Der Kluge reist im Zuge
Cet article a été réalisé dans le cadre d’une recherche soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, menée au Seminar für Filmwissenschaft de l’Université de Zurich sous la direction de Margrit Tröhler, intitulée : « Vues et points de vue : vers une histoire du film documentaire en Suisse, 1896-1964 ».
Remerciements : Martin Vogt (SBB-Historic) ; Cinémathèque suisse.
L’efficacité du slogan Der Kluge reist im Zuge (et le fait qu’on s’en souvienne encore actuellement !), témoigne de l’inventivité des campagnes publicitaires menées par les Chemins de fer fédéraux. Encore aujourd’hui, les affiches et les spots publicitaires font preuve d’une recherche approfondie dans le marketing et la construction de l’image de cette entreprise1. D’une part, on a fait appel à des artistes renommés pour certaines campagnes, d’autre part, on a établi des stratégies en vue d’attirer l’attention de publics cibles. Ce souci de visibilité s’établit dès la création des CFF2. Poursuivant les activités du « Syndicat des intérêts de la Suisse romande et du Jura-Simplon », un « Service de la publicité des chemins de fer fédéraux » est institué en 19023. A son initiative, des brochures publicitaires sont publiées, des annonces sont insérées dans la presse nationale et internationale, et des campagnes d’affichage attirent l’attention des passants dans les gares et autres lieux de passage. Ainsi, pour mener une camapagne qui plaise d’emblée au public, un concours d’affiches est lancé en 1903. L’exposition des 257 projets retient l’attention de la presse et d’un vaste public. Des peintres renommés, comme Edmond Bille, se sont d’ailleurs prêtés au jeu du concours4. Les affiches réalisées à cette occasion sont encore souvent exposées ou reproduites dans des ouvrages consacrés aux CFF ou à l’art de l’affiche.
Le rôle joué par les CFF dans le domaine du cinéma est par contre largement méconnu actuellement. Pourtant, l’action du Service de publicité des CFF a été très importante en ce qui concerne le domaine cinématographique. Un catalogue de films a ainsi été établi, comportant plusieurs dizaines, voire centaines de films, la plupart réalisés à la demande même des CFF. Ils ont connu en outre une large diffusion et certains sont encore utilisés sous forme d’images d’archive dans des films ou des émissions télévisuelles consacrées aux CFF. Cette production revêt une importance particulièrement grande dans la mesure où elle a servi à dresser une géographie imaginaire de la Suisse et a largement contribué au développement d’un sentiment d’appartenance nationale. Le Service de publicité des CFF est d’ailleurs un des organismes qui se voit confier par l’Etat une mission de rassemblement et d’affirmation nationale au moment de la mise en place d’une politique de Défense spirituelle5. A l’occasion de l’Exposition nationale de Zurich en 1939, les CFF ont ainsi commandé une grande fresque à Hans Erni : Die Schweiz, das Ferienland der Völker. Un nouveau modèle de locomotive y est présenté qui sera alors désigné comme la « Landi-Lok ». Considérée comme un des clous de l’Exposition, elle est admirée comme une prouesse technologique nationale, cette machine étant alors la plus puissante du monde6. Au vu de ces différents éléments, il a paru particulièrement intéressant d’examiner – du moins partiellement, seules quelques dizaines de titres étant conservés à l’heure actuelle – la production du Service de publicité des CFF, et plus généralement des compagnies ferroviaires en Suisse7.
Le train, une machine de vision
Parmi les premières vues tournées en Suisse, l’une, prise par un opérateur Lumière, porte le titre explicite : Zermatt : Panorama dans les Alpes8. Le film consiste en une prise de vue sur les pentes bordant la voie ferrée. Dans les années qui suivent, les compagnies cinématographiques ont dépéché de nombreux opérateurs qui ont recouru au même stratagème, plaçant la caméra sur un train. De Vernayaz aux gorges de Triège est une bande Gaumont de 1910 qui suit le paysage entre ces deux lieux, la caméra étant placée à l’avant du train9. C’est justement ce terme de « vue » que Tom Gunning reprend pour qualifier l’esthétique de ces bandes documentaires qu’il rattache à un cinéma des attractions10. Le terme de « vue » qualifierait l’attraction de scènes non-arrangées qui se caractériserait par leur insistance sur la monstration (act of display) et la satisfaction de la curiosité visuelle. Comme le souligne l’historien américain, ces films miment l’acte de l’appropriation visuelle, la caméra pouvant notamment être installée à l’avant du train, pénétrant ainsi l’espace parcouru et dynamisant considérablement le film en offrant une transformation permanente de l’espace traversé. La fascination exercée par ce type d’images en mouvement constitue une constante des films ferroviaires. Dans le film Arriverai 19h12, Pierre (1944), de longs segments font défiler un paysage enneigé que traverse le train menant Pierre de Zurich à Lausanne. Plus récemment, en 1961, Charles Zbinden a tourné un film en Cinémascope qui suit la ligne du Gothard où le paysage situé entre le Tessin et Lucerne défile11. Si l’on suit les analyses de Wolfgang Schivelbusch, la pose de voies ferrées introduit un nouveau régime de vision pour les voyageurs. Répondant à un parcours prédéterminé temporellement et géographiquement, le train impose un rythme de vision et définit un ensemble visible. Schivelbusch écrit :
Le ravissement du paysage par une ligne de chemin de fer est, en réalité, le ravissement du paysage par l’ensemble machinique. Autrement dit, ce dernier se glisse entre les voyageurs et le paysage. Le voyageur perçoit le paysage à travers lui.12
La perception du paysage est ainsi déterminée par l’emplacement de la voie et la vitesse du déplacement, autrement dit l’horaire. La fenêtre appose un cadre sur ce qui est perçu et devient panoramique, pour reprendre le terme utilisé par Schivelbusch, exprimant ainsi que le paysage est perçu en mouvement. La caméra en empruntant alternativement la place du conducteur ou du voyageur, s’insère dans cet ensemble machinique qu’elle double, en en permettant l’enregistrement et la re-duplication ultérieure lors de la projection.
Films de train
Ces images prises à partir de trains sont principalement le fait de compagnies cinématographiques françaises, allemandes et italiennes. Ce phénomène se poursuit durant les années 1910. Il est relayé dès 1914 environ, par les premières sociétés cinématographiques locales, comme Eos à Bâle13. Cette entreprise va tourner Die Arosa-Bahn. Von Chur nach Arosa qui se déroule selon un même mode filmique14. Réalisé quelques années plus tard, le film Montreux et le chemin de fer Montreux-Oberland-Bernois correspond encore largement au même système formel. Toutefois, certains éléments stylistiques varient : la longueur des plans est nettement plus variées dans le film des années 1920. En outre, nous assistons à une véritable mise en scène du regard. Plutôt que d’apparaître comme naturelle et détachée, la vision qui parcourt le paysage dans Montreux et le chemin de fer Montreux-Oberland-Bernois est rattachée à la figure de voyageurs. En effet, la caméra revient à plusieurs reprises sur les voyageurs qui contemplent le paysage qui s’offre à la vue quand on emprunte cette ligne. Il y a donc une forme de « subjectivisation » de ces vues paysagères. Cette figure recèle une double signification. D’une part, elle cherche à authentifier ce qui est montré : le spectateur du film voit bien la même chose que ceux qui empruntent cette ligne ferroviaire. D’autre part, elle authentifie la beauté de ce paysage : si les voyageurs se tournent ostensiblement vers la fenêtre, c’est que ce qu’ils regardent avec une attention si soutenue mérite effectivement d’être vu. Annette Deeken a souligné la permanence des traits aussi bien formels que thématiques de ces films de voyage15. Ce sont les mêmes motifs qui apparaissent dans des films réalisés en divers lieux du globle, mais suivant des pratiques filmiques apparentées.
L’usage du cinéma
En l’absence d’archives16, il est difficile de connaître la date à laquelle les CFF ont recouru aux films pour assurer leur publicité. Les rapports annuels ne mentionnent que relativement tardivement leur usage. En Suisse, une des premières organisations à avoir recouru systématiquement au film est l’Office national suisse du tourisme, chargé de faire la promotion touristique de la Suisse dès 1917. Cet organisme s’appuie sur le film pour l’organisation de conférences et fait réaliser un certain nombre de films. Mais, suivant ses statuts, cette activité doit se tourner exclusivement vers l’étranger. Le Service de publicité des CFF développa ainsi son propre service, tourné aussi bien vers le pays que vers l’étranger. En 1927, on annonce avoir « créé 7 nouveaux films dont les agences de New York, de Londres et de Vienne ont reçu chacune une série de copies »17. Cette publicité tournée vers l’étranger conduit les CFF à fournir en 1928 à une grande compagnie anglaise de navigation une « vingtaine de films de paysages suisses ». Dès 1929 au plus tard, l’agence berlinoise des CFF importe une série de films qui comporte des titres réalisés par des cinéastes ou des sociétés cinématographiques suisses comme Film-Propaganda (Bern) avec Schweizer Käse en 1929, Das schöne Berner Oberland et Wintersport im Berner Oberland en 1931 ; l’Office cinématographique (Lausanne) (Wintersport in der Schweiz ; Die schöne Schweiz) en 1931 ; Praesens (Zurich) (Zürich und Zürichsee), en 1931 toujours. Dès 1935, des films en 16 mm seront aussi envoyés en Allemagne comme Zermatt das Paradies des Wintersportes de C.G. Duvanel, Gotthardfahrt (Photogeschäft Paul Karg, Bern), etc.
Cette publicité destinée à montrer les beautés du pays à l’étranger reflète bien un usage du cinéma comme moyen de propagande, suivant les termes utilisés alors. On parlerait de nos jours de publicité. Les films sélectionnés indiquent cependant une publicité que l’on pourrait qualifier d’indirecte : aucun des films ne présente à proprement parler les activités des CFF. Les films sont axés autour de régions ou d’activités considérées comme caractéristiques et susceptibles de susciter la curiosité de voyageurs potentiels. La présentation des films était généralement intégrée à des conférences et constituait un circuit parallèle à celui des salles commerciales. Le parallélisme des activités menées par les CFF et l’Office central suisse du tourisme conduit les autorités fédérales à regrouper l’action de ces deux instances18. Dès 1941, les activités menées à l’étranger par les CFF sont abandonnées au profit de l’Office national suisse du tourisme.
Les films produits à la demande des CFF
S’il n’a pas été possible de repérer le premier film réalisé à l’initiative des CFF, nous pouvons néanmoins identifier quelques bandes tournées à l’initiative de la régie fédérale dans les années 1920. Un film, actuellement en cours de restauration, connu sous le titre de Die Elektrifikation der SBB, est manifestement produit à l’instigation des CFF19. Les Archives CFF (SBB-Historic) à Berne conservent une cartothèque qui comporte une liste d’une douzaine de films muets en 35 mm, malheureusement non identifiés. Un catalogue de films documentaires parus en 1931 nous donne de précieux renseignements sur les films acquis par les CFF. On y trouve 9 films appartenant aux CFF, produits principalement par l’Office cinématographique. Ils concernent avant tout les régions touristiques de la Suisse et des activités typiques20. Outre cette production à large visée, le Service de publicité avait encore de nombreux autres films, concernant notamment l’électrification et le développement technico-industriel (Brown-Boweri a fait tourner par Eos Montage einer SBB-Lokomotive ; Elektrification der Gotthardlinie qui devait certainement aussi figurer au catalogue des CFF). L’importance donnée à l’électrification des lignes est considérable, comme en atteste le fait que les CFF possèdent encore d’autres films en format réduit qui traitent de ce changement. La Première guerre mondiale avait en effet mis en évidence la dépendance énergétique de la Suisse, obligée d’importer du charbon en masse. Pour assurer l’indépendance du pays, les autorités fédérales se décident à électrifier les lignes en 1916. Les premières locomotives électriques circulent en 191921. La présence de ces lignes électriques, et l’effort nécessaire à leur pose, sont soulignés dès ce moment par de nombreux films. On trouve ainsi dans Vers les cimes de Charles G. Duvanel un passage où le paysage bordant la ligne menant à Zermatt apparaît derrière un pantographe. Plus loin, on nous montre qu’il convient, la ligne étant démontée en hiver, de réinstaller les câbles chaque printemps. La prouesse technique que représente l’électrification des lignes comme celle du Gothard est soulignée par de nombreux titres, consacrés à l’industrie électrique ou au développement ferroviaire. Un même discours est à l’œuvre dans ces films : c’est par souci d’indépendance qu’on a préféré installer des lignes électriques alimentant les trains. La pose de ces lignes atteste des compétences techniques développées dans le pays. Le film Les voyages de jadis à aujourd’hui. Les chemins de fer suisses au cours d’un siècle [1944 ?] d’Adolf Forter illustre le lourd travail que nécessite la pose d’un câble, notamment les changements de rails, pour permettre le passage des locomotives électriques, plus lourdes.
Ces films illustrent les relations complexes qui unissent les spectateurs aux paysages locaux. Ils les donnent à voir comme un espace qu’il est possible de parcourir grâce au triomphe du rail qui a su dompter les contraintes naturelles. Nous pouvons d’une certaine manière les assimiler à un film contemplatif comme Im Banne der Jungfrau (fin des années 1920) qui dépeint les beautés de l’Oberland bernois, tout en y ajoutant un aspect laborieux qui le rapproche du film industriel. Autant que la beauté du paysage, c’est l’effort humain qui est mis en avant. Certains films franchissent un pas supplémentaire vis-à-vis de cette argumentation : si la nature dresse effectivement des obstacles au passage des trains, elle permet également leur passage au prix d’un effort imaginatif supplémentaire. C’est ce que démontre Forces domptées (1938), un film réalisé par Charles G. Duvanel à la demande de l’Office suisse d’expansion commerciale. Montrant la force de l’eau ruisselant des montagnes vers la plaine, le film démontre que c’est grâce à la transformation de cette énergie en électricité que les trains peuvent regagner les sommets : le film se termine sur une vision du Cervin au pied duquel avance un train – électrique, il va de soi. Il démontre ainsi la victoire de l’esprit sur la matière, tout en y ajoutant un aspect quasi mystique22.
Nous retrouvons ce type de démonstration unifiant paysage et élan national dans un film passé à la Landi de Zurich, Grande activité au CFF qui expose les efforts déployés par les CFF pour permettre de gagner les stations hivernales. Les trois cartons finaux résument le message du film : « Quittons la grisaille des jours monotones… / pour la montagne enchanteresse, / pour le sport et le repos. » Les habitants (des villes) peuvent gagner ainsi les montagnes qui leur permettent de se ressourcer… Les trains contribuent au bien-être de la population et participent à un discours hygiéniste faisant appel à un peuple sain, prêt à affronter des conditions difficiles. Plus prosaïquement, il s’agit aussi de regagner les touristes des pays avoisinants, toujours moins nombreux.
Films anniversaires
Les CFF, à l’occasion de certains jubilés, commanditent des films. Ceux-ci illustrent l’évolution des attitudes à l’égard de la place de la Suisse sur le continent. Ainsi pour le 50e anniversaire de la ligne du Gothard réalise-t-on Vers le Sud, qui n’a pas encore été retrouvé. En 1947, Walter Kägi tourne Il y avait une fois… dont le sous-titre indique clairement l’intention : Voyage commémoratif du centenaire des chemins de fer suisses. A l’occasion du centenaire de la première ligne ferroviaire installée en Suisse, reliant Zurich à Baden, un ancien train à vapeur circule sur ce parcours et embarque des passagers en costume d’époque. Le commentaire insiste sur le progrès qu’a représenté l’arrivée de ce nouveau moyen de transport. La même année Voyage dans le passé (André Gug, 1947), insiste sur le rôle des CFF dans la défense du pays pendant la Deuxième Guerre mondiale, tout en évoquant de façon plus générale l’histoire des CFF : ils restent au service du peuple, même en temps de guerre. En 1956, à l’occasion du cinquantenaire de son ouverture, Charles G. Duvanel réalise Le Simplon. Le film rappelle la conquête du passage des Alpes par Napoléon et la découverte de leur beauté par Rousseau. Le percement du tunnel permet la jonction entre le Nord et le Sud, assurant à la Suisse un rôle de trait d’union entre les pays frontaliers.
Une production qui se diversifie
Toujours à l’occasion du centenaire des CFF, la commande d’un film d’animation est passée à Julius Pinschewer23. 100 ans de chemins de fer suisses évoque la transformation des chemins de fer en recourant au motif de la course du lièvre, qui se gausse du chemin de fer à vapeur, mais que le train électrifié laisse sur place. Le film insiste aussi sur la capacité renforcée du transport aussi bien des voyageurs que des marchandises. Ce souci de toucher à différentes techniques trouve un écho lointain dans un film des années 1970, Mein Wagen (Central-Film), où un personnage (en ombre chinoise) s’inscrit sur des paysages qui défilent alors qu’il rend compte, comme dans une conversation téléphonique, des avantages de sa voiture, en fait ferroviaire, « confortable, ponctuelle, sûre ».
Les CFF développent, à partir des années 1940, une abondante production en format réduit (16 mm). Les cinéastes Armin Schlosser et Paul Schmid tournent ainsi différents films consacrés à des régions de Suisse, comme Im Zürcher Oberland (A. Schlosser, années 1940) ou Graubünden, das Land der 150 Täler (Paul Schmid et Georges Margot). Tournés en 16 mm, de format muet et en couleurs, ces films, dont la durée oscille entre 15 et 40 minutes, présentent avant tout les régions du pays. Si l’on aperçoit chaque fois des trains traversant lesdites contrées, les films n’en constituent pas moins principalement des reportages sur les monuments historiques et les principales activités de ces régions. Les châteaux, les églises et les travaux agricoles sont particulièrement appréciés. Ces films cherchent à entretenir un rapport de proximité avec les éléments montrés sans véritablement manifester de souci d’unité. On y recherche avant tout le pittoresque, voire le mignon (comme un petit enfant se trempant les pieds dans un lac). Bien que d’une facture très amateur, ces films ont néanmoins largement circulé, tant à l’initiative des CFF, qui avaient installé un wagon cinématographique pour assurer prises de vue et projections, que grâce à des prêts, notamment à l’association La Semaine suisse qui organisait de très nombreuses conférences en faveur de l’économie nationale et plus généralement du pays, ainsi que dans les écoles. Des cartes conservées au SBB-Historic révèlent la circulation de certains de ces films : ce sont principalement les instituteurs qui en font usage pour illustrer leurs leçons de géographie et d’histoire.
Dans cette même perspective (tournage en 16 mm, généralement sans bande son), de nombreux films à orientation professionnelle sont aussi réalisés : plusieurs titres sont consacrés aux métiers CFF comme Der Lokomotivführer : Ausbildung und Beruf [Hans Zickendraht, 1952 selon les indications de la Cinémathèque suisse de Lausanne] ou à des éléments plus techniques comme Die SBB Standard Palette (prod. Charles Zbinden, réal. Herbert E. Meyer, début des années 1950) qui montre l’utilité des palettes de bois pour le transport des marchandises. Cette production semble avant tout destinée aux employés de la régie ou à leurs clients « professionnels ». Enfin, certains films ont été tournés pour rendre attentif le public aux activités multiples menées par les cheminots, notamment Männer der Schiene (Adolf Forter, Hans Zickendraht, 1944) qui montre ces travailleurs menant sérieusement et efficacement leurs difficiles tâches (changement de rails, pose de câbles, dégagement des voies, tranport de marchandises, etc.).
Fictions
Dès les années 1940 aussi, apparaît une production plus prestigieuse confiée à des sociétés cinématographiques commerciales comme Pro Film ou Praesens. Il s’agit de courts métrages joués avec des narrations passablement développées. Arriverai 19h12, Pierre (Pro Film, 1944) développe une brève histoire : le jeune employé Pierre avertit par télégramme sa vieille mère à Lausanne de son arrivée depuis Zurich, au moment des fêtes de fin d’année. Une forme de suspense est construite sur la traversée de cet espace couvert de neige. Un employé remarque une fissure sur la voie ferrée : une équipe s’active pour la réparer. Grâce aux efforts déployés, le train arrive à l’heure exacte en gare. On recourt donc à la fiction pour montrer les efforts nécessités par le passage des trains, comme le déblaiement des voies, la maintenance des rails, etc. Dans la même veine, Wir bereiten eine Reise vor (Pro Film, 1945 ?) montre les préparatifs d’une famille zurichoise qui décide de passer ses vacances au Tessin. Les cartes familiales abaissent le coût du trajet et permettent à toute la famille de gagner le Tessin.
Réalisés quelques années plus tard et en couleurs, deux courts métrages représentent une option clairement narrative et fictionnelle. On brode autour de scénarios mettant en scène des voyages en Suisse. En 1957, Praesens produit Rendez-vous avec Svea (Emil Berna). Svea est une touriste suédoise qui passe ses vacances à Interlaken. Son mari a préféré les côtes de la mer Méditerranée. Mais ils ont décidé de se retrouver en Suisse. Svea, tout au plaisir de sa découverte du pays, oublie leur rendez-vous : un message radio se charge de lui rappeler son oubli. L’excellence des liaisons ferroviaires ne la fera arriver que quelques heures en retard – heures qui ont convaincu son mari que la Suisse est un endroit idéal… pour leurs prochaines vacances.
Produit par la même compagnie, Chassé-croisé (Alfred Bruggmann, 1958 ? – connu aussi sous le titre de Qui pro quo ou de Das verwechselte Bild) tend plus nettement vers le film de genre. Un détective privé est chargé de ramener une starlette à un studio cinématographique. Son intuition lui fait penser qu’elle passe des vacances en Suisse – le pays des vacances. Il la retrouve en effet dans le Buffet de la station de la Jungfrau, où il lui apprend, sans réaliser qu’il se trouve en présence de la personne recherchée, qu’on la demande à Londres. Le film devient le prétexte d’un déplacement dans les endroits touristiques de Suisse (et dans les wagons restaurant des CFF), tout en évoquant le film policier et le monde du cinéma.
Ces deux films traduisent un net souci de renouvellement. Werner Belmont, l’auteur du slogan Der Kluge reist im Zuge, a rédigé le sujet de ce film réalisé par Alfred Bruggman. Si les affiches et les slogans traduisent bien la volonté d’introduire une pointe d’humour dans la publicité de la régie, les films sont aussi marqués par un souci de fantaisie24.
Variations et continuité
Si les films CFF soulignent, pour la plupart, l’ingéniosité technique nécessaire au développement du traffic ferroviaire, ils ont aussi largement contribué à l’identification d’un peuple avec un paysage pour reprendre l’expression de l’historien Guy P. Marchal. Les nombreuses représentations du franchissement des Alpes et la présence marquée du paysage rural, majoritairement en régions alpines, dans les films CFF ont largement contribué à ce phénomène. La variété des modes de films produits a certainement permis de toucher des publics très diversifiés. Il conviendrait cependant de retracer plus précisément la circulation de ces films et de tenter d’évaluer leurs modalités de réception. Les rapports annuels des CFF donnent des indications permettant d’établir que ces films ont touché un large public, mais en restent à des évaluations strictement chiffrées. Permettant de prendre la mesure de l’activité déployée, le Rapport présenté par la Direction générale des chemins de fer fédéraux au Conseil fédéral, à l’adresse de l’Assemblée fédérale, sur la gestion pendant l’année 1944 indique que « 433 représentations avec films et projections lumineuses » ont été données « devant 63 255 adultes et 38 114 écoliers ».