsfront » en 2004, les grandes actrices italiennes en 2007). Bien évidemment, le traitement de tels thèmes ne pouvait être exhaustif. Quant aux programmes centrés sur une figure d’« auteur », ils se bornaient principalement aux œuvres que les cinéastes avaient directement supervisées en tant que réalisateur. Cette année, la rétrospective a surpris plus d’un habitué par sa diversité et son étendue. Les projections étaient organisées autour de cinq aspects : Nanni Moretti réalisateur (documentaires, longs et courts métrages de fiction), Nanni Moretti producteur (et souvent acteur par la même occasion), Nanni Moretti exploitant, Nanni Moretti spectateur dans les années 1960, et enfin une catégorie regroupant quelques documentaires sur le personnage et son travail. La rétrospective présentait ainsi l’intégralité de ce qui constitue son art, de la formation de son œil cinéphile jusqu’aux œuvres récentes en passant par les travaux d’autres cinéastes dont il a favorisé l’émergence grâce à sa salle de cinéma romaine ou grâce à sa société de production, la Sacher Film.
Un festivalier zélé aurait ainsi pu consacrer ses journées à cet ouvrier versatile du cinéma italien, de 9h à 22h. On peut alors rêver un spectateur parfait, jamais épuisé ni lassé, qui reconstituerait petit à petit un portrait total de Nanni Moretti. Il pourrait alors véritablement entrer en dialogue avec le cinéaste et envisager l’avenir de sa création, comme le souhaite Frédéric Maire dans le catalogue. Ce vœu du directeur artistique du festival témoigne de sa volonté de perpétuer une tradition locarnaise : présenter des rétrospectives d’auteurs encore vivants pour permettre la rencontre entre réalisateurs et public. L’hommage prend en fait des airs de déclaration programmatique. Le festival met en avant des créateurs toujours critiques, envers la société autant qu’envers eux-mêmes, et la rétrospective reflète bien ce parti pris. Certes garant d’une bonne publicité européenne, le choix de Nanni Moretti, auteur prolifique et actif, peut aussi s’expliquer d’un point de vue plus général. Le panel de films présentés toutes sections confondues est si étendu qu’il touche tous les domaines (géographiques, stylistiques, thématiques,…) de la planète Cinéma. Au fond, le festival veut montrer qu’il a les moyens d’honorer des créateurs actuels et qu’il peut représenter une plateforme de discussion privilégiée dans les débats culturels du temps. La rétrospective Nanni Moretti aura au moins prouvé que l’équipe du festival a les moyens d’effectuer un travail de premier ordre.
Il est aussi important de souligner la richesse de la rétrospective dans la perspective de l’avenir professionnel de Frédéric Maire en tant que futur directeur de la Cinémathèque Suisse de Lausanne (dès novembre 2009). La rétrospective Nanni Moretti va en effet de pair avec l’invitation de la Cinémathèque Royale de Belgique. Sa directrice, Gabrielle Claes, a eu l’occasion cette année de faire connaître certains trésors de sa cinémathèque (les films expérimentaux de Knokke le Zoute notamment). Maire a exprimé son désir de faire de l’invitation d’une importante cinémathèque mondiale une nouvelle tradition. Cette double programmation « historique » laisse présager de grandes choses pour l’avenir de la Cinémathèque suisse et un 62e Festival qui, on l’espère, sera lui aussi riche en (re)découvertes cinématographiques.