François Bovier

Hollis Frampton ou le hors-champ du cinéma : le projet Magellan

Parallèlement à l’invitation de compositeurs minimalistes américains, le Festival Archipel1 2003 a présenté, en collaboration avec le cinéma Spoutnik, une série de films du dernier projet en date de Hollis Frampton, Magellan (1972-1980, inachevé). Jean-Michel Bouhours déclarait, dans l’avant-propos de L’Ecliptique du savoir, recueil de textes de l’artiste et cinéaste :

« Hollis Frampton a laissé au moment de sa disparition en 1984 une œuvre imposante dont on n’a pas encore mesuré toute la portée : plusieurs dizaines de films parmi lesquels outre l’ultime projet épique, Magellan, un ensemble de photographies et xérographies qui allie rigueur, humour et pertinence et, enfin, une production de textes qui lui valurent la réputation d’un artiste à la curiosité d’esprit illimitée et du cinéaste le plus intellectuel de son époque2. »

En l’occurrence, c’est la « portée » du projet Magellan que j’aimerais ici interroger, à travers une lecture croisée : je retracerai, dans un premier temps, les mythes expressifs qui ont conduit Frampton à ce projet démesuré ; je présenterai, dans un deuxième temps, l’architecture globale du cycle ; et j’articulerai, en un troisième temps, un certain nombre d’hypothèses de lecture de ces textes filmiques envisagés dans leur symbolicité indéterminée.

Récrire l’histoire du cinéma : la fiction d’un autre commencement

L’œuvre écrite, filmique et photographique de Frampton nous invite à faire l’expérience d’objets paradoxaux : lié à des artistes minimalistes comme Carl Andre ou Frank Stella3, Frampton propose une série de concepts, d’énoncés linguistiques et de structures mathématiques qui pourraient se passer de toute actualisation mais qui s’incarnent à travers des formes singulières, le support photographique ou cinématogra- phique d’une part, et une écriture aux niveaux de style entrelacés d’autre part4. Dans le cadre de ses films, une tension s’instaure entre le programme initial de l’œuvre et sa réalisation effective : l’ordre conceptuel éprouve les limites de la nature analogique, déictique, de l’image photographique. Des modèles extrafilmiques : des structures de permutation d’éléments fixes (Artificial Light, 1969, 25’), la matrice de l’alphabet latin (Zorn’s Lemma, 1970, 60’) ou encore le filmage littéral d’un scénario écrit (Poetic Justice, 1972, 31’), passent, selon les mots de Brakhage, le « cinéma au crible du langage5 ». Mais il y a plus : cette obsession pour le langage, comme les jeux de mots, doit être inscrite dans un projet (ou un mythe expressif) plus large ; car, pour Frampton, il s’agit, ni plus ni moins, que de réécrire l’histoire du cinéma, c’est-à-dire d’intégrer l’ensemble des productions filmiques existantes et latentes en une œuvre épique et définitive. Ainsi, dans un texte qui a valeur d’art poétique (ou de poétique prescriptive), peut-il écrire, en s’opposant à la position de l’historien du cinéma qui est inféodé aux faits et à l’ensemble des films tournés :

« Le métahistorien du cinéma, pour sa part, se préoccupe d’inventer une tradition, c’est-à-dire un ensemble maniable et cohérent de monuments discrets qui implantent dans le corps grandissant de son art une unité résonante. De telles œuvres peuvent ne pas exister, il est alors de son devoir de les faire6. »

Autrement dit, « le métahistorien du cinéma » (entendre : Hollis Frampton) doit se prêter à une entreprise de critique radicale des films déjà-tournés et repérer au sein de ce corpus les œuvres qui résistent à l’épreuve du temps ; après avoir écarté les scories qui entravent le développement du cinéma, il doit réorganiser ce champ en un « ensemble maniable et cohérent » (une histoire-panthéon de l’art cinématographique) à travers un geste fictif (l’opération de l’inventio : « inventer ») – quitte à tourner les films s’il s’avérait qu’un maillon de la chaîne manquait. Si l’on prend au pied de la lettre une demande de bourse adressée à la Fondation Guggenheim, Magellan a pour ambition de réaliser un tel programme : parmi les buts fixés, il s’agit, avec Magellan, de « refaire le cinéma comme il devrait être7 ». Une interview accordée en 1980 vient conforter cette lecture. Frampton y déclare notamment :

« Cet article [‹ Pour une métahistoire du cinéma ›], rédigé il y a neuf ans, constituait, à mon sens assez ouvertement, un manifeste pour une œuvre qu’à ce moment je pensais sérieusement entreprendre, c’est-à-dire le projet Magellan8. »

Le cycle Magellan est donc conçu par Frampton comme un synopsis de l’ensemble des figures filmiques et de leurs modes de signification qu’il s’agit de reconfigurer en un récit mythologique : Frampton substitue au voyage historique de Magellan une exploration métahistorique du film.

Un parallélisme frappant rattache la proposition de Frampton au projet, lui aussi demeuré inachevé, d’un phénoménologue tardif, Max Loreau. Dans La Genèse du phénomène, qui reprend sur le mode de l’-interrogation philosophique ce qu’il avait découvert dans un texte de fiction, Cri9, Max Loreau se donne pour tâche de déconstruire l’espace philosophique, de repérer ses éléments refoulés, et de réarticuler une « pensée non-rétrogressive » à travers un « autre commencement », forcément hypothétique, fictif (l’opération de l’inventio encore, ou plutôt de la poiesis)10. Dans les deux cas, il s’agit de refaçonner l’objet en question : le cinéma qui opère des retranchements sur un film infini et incommensurable, ou la philosophie qui réduit l’interrogation ouverte et radicale à une métaphysique de la présence. Ainsi Frampton, dans une conférence prononcée in absentia (lue par un autre et diffusée par magnétophone), définit-il le film comme « tout ce qu’on peut mettre dans un projecteur et qui en module le faisceau de lumière11 ». Dans cette perspective, chaque film tourné ou à tourner représente potentiellement une section d’un « film infini » ou à venir : Frampton, en se projetant dans un hypothétique futur où tout aurait été emmagasiné sur des bobines, se propose de mettre à jour et d’ordonner cet amoncellement de pellicule impressionnée. Le sujet de Magellan serait le récit de la gestation, du développement et du déclin de la représentation cinématographique ou, plus exactement, la précipitation de ses différentes phases en une forme ouverte et acentrée qui intègre ses aberrations et ses excroissances.

Mais revenons au projet Magellan – tel qu’il nous est parvenu. Frampton, dans ce dernier cycle, intègre – ou fait référence à – un certain nombre d’œuvres préexistantes : essentiellement, le cinéma des premiers temps (il pensait incorporer une centaine de films parmi les 125 qu’il avait acquis auprès de la Library of Congress), les dispositifs pré-cinématographiques, les actualités Lumière (qu’il voulait moderniser : tourner en couleur – et avec du son une fois sur deux), des démarches expérimentales contemporaines (Brakhage, entre autres) et ses propres réalisations. À ce stade déjà, un premier écueil apparaît : il y a une nette différence entre un film effectivement cité et un film retourné ou détourné ; certains fragments de Magellan entretiennent une relation métaphorique à des œuvres préexistantes qui sont difficilement identifiables. Ce jeu des allusions est relancé, redoublé, par un réseau de références extrafilmiques. Il est nécessaire de repérer ces référents pour déceler la logique à l’œuvre dans le cycle : au spectateur incombe la tâche d’identifier et d’assembler divers éléments langagiers qui menacent de demeurer à jamais hors-champ. J’en veux pour exemple l’entame du cycle, Cadenza I, qui inaugure la section Birth of Magellan.

Au début, l’écran est noir, illuminé fugitivement par des amorces blanches ou de couleur : des sons synthétiques évoquant un bruit d’orage et de pluie retentissent. Après cette scène originaire (quel référent évoquer ?), deux segments de films alternent, chacune de leurs occurrences étant séparée par des motifs géométriques (alternativement, un rond rouge qui croît sur un fond blanc et un rond blanc sur un fond rouge). Un jeu sur le flou et la mise au point, et la persistance d’applaudissements déformés sur la bande-son, contribuent à relier ces deux segments. Une comédie des premiers temps (A Little Piece of String, film de la Biograph, 1902) met en scène une femme qui bavarde avec un homme, alors que son complice tire un bout de tissu de sa robe et entreprend de la déshabiller. Le second segment, en couleur, cadre deux jeunes mariés sur un pont qui prennent visiblement la pose pour une séance photo. Comme l’a remarqué Bruce Jenkins12, l’assemblage des deux métrages place le projet de Frampton sous le signe d’un hommage à Marcel Duchamp : Cadenza I transpose sur le plan du cinéma le sujet de La mariée mise à nu par ses célibataires, mêmes (1915-23)… Un jeu d’interrelation entre les deux segments instaure une correspondance entre les éléments opposés (la mariée et les célibatairesMARcel) : la traîne de la robe, tenue par le témoin de la mariée, est associée au jupon de la femme, qu’un homme dévoile ; la sortie des mariés hors du champ déclenche la scène du déshabillage ; l’apparition d’un photographe dans le champ semble provoquer la chute du jupon ; au pont vide répond le repli précipité de la femme dans sa boutique. La robe, le voile et le photographe, tout comme l’opposition entre l’occupation et le désinvestissement du champ, déclinent le paradigme indiciaire de l’hymen déchiré. Cette mise à nu de la femme, ce dévidement progressif de son jupon, ne peut que se faire au gré de celui de la pellicule. Et c’est après avoir comblé le voyeurisme attaché à l’acte de visionnement que le film prend fin. Cadenza I constitue une machine célibataire : il faut un principe d’appariement (c’est-à-dire un interprétant) pour faire s’engrener asymptotiquement un piston tournant à vide dans une pièce réceptrice. Pour une fois, l’intertexte est identifiable sans équivoque. Mais comme dans l’écriture à contraintes, le plus souvent les procédés de Magellan ne sont pas reconstituables : le cycle, à travers la reconfiguration constante et la dissémination de ses paramètres organisationnels, menace de basculer dans l’ordre de l’inarticulé et de l’innommable. Dans tous les cas, le geste du métahistorien du cinéma demeure infalsifiable : Frampton nous propose un récit mythique, qui n’est pas forcément inscrit (ou lisible) dans les films réalisés.

La structure du film : une œuvre épique

Magellan, nous dit Frampton, s’inspire du journal d’Antonio Pigaffeta qui accompagnait Ferdinand Magellan lors de son voyage maritime autour du monde (1519-1522). En tenant un journal au jour le jour, Pigaffeta découvre à son retour un décalage horaire. Le film, qui a la même visée encyclopédique, répond à une structure cyclique similaire : un calendrier répartit la projection des trente-six heures prévues de films sur la durée d’une année ; le paradoxe temporel révélé par le journal se répercute sur la structure en boucle du film qui accole les deux derniers jours du cycle et les deux premiers jours de son occurrence suivante13. Le corps central du cycle est composé des actualités de Frampton, The Straits of Magellan14, qui devaient comprendre 720 films-plans d’une minute, aussi appelés panopticons (en référence à Bentham et ses dispositifs de surveillance pour prison : une vue toute englobante, coercitive, où le prisonnier se sent surveillé sans jamais pouvoir retourner son regard au gardien qui demeure invisible !). Chaque jour, deux panopticons devaient être projetés, à l’exception des solstices et des équinoxes, et de la date anniversaire de Frampton, où d’autres films sont prévus. À cette armature de base se superposent la « naissance de Magellan » (The Birth of Magellan), les 30 et 31 décembre, et la « mort de Magellan » (The Death of Magellan), les 1er et 2 janvier de l’année suivante. Frampton applique le modèle du palindrome à l’ensemble de son projet : il conçoit la structure du cycle comme prédéterminée par ses seuils ; il construit Magellan et ses épisodes à partir de leur début et de leur fin, pour ensuite remonter vers le corps central du film. Et de fait, une partie du premier et du dernier jour de projection a été tournée : dans l’ouverture du cycle, les sections I et XIV de Cadenza et les sections I et VII de Mindfall ont été réalisées ; dans la clôture prévue du cycle, Gloria ! a été achevé. Différentes excroissances, dont At the Gates of Death, redistribué en 24 sections, et la première version de Vernal Equinox, décomposée dans l’ensemble du cycle, viennent compliquer et ramifier cette structure globale (Brian Henderson l’a fait remarquer : au stade du montage, Frampton procède par fragmentation des films tournés).

Si l’entame de Magellan est placée sous le signe de Duchamp, sa fin évoque le work in progress de James Joyce : Gloria ! cite deux comédies des premiers temps retraçant la légende de Tom Finnegan (qui met en scène la chute mortelle d’un ouvrier irlandais et sa résurrection lors de la veillée funéraire). La mariée mise à nu par ses célibataires, mêmes et Finnegan’s Wake (1922-1939) indiquent que Magellan est conçu comme l’équivalent filmique des monuments modernistes produits dans le champ des arts visuels et de la littérature. Par son ambition totalisatrice, Magellan s’inscrit dans la tradition de la poésie moderniste américaine : la structure du cycle répond à la logique compositionnelle et sérielle d’œuvres aussi imposantes que les Cantos (1915-1959) d’Ezra Pound, “A” (1928-1968) de Louis Zukofsky ou les Maximus Poems (1950-1969) de Charles Olson. Dans tous les cas, des citations et des épisodes conçus pour l’occasion sont fragmentés et redistribués dans un ensemble qui privilégie les conflits entre éléments juxtaposés sans marques de liaison. Frampton suggère lui-même un mode de structuration de son cycle : dans une interview accordée en 1977, il mobilise le modèle de l’encyclopédie, où l’ensemble des connaissances humaines est exposé et classifié par ordre alphabétique15. Les citations filmiques et les hommages artistiques structurent les fragments disparates de Magellan en une œuvre qui tente de faire l’inventaire de nos modes de perception et de classification des phénomènes. Le cycle procède par addition de fragments où le tour du monde se réduit à une opération de contrôle et d’ordonnancement du visible. Par conséquent, Frampton cède au mythe de l’œuvre d’art totale : il pense son film comme une opération de synthèse disjonctive qui accole et met bout à bout les multiples chutes d’un « film infini » tout en exhibant les rouages du montage.

Un fait demeure frappant : quand bien même Frampton aurait-t-il mené à terme son projet, on voit mal comment un spectateur pourrait assister à l’intégralité du cycle, sur une durée de 369 jours… S’il est coutumier de procéder ainsi dans les milieux de l’art conceptuel, où l’énoncé d’un projet peut suffire, il semblerait, en tout cas selon Brian Henderson, que Frampton ait envisagé une autre possibilité : Magellan aurait pu être diffusé par ordinateur, support sur lequel Frampton travaillait activement à la fin de sa vie. (Rappelons que le montage final du film aurait dû être réalisé sur support informatique.)

Hypothèses de lecture d’après quelques extraits de

Il est aisé de prendre acte de l’écart qui sépare un projet encyclopédique de sa réalisation trouée et lacunaire – et d’affirmer que le lieu propre de Magellan est l’espace de l’écriture théorique, voire d’une projection imaginaire où la carte à établir s’avère être à l’échelle du territoire à parcourir. Mais il est moins aisé, et certainement plus productif, de lire certains fragments réalisés et de les relier aux intentions de Frampton. Celui-ci, en mobilisant le pôle de la réception, affirme que le spectateur occupe la position du lecteur et de l’arpenteur du cycle : dernier lieu de refuge du sens, c’est à lui qu’incombe l’élaboration d’un discours à partir de fragments disparates. Je m’appuierai sur trois épisodes de Magellan pour proposer une lecture hypothétique du cycle : Mindfall I & VII (1977-1980, 42’), Straits of Magellan : Drafts and Fragments (1972-1974, 51’) et Otherwise Unexplained Fires (1976, 14’). Quitte à parfois perdre de vue leur inclusion dans une structure d’ensemble16, je m’appliquerai à mettre en évidence la logique interne de ces films et leurs implications.

Mindfall

En situation liminaire du cycle, Mindfall articule trois séries de motifs : des plans de paysages tropicaux, des éléments d’architecture espagnole autour de la ville de Porto Rico (le lieu de départ du second voyage autour du monde de Christophe Colomb), et des plans graphiques composés de formes géométriques élémentaires (ronds, triangles, bandes verticales et horizontales) ou complexes (spirales torsadées, parallélépipèdes qui s’ouvrent ou se referment) qui se détachent sur fond d’amorces noires ou de couleurs pures (vert, bleu, rouge). La bande-son, en position de contrepoint avec les images, monte des bruits de sirènes, d’engins mécaniques ou électroniques et d’accidents de voiture. Les motifs graphiques participent à une opération de suture et de transition entre les plans figuratifs. Ils répondent à une préoccupation que Frampton a énoncée dès ses premières demandes de bourse. Ainsi a-t-il pu écrire :

« L’un des éléments cruciaux de ce film sera également ce que je crois devoir être une nouvelle sorte de transition entre les ‹plans›. Il s’agira de créer, à partir de n’importe quel ‹plan› photographique, une composition purement graphique qui fera le lien avec le ‹plan› suivant, par des moyens plus proches de ceux de l’animation que de ceux du montage classique17. »

Et de fait, ces motifs graphiques, évoquant les moyens de l’animation électronique, concourent à suggérer un « présent perpétuel » qui défait nos points de repères temporels et mime le déroulement ininterrompu d’un « film infini » : le spectateur est incapable d’anticiper la nature du plan qui va suivre, de reconstituer les lois d’assemblage du film ; les amorces, qui ont une fonction de marques de ponctuation, participent à une opération d’indifférenciation des plans, de ravalement de leurs motifs.

Le film met en jeu différentes matrices organisationnelles. La structure rythmique de Mindfall répond au moins à trois paramètres qui déterminent les liens entre les plans. En premier lieu, Frampton met en place différents rapports de durée entre les plans : des photogrammes, difficilement identifiables et provoquant un effet de saute de l’image, sont intercalés tout au long du film ; les amorces graphiques sont dynamiques et brèves ; les plans de nature ou d’architecture sont plus longs et déclinent un nombre restreint d’éléments. Comme souvent avec Frampton, l’ordre de distribution de ces durées de plans suit une matrice qui se dérègle rapidement : au début, les photogrammes interviennent avant les plans graphiques qui introduisent systématiquement les plans figuratifs ; par la suite, les différents cadres s’entremêlent. En deuxième lieu, Frampton structure les plans selon l’opposition suivante : fixité des plans/mouvements de la caméra ; une seule couche d’image/surimpressions. Par rapport à ce dernier paramètre, on assiste à un phénomène de renversement : Mindfall I privilégie les plans simples, Mindfall VII les surimpressions. S’il n’y a aucune rigueur dans l’occurrence des surimpressions, celles-ci répondent à une logique propre : Frampton instaure une tension entre le recouvrement point par point et la déhiscence d’un motif dédoublé. En attirant l’attention sur la spécificité des formes projetées à l’écran, il frappe de soupçon l’identité et la permanence de ces motifs organiques et architecturaux. En troisième lieu, Frampton distribue les éléments de son film suivant une structure complexe de permutations et de combinaisons : à travers une poétique du ressassement et de la répétition dans la différence, Mindfall I privi-légie les plans de flore tropicale, Mindfall VII les plans d’architecture, en mettant en réseau des formes verticales, rectangulaires et triangulaires.

Peut-on enfin déterminer les enjeux de Mindfall ? J’en dégagerai volontiers deux. D’une part, en se focalisant sur deux axes paradigmatiques (des paysages tropicaux et l’architecture espagnole coloniale), Frampton se livre à une opération de brouillage du clivage entre les sphères de la nature et de la culture. Prenant à revers l’exotisme, l’attrait de la découverte et la propagation du progrès liés au voyage (la volonté de conversion des natifs au catholicisme cause la perte de Magellan : son voyage prend fin aux Philippines), Mindfall met à nu la contamination de la sphère de la nature par la culture (en évitant tout effet de carte-postalisme et tout appel à un retour à la terre). Plus même, en introduisant sur la bande-son des bruits urbains liés à la technologie occidentale, il fait intervenir le contexte du post-colonialisme : le cinéma, des vues Lumière aux documentaires lyriques ou romancés, apparaît comme un adjuvant du voyage (dans son opération de mise en boîte des images) et de l’apologie du progrès (conduisant à une acculturation et à une suppression des différences). D’autre part, Frampton, en assemblant différentes unités métriques de plans à travers des structures ouvertes, fait l’épreuve de la limite entre déterminations préprogrammées et accueil de l’aléa : Mindfall, dont le titre peut renvoyer à l’échouement de la flotte de Magellan, place l’ensemble du cycle sous l’enseigne de l’échec et d’une poétique du manque. Le Coup de dés (1897) de Mallarmé constitue peut-être l’improbable intertexte de cet épisode du cycle : un système combinatoire permet de relier non linéairement les plans entre eux, par apparentement et résonances ; plusieurs modes de lecture peuvent dès lors coexister, respectant le déroulement du film ou réagençant les plans en des configurations inédites ; et l’emplacement de chaque plan dans l’ensemble du film acquiert une importance structurelle (mimant la fameuse disposition typographique mallarméenne des vers sur la page). Et surtout, c’est « du fond du naufrage » que nous parvient ce texte filmique, affirmant et niant tautologiquement l’aléa (« un coup de dés jamais n’abolira le hasard » – que Mallarmé a pu parfois orthographier hazard, en référence au jeu de dés en arabe). Ainsi, malgré leur systématicité, les structures mises en œuvre s’ouvrent à une logique concurrente ; le film se réduit aux traces et vestiges d’un projet laissé à l’-abandon, dont les différentes pièces ne parviennent pas à s’imbriquer en une image logique du monde. Les nombreux plans de ressacs de vagues sur un rocher, écranisant le conflit entre « l’aïeul » et « la mer », et l’apparition finale de l’ombre du cinéaste, signant un cinéma désubjectivé et porté par une présence fantomatique (« RIEN N’AURA EU LIEU QUE LE LIEU »)18, semblent attester qu’au voyage tout-englobant s’est substitué un parcours partiel et erratique.

Straits of Magellan: Drafts and Fragments

Du corps central du film, Straits of Magellan (1972-1974), seules 49 vues (ou panopticons), sur les 720 prévues, ont été tournées. Dans ces conditions, on ne peut déduire aucun principe de liaison entre les plans, on ne peut induire aucune grille de distribution de ces « ébauches » et « fragments ». Il semblerait que Frampton ait conscience de cette limite : le titre du film, s’il renvoie à un détroit, peut aussi signifier une « situation difficile19 ». Tout au plus peut-on dresser une typologie de ces vues, qui sont toutes muettes, et énumérer un certain nombre de paramètres récurrents. Les indications de lecture que Frampton a suggérées sont impropres à rendre compte des panopticons réalisés. L’évocation des vues Lumière paraît métaphorique (les opérateurs, tout comme Magellan, ont effectivement couvert et parcouru la plupart des territoires du monde) et peut induire en erreur : ainsi, Bruce Jenkins ne donne comme exemple concret d’une citation des frères Lumière que le panopticon 40, où Frampton proposerait une variation sur La Démolition d’un mur (le silo d’une ferme est abattu) ; et il décrit les fragments comme constitués d’un plan unique (d’une durée d’une minute), ce qui est loin d’être le cas. Les citations reconnaissables sans équivoque proviennent d’ailleurs toutes de films de… Frampton, et en particulier de la section médiane de Zorn’s Lemma, composée de plans d’une seconde (vue 5 : le foyer d’un feu, vue 27 : un arbre dans un champ enneigé).

Une première opposition permet de départager les vues en deux ensembles : d’une part, une position fixe de la caméra et une vitesse constante de la prise de vue ; d’autre part, de légers recadrages ou des mouvements accentués de caméra et un filmage image par image. Ce clivage correspond à un degré zéro du mouvement, qui ne contredit pas la référence à Lumière, et à un effet de clignotement des vues, qui évoque le montage photogramme par photogramme. La même dualité est reconduite à l’intérieur des plans qui se focalisent soit sur des objets inanimés, soit sur des mobiles. Les mouvements (de la caméra ou à l’intérieur d’un plan) sont subdivisés en deux sous-ensembles qui peuvent communiquer. Un hommage à Back and Forth (1969) de Michael Snow synthétise ces deux aspects : la vue 21 s’ouvre sur un travelling latéral effréné qui déforme les contours d’un pré couvert de fleurs, et se clôt par un mouvement d’exploration verticale. La régularité des mouvements de la caméra ou d’objets à l’intérieur du plan reconduit le mouvement de va-et-vient d’un métronome, marquant le décompte du temps. Le neuvième panopticon thématise cet égrenage du temps qui défile, à la cadence d’une vue par minute : trois feuillets vierges d’un calendrier fixé au mur sont effeuillés par le vent ; le concept de temps s’inscrit dans ce plan sans qu’on puisse lui assigner de date précise ; une éphéméride non-assignable se substitue à la marque conventionnelle d’une ellipse temporelle.

Les deux autres principes de structuration des vues ont trait à la vision : Frampton joue d’une part sur les différents degrés de reconnaissance possible des plans et multiplie d’autre part les dispositifs de cadrage ou les renvois à des objets cinétiques (ainsi, la vue 20 cite la technique du thaumatrope20 : une main fait rapidement pivoter une étoile à neuf branches sur elle-même). Si le contenu visuel de certains plans se caractérise par sa relative pauvreté, d’autres par contre présentent simultanément différents centres d’intérêt ou s’inscrivent frontalement dans l’abstraction. La durée subjective des vues s’en trouve radicalement altérée : s’il est impossible de retracer le musée imaginaire projeté par Frampton (ou de retranscrire les intertextes inscrits dans Straits), le spectateur ne peut manquer de hiérarchiser la valeur des vues, en accordant un intérêt tout particulier aux plans métacinématographiques qui mettent en jeu des mécanismes liés au visionnage ou qui mettent en scène des paradoxes perceptifs. Différents cadres dans le plan visent à désautomatiser la perception et renvoient à des mécanismes précinématographiques. La vue 18, cadrant une rue à travers un orifice creusé dans un tronc d’arbre, évoque le dispositif du kinétoscope21, reproduisant la situation voyeuriste du peep-show. Le panopticon 34, présentant à travers une extrême contre-plongée le ciel et le haut d’un puits de forage, s’apparente à une photographie (seul le déplacement des nuages signifie le mouvement). Frampton joue par ailleurs sur les reflets et l’intermittence de la lumière. L’exemple qu’il commente, en se référant à H20 (1929) de Ralph Steiner, présente un bosquet d’arbres qui se reflète dans l’eau (vue 23) : comme il le fait remarquer, l’attention peut tour à tour se porter sur l’image reflétée, la surface d’eau elle-même et la tension entre ces deux modes de perception marquée par un léger tremblement de l’image22. Les mêmes dérèglements de l’attention peuvent être observés à travers le reflet d’une villa dans une piscine (vue 45) ou à travers une enseigne lumineuse clignotante (vue 15). Outre les différents contextes attachés à ces motifs, c’est-à-dire un espace naturel, une propriété privée et le domaine de la publicité, les effets induits par ces vues divergent : le spectateur doit tantôt faire un effort d’attention, tantôt se laisser porter par un mouvement d’absorption, tantôt se prêter au jeu de la distraction.

Le constat pourrait être celui d’un échec en demi-teinte. Frampton avait probablement l’intention de proposer une relecture de la culture cinématographique en tissant des liens entre les éléments historiques et génériques les plus distants, en éclairant à travers des raccourcis transhistoriques les axes constants d’une perception cinématographique. Mais l’incomplétude des matériaux tournés empêche le bon fonctionnement de cette logique associative. Tout au plus peut-on remarquer qu’il fait le tour des différents états de la matière (liquide, solide et gazeux) et qu’il établit un certain nombre de liens entre ses panopticons.

Mais un indice permet de relativiser cette lecture et d’indiquer une autre voie à travers une référence indirecte à la dernière œuvre de Duchamp, Etant donnés (1946-68). La vue 12, cadrant le foyer d’une cuisinière à gaz, peut renvoyer au deuxième énoncé « donné » par Duchamp, « le gaz d’éclairage ». On connaît l’intérêt de Frampton pour cette dernière œuvre, réalisée de façon posthume selon les indications de Duchamp. Différents systèmes de cadrage (une porte de bois à double battant, puis un mur de briques) et de visée (deux judas à hauteur d’œil, puis un trou perçé dans le mur) permettent de capter et diffracter l’objet de la représentation. Celui-ci est étagé en différentes profondeurs de champ : à l’avant-plan se situe un ravin couvert de broussailles, à l’arrière-plan un fond peint avec du ciel et des arbres, et entre-deux une cascade alimentée par un moteur ; au tout premier plan apparaît une femme nue, jambes écartées, qui tient à la main gauche un bec de gaz allumé, cadrée de telle sorte que ses pieds, sa tête et sa main droite demeurent hors-champ. Cette canalisation et ce blocage de la vue (la pièce ne peut être photographiée, elle ne peut qu’être décrite verbalement, insiste Frampton), ce jeu de titillation et de frustration du regard, caractérisent assez précisément le dispositif des panopticons. Mais il y a plus encore. Frampton remarque que la plupart des commentateurs omettent un détail paradoxal (la femme a bien une touffe de poils sous le bras, mais est dépourvue de poils pubiens) qui lui paraît renvoyer à « l’énigme du cadre », c’est-à-dire au « cadre comme un modèle étrange, à la fois négatif et positif, de la conscience humaine »23. Au risque de céder à un mouvement d’extrapolation, j’affirmerai volontiers que la lecture que propose Frampton de Etant donnés : 1o) la chute d’eau ; 2o) le gaz d’éclairage peut valoir comme un interprétant de Straits of Magellan. En premier lieu, il est impossible d’attribuer une identité stable aux vues et à leur assemblage : les plans s’apparentent à des traces cryptiques d’un paysage mental que l’on ne parvient plus à reconstituer. En second lieu, l’irréductibilité des vues à des phénomènes stables tend à excentrer l’auteur de son œuvre, à lui dénier toute prétention à parler à la première personne. Et c’est par rapport à cette situation que la vue 48 prend tout son sens : dans un panoramique circulaire effréné, Frampton signifie sa présence à travers son reflet inscrit en négatif ; cette ombre du sujet rattache le projet Magellan à un cinéma post-auctorial et désubjectivé. Toute trace d’énonciation personnelle s’efface face à un vaste panorama des dispositifs filmiques attribué à un voyageur depuis longtemps disparu.

Otherwise Unexplained Fires

L’un des films les plus sertis et aboutis du cycle, dont l’identification à l’intérieur de la matrice calendaire de Magellan demeure incertaine, conjoint la plupart des préoccupations de Frampton. Otherwise Unexplained Fires (1976) rend hommage à une technique pré-cinématographique, intègre un film des premiers temps, distribue les séquences selon une grille métrique et met en avant une dominante formelle. Le film fait référence à la série On Animal Locomotion (1878) de Muybridge : les mouvements sont décomposés et fragmentés à travers un montage extrêmement élaboré, et les motifs cadrés dans le film font l’objet d’une étude analytique du mouvement. Une citation d’un métrage des premiers temps, présentant une démonstration scientifique (deux hommes font l’expérience d’un phénomène de combustion), ouvre et clôt le film. Des amorces rouges (de quelques photogrammes) et noires (d’un photogramme) sont intercalées, produisant respectivement un effet de clignotement de l’écran et de saute de l’image. Quatre éléments sont distribués dans le corps central du film : (a) un jouet articulé représentant un cheval stylisé (et son cavalier, la plupart du temps masqué par la limite du cadre), monté en alternance avec des arbres aux contours sculptés par la pression du vent ; (b) des flammes (tantôt un foyer au-dessous d’une surface grillagée, tantôt l’extrémité d’une flamme vacillante) ; (c) des coqs dans une basse-cour. Le film respecte une structure métrique classique (a-b-a-c/a-b-a-c), avant d’entrelacer les différents motifs (a+b+c) et de s’attarder sur le dernier (c). Le montage, heurté et dynamique, morcelle le film en brefs fragments qui rompent la continuité des mouvements.

Frampton, en filmant l’armature d’un cheval, détourne les analyses du mouvement entreprises par Muybridge : le déplacement du cheval, décomposé en ses différentes phases, est retranscrit à l’écran ; mais le montage, qui s’accélère de plus en plus, impose un mouvement de saute entre les images qui perturbe la représentation naturaliste d’un déplacement apparent à l’écran. Les plans d’arbres, mis en relation avec ce motif, exhibent à travers leurs formes torturées les conséquences d’une exposition à la pression constante du vent. Les coqs, qui sont reliés au motif du cheval lors de l’intrication des différentes séries de plans, naturalisent ces études du déplacement : c’est à travers les décadrages incessants de la caméra, tenue à l’épaule, que ces animaux deviennent le support d’une trajectoire erratique et frénétique. Les amorces rouges, oranges et bleutées, tout comme la crête des coqs, cadrée de façon récurrente, font le lien entre les différentes séquences et prolongent le motif de la flamme, introduite dès l’ouverture du film par le métrage d’une expérience scientifique.

Otherwise Unexplained Fires correspond aux attentes que la description du projet Magellan peut susciter : un nombre limité de matériaux sont assemblés en fonction d’un principe unifiant (la technique de la chronophotographie) ; leur articulation répond à des schèmes organisationnels (une structure d’ensemble entrelacée, une distribution des séquences par rimes puis par chevauchement, une accélération progressive du rythme du montage) ; et le film, dans son déroulement, acquiert la densité d’un fragment resserré sur lui-même. Deux suppositions viennent à l’esprit : l’ensemble du cycle devait s’apparenter à la structure de cet épisode ; le cycle comprend quelques heureux accidents qui ne sont pas dépourvus de logique autonome.

Le hors-champ du cinéma

Hollis Frampton, avec son dernier projet épique, voulait reconfigurer le champ cinématographique et reléguer l’ensemble des films tournés, à quelques rares exceptions près, en dehors de l’enceinte de l’art du cinéma, tel que défini et réalisé par Magellan. Mais pour que cette entreprise déraisonnée ait une quelconque chance non pas d’aboutir, mais disons de fonder les conditions de possibilité d’un métacinéma, encore eût-il fallu englober l’ensemble des pratiques filmiques actualisées et potentielles ou, plus exactement, refaçonner téléologiquement l’histoire du cinéma. Au mieux, c’est à une parabole que l’on assiste : à l’affirmation d’un cinéma qui mobilise l’ensemble de ses dispositifs techniques (montage photogrammique, mise en boucle de l’image, surimpressions, etc.) et qui explore les différentes modalités de constitution du film (mode de représentation primitif et institutionnel, relecture du cinéma des premiers temps : bref, un work in progress qui intègre différentes modalités de tournage et de montage). Dans les faits, c’est peut-être au mécanisme inverse que l’on assiste : Magellan se positionne en dehors du champ cinématographique, ou plus précisément fait appel à un certain nombre d’occurrences et de formes filmiques, de références et d’intertextes cinématographiques, mais tout aussi bien artistiques et littéraires, qu’il faut projeter sur l’ensemble du cycle pour qu’il fasse sens. Autrement dit, Magellan est un objet littéralement aberrant, en attente d’une contextualisation et d’un faisceau de liens qui l’éclaireraient. Mais ceci ne peut être énoncé que dans une perspective métahistorique ou métafilmique. Si l’on dénie à Frampton le privilège douteux de se situer hors du champ cinématographique, il en va tout autrement.

Il est possible d’échapper aux apories d’un cinéma conceptuel (qui représente, répétons-le, une contradiction dans les termes) si l’on envisage chaque fragment du cycle comme un objet spécifique dont il s’agit d’évaluer les effets sur le spectateur. Mindfall et Otherwise Unexplained Fires supportent la densité du fragment, l’éclat de l’ordre fractal : les paramètres formels du film s’autonomisent, le spectateur pressent, mais peine à reconstituer les règles d’assemblage des plans. Ces films se refusent à toute contemplation, toute absorption : le spectateur se trouve dans la position du décrypteur de hiéroglyphes ; mais les couches du palimpseste se superposent et se recouvrent, au point d’effacer le motif et de dénier toute prise à l’analyste. Straits of Magellan s’apparente à une œuvre à clef à laquelle tout accès est barré : si l’on mobilisait le modèle de la cartographie cognitive, on pourrait avancer qu’on se retrouve face à une carte dont les légendes et les tracés demeurent radicalement indéchiffrables. L’effet est déceptif, pour ne pas dire improductif. Non seulement le film est désubjectivé – mais en plus le spectateur ne peut prendre part à ce processus d’incommunication.

À ce point, la notion du hors-champ (pour autant que l’on s’entende sur ce que le terme « champ » recouvre) devient décisive. Etant donnés : 1o) le champ du cinéma, 2o) les pratiques de l’art contemporain, Magellan se tient entre ces deux pôles qui parfois communiquent, parfois présentent une altérité irréconciliable. À se situer dans le champ cinématographique, Magellan apparaît comme une œuvre monstrueuse qui procède par déploiement tentaculaire de formes filmiques qui tantôt se fixent, tantôt se délitent. À se situer dans le champ de l’art processuel, Magellan apparaît comme une œuvre à codages multiples qui tantôt rencontre (ou rend compte) des dispositifs cinématographiques, tantôt excède les limites de la constitution des plans en un film cohérent. Entre deux se rétracte et s’étend l’objet Magellan

1 Le Festival Archipel, qui a lieu chaque année à Genève, est consacré à la musique contemporaine. Lors de la dernière édition (du 30 mars au 6 avril 2003), l’accent portait sur la musique minimaliste nord-américaine, avec l’invitation entre autres de Tom Johnson, Alvin Lucier, James Tenney et Phil Niblock. C’est dans ce cadre que s’inscrivait une présentation partielle du cycle Magellan de Hollis Frampton.

2 Hollis Frampton, L’écliptique du savoir, éd. A. Michelson, J.-M. Bouhours, Centre Georges Pompidou, Paris, 1999. Reprise partielle de Circles of Confusion, éd. A. Michelson, Visual Studies Workshop Press, Rochester, 1983.

3 Le livre de conversations écrites avec Carl Andre et la série de photographies intitulées The Secret Life of Frank Stella en témoignent. Cf. Carl Andre et Hollis Frampton, 12 Dia-logues, 1962-1963, éd. Benjamin H.D. Buchloh, The Press of the Nova Scotia College of Art and Design-New York University Press, Halifax-New York, 1980.

4 Rappelons que Frampton, qui a rencontré Ezra Pound à l’Hôpital St. Elizabeths, a rapidement renoncé à l’écriture poétique.

5 Cité par Annette Michelson, in Hollis Frampton, L’écliptique du savoir, op. cit., p. 12.

6 Hollis Frampton, « Pour une métahistoire du cinéma » (1971), L’écliptique du savoir, op. cit., p. 109.

7 Voir Hollis Frampton, « Proposition » [circa 1972], L’écliptique du savoir, op. cit., p. 174-175. D’un appel de fonds à l’autre, les déclarations d’intention de Frampton demeurent étrangement constantes : en 1976 [circa], il expose son projet en reprenant quasi mot pour mot la même description. Cf H. Frampton, « Statements of Plan » [circa 1976], Anthology Film Archives, New York, s.d., cité par Brian Henderson, « Propositions for the Exploration of Frampton’s Magellan », in October, no 32, printemps 1985, p. 140.

8 Bill Simon, « Talking about Magellan: An Interview with Hollis Frampton », in Millenium Film Journal, no 7-9, automne-hiver 1980-1981, cité par Brian Henderson, « Propositions for the Exploration of Frampton’s Magellan », op. cit., p. 141.

9 La phénoménologie élargie de Max Loreau s’origine dans un texte de fiction qui déroule en une longue phrase rythmée et syncopée le surgissement du cri, déchirant les apparences et en reformant la trame. Par la suite, Loreau écrit un essai systématique constituant une introduction à sa méthode de la différence phénoménologique. Mais il n’a pu mener à terme son grand-œuvre, resté à l’état d’ébauche. Cf. Max Loreau, La genèse du phénomène. Le phénomène, le logos, l’origine, Minuit, Paris, 1989 et M. Loreau, Cri – Éclat et phases, Gallimard, Paris, 1973.

10 Loreau prend entre autres pour cible le soi-disant tournant opéré par Martin Heidegger dans Etre et Temps, qui constitue selon lui un mouvement de détermination de l’être-là (Dasein) à partir de l’étant. Dès lors, il propose de substituer au mot d’ordre de Husserl (« retour aux choses ») un « retour aux textes » fondateurs de la philosophie, qu’il cherche à réarticuler en une pensée ouverte et fictive après avoir mené une critique radicale de leurs fondements onto-théologiques.

11 Hollis Frampton, « Une conférence » (1968), L’écliptique du savoir, op. cit., p. 122.

12 Bruce Jenkins, « Late Works », in Hollis Frampton. A Film Retrospective, Albright-Knox Art Gallery, New York, 1984, p. 4.

13 Frampton a complété ce calendrier le 21 décembre 1978. Pour un compte rendu et une explication de l’organisation du cycle, voir Brian Henderson, « Propositions for the Exploration of Frampton’s Magellan », op. cit., p. 129-150.

14 Dans une demande de bourse, Frampton décrit les films de Straits of Magellan comme « un hommage aux tout débuts du film, au protocinéma des frères Lumière ». Voir « Statements of Plan », cité par Bruce Jenkins, « The Red and The Green », in October, op. cit., p. 87.

15 Mitch Tuchman, « Frampton at the Gates », in Film Comment, vol. 13, no 5, septembre-octobre 1977, p. 58.

16 Frampton, dans une lettre à Jonas Mekas, se plaint du mauvais accueil qui a été réservé à la projection d’extraits de Drafts and Fragments au Millenium en 1974 : en récusant le terme de footage avancé par Mekas, renvoyant à des « images non montées », il affirme que les fragments projetés ce soir-là constituent des « images amateur » toutes « composées avec soin » qui s’intègrent dans un ensemble plus vaste que les spectateurs n’ont pas été à même de percevoir. Cf. Hollis Frampton, « Lettre à Jonas Mekas » (21 avril 1972), reproduite dans L’écliptique du savoir, op. cit., p. 179-182.

17 Hollis Frampton, « Proposition », L’écliptique du savoir, op. cit., p. 176.

18 Stéphane Mallarmé, « Un coup de dés… », Œuvres complètes, Pléiade, Paris, 1961, p. 457-477.

19 Le sous-titre du film renvoie évidemment aux derniers Cantos publiés du vivant de Pound. Cf. Ezra Pound, Drafts & Fragments of Cantos CX-CXVII, New Directions, New York, 1969.

20 Le thaumatrope, jouet optique pré-cinématographique conçu par le docteur Paris et Fitton en 1826, provoque la superposition visuelle des deux faces d’un disque en rotation rapide. L’exemple le plus souvent cité représente un oiseau et une cage, mais nombre d’autres motifs ont été exploités. Pour une illustration aux connotations sexuelles des plus explicites, voir l’article sur Werner Nekes dans le dossier « Hors-champ » de ce numéro.

21 Le kinétoscope, appareil forain conçu puis commercialisé par Thomas A. Edison à partir de 1893, permet le visionnage individuel de films tournés avec le kinétographe. Variation sur le modèle de la machine à sous, le kinétoscope fait défiler continûment derrière un oculaire une boucle d’environ vingt mètres de film.

22 Mitch Tuchman, « Frampton at the Gates », op. cit., p. 58.

23 Voir Peter Gidal, « Interview with Hollis Frampton », in October, n 32, printemps 1985, traduit dans Les Cahiers du Musée National d’Art Moderne, n 61, automne 1997, p. 66-67. L’entretien est daté du 24 mai 1972.