« Glamour », quand tu nous tiens…
L’« affaire » a pris une ampleur inattendue dans le microcosme du cinéma suisse : lorsque l’Office fédéral de la culture a mis sur pied « sa » journée du cinéma suisse en collaboration avec la direction du Festival de Locarno, elle n’imaginait sans doute pas se retrouver dans le rôle du grand méchant loup qui s’attaque au frêle léopard. C’est pourtant ce qui s’est produit lors du débat intitulé « Glamour ! Carpets ! Awards ! What for ? ». Car cette discussion, qui se voulait une réflexion constructive sur le besoin ou non de glamour dans le cinéma suisse, a viré en procès du festival, avec d’un côté le président Marco Solari défendant sa philosophie – « du contenu et des films à Locarno » – et de l’autre le bouillonnant chef de la section cinéma de l’OFC Nicolas Bideau, qui ne cacha pas son goût pour les stars, les paillettes et les tapis rouges.
Locarno souffre-t-il d’un manque de « glamour » ? Au sens où on l’entend actuellement – le sens « cannois » qui renvoie aux stars à paillettes1 –, sans doute la réponse est-elle affirmative. Alors faut-il remplacer Amos Gitaï par George Clooney, Natacha Koutchoumov par Scarlett Johansson ? Faut-il inviter Silvester Stallone à coup de millions, comme l’a fait le Festival de Zurich ? Marco Solari n’a rien contre la présence de stars, « pour autant qu’elles aient quelque chose à dire ». Mais cette année, il a joué de malchance avec Angelica Huston, qui lui a fait faux bond à la dernière minute. Et il a tenté en vain de faire venir Emma Thomson, protagoniste du film d’ouverture (Choke). Un échec qui met en lumière les limites financières du « plus petit des grands festivals » – Emma Thomson demandait près de 100 000 francs pour « interrompre » ses vacances…
Ces déconvenues ne doivent toutefois pas faire oublier la venue précédente de nombreuses personnalités dont le talent et la notoriété ne sont plus à démontrer. Pour n’en citer que quelques-unes présentes ces dernières années : Michel Piccoli, John Malkovich, Anthony Hopkins, Susanne Sarandon. Enfin, et n’en déplaise aux amateurs de paillettes, Locarno a réussi cette année l’une de ses plus belles rétrospectives jamais mise sur pied avec la venue de Nanni Moretti. L’acteur et cinéaste italien ne représente pas l’incarnation même du glamour – quoique les femmes le trouvent plutôt charmant… – mais les cinéphiles sont sortis ravis des nombreuses séances consacrés à ses films et à la « carte blanche » offerte à l’Italien.
Face à un Nicolas Bideau adepte d’une culture plus lucrative et récréative, Marco Solari, bien conscient qu’une menace se dessine du côté de Zurich, défend avec courage et ténacité une vision de cinéphile : celle d’un festival qui privilégie le contenu et qui invite des stars « qui viennent défendre des films ». Se détourner de cette vision, quand on sait que le public de Locarno se démarque par sa cinéphilie et son envie de décourvir de nouvelles cultures2, serait une grossière erreur de jugement. Soyons rassurés : Marco Solari tient bien son os. Le choix inattendu mais très opportun d’Olivier Père, actuel responsable de la prestigieuse et pointue Quinzaine des réalisateurs à Cannes, pour succéder à Frédéric Maire dès la fin de l’édition 2009 l’a confirmé. Céder à l’appel du glamour rendrait aussi, à coup sûr, le festival moins convivial et moins accessible sur les plans humain et financier aux quelque 290 000 festivaliers qui le font vivre – dont une bonne délégation de Romands en vacances…
La Piazza Grande, point noir de la programmation 2008
Le débat sur le glamour a paradoxalement caché les véritables carences de la 61e édition du Festival de Locarno. Et en premier lieu la faiblesse de la programmation sur la Piazza Grande, sans doute l’une des plus mauvaises de l’histoire du festival. La programmation a souffert d’un manque flagrant de films rassembleurs. De La fille de Monaco d’Anne Fontaine, on ne retiendra que le show de Fabrice Luchini avant la projection ; d’Outlander (Howard McCain), unique œuvre estampillée blockbuster, on ne se souviendra que d’une sombre confrontation risible et prévisible entre Vikings et Aliens. Bref, seul Son of Rambow (Garth Jennings), comédie britannique au ton décalé – qui soit dit en passant figurait déjà dans le catalogue 2007 ! –, et la rediffusion de Palombella Rossa (Nanni Moretti) ont reçu un accueil chaleureux du public. C’est insuffisant pour une Piazza Grande (7000 sièges) dont le rôle mobilisateur est de favoriser la rencontre entre cinéphiles et public moins averti. Un rapide coup d’œil au programme des années précédentes permet d’ailleurs de mesurer mieux encore la pauvreté des œuvres proposées en 2008. En 2006, le public a pu notamment découvrir des œuvres aussi variées que Miami Vice (Michael Mann), Little Miss Sunshine (Jonathan Dayton & Valerie Faris), La Liste de Carla (Marcel Schüpbach), Les Lumières du Faubourg (Aki Kaurismäki), Mon frère se marie (Jean-Stéphane Bron), La Vie des autres (Floria Henckel von Donnersmack) – qui témoignaient de l’excellent flair des programmateurs –, ou encore Indigènes, gros succès au box office français. L’année 2007, que l’on qualifiait déjà de « moyenne », fut moins riche mais non dénuée d’intérêt : Death At A Funeral (Frank Oz), Planet Terror (Robert Rodriguez), Le voyage du ballon rouge (Hou Hsiao-Hsien), The Bourne Ultimatum (Paul Greengrass), 1 Journée (Jacob Berger). Indépendamment de leur qualité, ces films ont tous suscité un intérêt certain.
Comme le souligne Frédéric Maire, Locarno a souffert cette année de la grève des scénaristes, facteur d’appauvrissement de la production. Mais cet élément cache mal la concurrence toujours plus marquées avec les festivals de Venise et de Toronto, qui suivent de peu Locarno. Et surtout il n’explique pas pourquoi The Dark Knight (Christopher Nolan), le film le plus attendu de l’été dont la sortie en Suisse coïncidait à quelques jours près avec la 2e semaine locarnaise, n’a pas été programmé sur la Piazza. Et pourquoi Home, la dernière œuvre d’Ursula Meier dont le passage à la semaine de la critique cannoise fut remarqué, n’a pas eu les honneurs d’une avant-première à Locarno. Des choix plus courageux auraient également pu amener les programmateurs à diffuser le documentaire de Danilo Catti, Giù le mani, plongée émotionnelle dans la grève de CFF Cargo à Bellinzone, événement qui a marqué les esprits au-delà des frontières tessinoises. Au lieu de cela, ce documentaire a été catapulté dans la catégorie « Cinéastes du présent », mais hors compétition, et présenté au Fevi à 11h du matin. Comme si l’œuvre semblait inclassable aux yeux des programmateurs…
Ce dernier constat met en exergue une seconde faiblesse que Locarno se devrait de gommer : le manque de singularité entre les deux grandes compétitions (Compétition internationale / Cinéastes du présent), souvent proches par les thématiques qu’elles abordent ou la forme qu’elles emploient. Les films de la compétition Cinéastes du présent se veulent radicaux et novateurs – dixit le catalogue du festival –, mais ces caractéristiques valent également pour la compétition internationale. Preuve en est le Léopard d’or décerné au mexicain Parque Via (Enrique Rivero), cinéma radical et austère reposant sur des scènes d’actions répétitives rappelant fortement le lauréat 2007 Ai No Yokan (Masahiro Kobayashi). Une meilleure démarcation entre la Compétition internationale et les Cinéastes du présent profiterait sans doute à la première, qui n’est pas considérée comme le point fort du festival. Hasard ou ironie du sort, les deux œuvres qui semblent avoir fait l’unanimité au sein du public sont Prince Of Broadway (Sean Baker) et La forteresse (Fernand Melgar). Deux œuvres inscrites dans la compétition… Cinéastes du présent !