Philippe Ney

« Attention au départ ! Prochain arrêt la Lune. » En train vers les… étoiles

La conquête spatiale est l’un des thèmes fondateurs de la science--fiction. Durant des siècles et suivant la croyance en l’habitabilité des planètes, de nombreuses fantaisies littéraires ont imaginé l’exploration de l’espace sidéral. La pure imagination a été jusqu’au siècle dernier le seul moyen de s’y transporter. Cependant, de la simple fantaisie à l’exploration concrète, le voyage interplanétaire a connu une courte période – du milieu du XIXe au début du XXe siècle – qui a tenté de faire la synthèse entre rêve et réalité, entre science et illusion1. D’abord au sein de la littérature, puis au moyen du cinématographe et de la bande dessinée, de nombreux récits ont construit un parc imaginaire de véhicules et de moyens de transport intersidéraux des plus loufoques et des plus extraordinaires. Outre le bateau, le chemin de fer est le seul à connaître, à cette époque, une existence réelle parmi les pratiques mécaniques de transport. Il est le résultat de recherches faites pour assurer aux véhicules traînés ou remorqués une direction déterminée et une faible résistance au roulement. Ces caractéristiques principales sont apparues dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, d’une part avec les rails métalliques et le cerclage des roues des chariots remorqués par des chevaux, d’autre part avec l’utilisation de la machine à vapeur. Malgré son apparition dès 1804, la locomotive à vapeur n’est devenue l’instrument incontesté de la traction ferroviaire qu’à partir des années 1830. Ainsi, nous pouvons nous demander si le train, fort de sa réalité matérielle, a pu stimuler l’imagination des auteurs ou si l’évident paradoxe qu’il représente lui a au contraire fermé l’accès aux voies célestes.

Cette question repose sur le postulat selon lequel « les littératures conjecturales romanesques rationalisées sont moins riches en moyens de transport individuels qu’elles ne sont en ce qui concerne les moyens de transport en commun »2. A priori et dans un contexte général, l’affirmation de Pierre Versins ne souffre aucune discussion3. En effet, nombreux sont les anticipations, les romans d’aventure et de voyages extraordinaires de tout acabit qui propulsent leurs héros aux quatre coins du monde en train, en bateau ou encore en ballon-dirigeable. A notre sens, il faut encore éprouver cette affirmation à l’aune du champ spécifique des récits relatifs au voyage interplanétaire. Bien que déjà traversé par des engins plus légers que l’air, le ciel ne constitue pas encore un territoire distinct de l’espace pour les véhicules plus lourds que l’air. La conquête spatiale relève encore de l’entreprise de particuliers ; et même si le vaisseau proposé peut accueillir plusieurs personnes, son espace habitable demeure en général restreint à un seul individu, voire à un groupe restreint de gens.

Durant les années 1835-1836 s’est produit un événement qui a déclenché une véritable ruée imaginaire vers les étoiles. La presse quotidienne s’est fait l’écho d’une fort ténébreuse affaire dont la Lune et le célèbre astronome anglais sir John Hershell ont été le centre. Sous la forme d’une série d’articles, parus en août 1835 dans le New York Sun, un texte intitulé Great Astronomic Disconvenances Lately Made by Sir John Hershell at the Cape of Good Hope a été le point de départ d’un vif engouement populaire pour la Lune4. L’ensemble des œuvres du courant fantaisiste, issu de ce qui n’a été qu’un canular orchestré par Richard Adams Locke, semble à bien des égards participer au vaste courant de l’utopie. Qu’elles réalisent des rêves ou qu’elles proposent de virulentes satires sociales ou morales, toutes ces œuvres reposent sur deux constantes : la Lune est accessible et elle est habitée. Si aux yeux de certains, tels Camille Flammarion, le voyage cosmique demeure impossible si l’on fait exception de la métempsychose des âmes5, d’autres savants ou écrivains ont imaginé une diversité remarquable de solutions à la présence de la vie intelligente sur la lune. Parmi celles-ci, nous trouvons la surprenante hypothèse de l’intervention de moyens psychiques qui sont à la base de la propulsion d’un engin ou qui autorisent la projection d’un corps astral à travers l’espace. Non moins extraordinaires sont les méthodes faisant appel aux phénomènes géologiques ou cosmiques, indépendants de toute volonté humaine, adroitement instrumentalisés aux fins d’un départ (éruption volcanique, passage de comète). Le voyage en ballon a lui aussi connu quelques péripéties spatiales. Mais durant la seconde moitié du XIXe siècle, l’intervention de la matière ou de la force antigravitationnelle reste la solution la plus fréquente. Dans ce type de roman astronautique, Jules Verne occupe la place d’un précurseur. Son roman De la Terre à la Lune (1865), suivi cinq ans plus tard d’Autour de la Lune, a initié un courant de récits visant à plus de « réalisme » dans la représentation du départ et du voyage dans l’espace.

Du « wagon-projectile » aux « trains de projectiles » : l’utilisation d’un vocabulaire ferroviaire

Le moyen que Jules Verne a imaginé consiste en un canon géant, la Columbiad. L’« engin-obus » est placé à l’intérieur de cet immense tube en fonte implanté au sol. Puis l’explosion d’une charge en poudre de 400 000 livres le propulse en direction de la Lune. A son bord, le capitaine Nicholl, le Français Michel Ardan et Impey Barbicane, le président du Gun-Club, ont pris place en qualités d’astronautes. Ayant raté sa cible initiale, l’obus finit par graviter autour de la Lune. A considérer la description du procédé, celui-ci ne semble entretenir aucun rapport avec le train. Cependant, en se référant d’une part au choix du vocabulaire emprunté pour décrire certains de ses composants et d’autre part au document imagé que constituent les illustrations disséminées au sein du roman, un rapprochement circonstancié devient alors possible6. Ainsi le chapitre XXII du roman qui précise les conditions d’infrastructure et d’habitabilité de l’obus s’intitule « le wagon-projectile ». Et à ce titre, l’exemple le plus explicite est sans contexte la déclaration faite par Michel Ardan, lors d’un meeting devant 300 000 personnes, les informant de la situation :

Il lui a donc paru [Michel Ardan lui-même] que c’était chose simple, naturelle, facile de prendre passage dans un projectile et de partir pour la Lune. Ce voyage-là devait se faire tôt ou tard, et quant au mode de locomotion adopté, il suit tout simplement la loi du progrès. L’homme a commencé par voyager à quatre pattes, puis, un beau jour, sur deux pieds, puis en charrette, puis en coche, puis en patache, puis en diligence, puis en chemin de fer ; eh bien ! le projectile est la voiture de l’avenir, et, à vrai dire, les planètes ne sont que des projectiles, de simples boulets de canons lancés par la main du Créateur.7

Poursuivant sa déclinaison de l’évolution des modes de transport, il formule une prévision relative à l’avenir du voyage lunaire :

Quoi qu’il en soit, je vous le répète, la distance de la Terre à son satellite est réellement peu importante et indigne de préoccuper un esprit sérieux. Je ne crois pas trop m’avancer en disant qu’on établira prochainement des trains de projectiles, dans lesquels se fera commodément le voyage de la Terre à la Lune. Il n’y aura ni choc, ni secousse, ni déraillement à craindre, et l’on atteindra le but rapidement, sans fatigue, en ligne droite, ‹ à vol d’abeille ›, pour parler le langage de vos trappeurs. Avant vingt ans, la moitié de la terre aura visité la Lune !8

Une illustration lithographique, insérée dans le corps du texte et dessinée par de Montaut9, viusalise ses propos. Elle image la scène d’un train de projectiles en route vers la Lune (fig. 1). A sa vue, il paraît évident que le modèle d’inspiration a été celui du chemin de fer. La cheminée dressée sur l’obus de tête lui confère explicitement le rôle d’une machine à vapeur. A cette particularité paradoxale dans le milieu spatial, il faut encore ajouter l’obus ouvert en forme de tender – auquel il est attaché – qui l’assimile définitivement à une locomotive. Les cylindres successifs sur lesquels s’inscrivent des zones translucides forment de toute évidence les wagons de passagers de ce véhicule lunaire.

Malgré l’originalité avérée de Jules Verne dans ce domaine d’inspiration, Émile Souvestre peut être considéré comme l’un de ses prédécesseurs10. Ses héros – Marthe et Maurice – endormis volontairement par M. John Progrès, venu les trouver depuis le futur en chevauchant une locomotive aérienne, se réveillent en l’an 3000, pensant vivre dans un monde meilleur et aux lois plus justes (fig. 2). Le procédé de satellisation proposé par Souvestre a connu un nombre restreint d’émules. Certains de ces écrivains l’ont employé tel quel, d’autres ont tenté d’en perfectionner le mode de propulsion en remplaçant le canon et la charge de poudre. Parmi ceux-ci, Henry de Graffigny a inventé le chemin de fer souterrain de lancement, c’est-à-dire un tunnel circulaire de 120 kilomètres de circonférence qui permet au projectile de prendre graduellement de la vitesse avant le lancement. C’est en ces termes qu’il décrit son fonctionnement :

En résumé, le chemin de fer que vous avez construit a pour but de projeter le plus loin possible dans l’espace, comme une pierre s’échappe d’une fronde, l’obus que vous avez vu placer sur le wagonnet-truck. Ensuite, par le jeu d’un moteur interne, ce projectile pourra augmenter sa vitesse propre, dévier de sa trajectoire dans un sens quelconque, enfin ralentir sa chute lorsqu’après un trajet elliptique qui le mènera jusque dans une planète voisine, nous reviendrons, – s’il plaît à Dieu –, sur la Terre, avec la même vitesse dans la dernière seconde qu’au moment du départ.11

Bien qu’il ne s’agisse pas véritablement, dans chacun de ces exemples, d’un chemin de fer traversant le vide sidéral, il est toutefois significatif de constater l’usage fréquent de termes empruntés à un langage ferroviaire, sur le plan de la comparaison aussi bien que de la description.

Du théâtre au cinéma : un Voyage à travers l’impossible

En 1875, Offenbach a écrit sous le titre Le Voyage dans la Lune, une adaptation théâtrale, inspirée des Voyages extraordinaires ou, plus précisément, un « opéra-féerie » avec une partition musicale de son crû. Créée sans l’accord de Jules Verne, on y retrouve des emprunts tirés de différents romans, dont De la Terre à la Lune, en ce qui concerne la construction du canon et le lancement du projectile, ainsi que Le voyage au centre de la Terre, avec le rejet du volcan par une éruption. Mais il n’y est aucunement fait mention du « train de projectile ». Irrité par ce qu’il estime être un pillage de son œuvre, Jules Verne a rédigé en collaboration avec Adolphe d’Ennery, sous le titre Voyage à travers l’impossible, une synthèse des idées fortes et spectaculaires de ses premiers romans. Ayant déjà adapté pour le théâtre trois des Voyages extraordinaires12, les deux compères ont produit cette fois un texte spécifiquement élaboré pour la scène. Pièce fantastique représentée entre 1882 et 188313, Voyage à travers l’impossible se distingue radicalement de la production vernienne antérieure et postérieure, récapitulant et prolongeant à la fois Voyage au centre de la terre, Voyages et aventures du capitaine Hatteras, De la Terre à la Lune, Autour de la Lune, Vingt mille lieues sous les mers, Le Docteur Ox. De même cette œuvre se distingue des autres « Voyages au théâtre » : en lieu et place de leur exotisme de surface, elle propose du jamais-vu. Parmi les multiples personnages se trouvent, entre autres, le professeur Lidenbrock, le capitaine Nemo14 et même Michel Ardan. Selon le leitmotiv de la pièce : « plus loin, toujours plus loin », ces héros se retrouvent sous terre à la découverte d’une peuplade de troglodytes, avant d’accéder au « Feu central » ; sous les eaux, ils visitent l’Atlantide et rencontrent des Atlantes vivants ; dans l’espace enfin, ils explorent la très lointaine « Altor » et côtoient une civilisation extraterrestre tellement avancée qu’elle en fait exploser sa planète15. Pour parvenir à cet épisode, qui regroupe les tableaux 16 à 18 de la pièce, la Columbiad est à nouveau mise à contribution. Utilisant la méthode développée dans De la Terre à la Lune, les auteurs réaffirment la vision future du vol interplanétaire. Déjà élaborée en vue du voyage pour la Lune, elle est ici élargie à l’ensemble de la galaxie. Placée cette fois dans la bouche de Maître Volsius, caché sous les traits du jeune Français, elle opère un rapprochement significatif :

Et d’ailleurs un jour, tout le monde ira dans la Lune, et même plus loin encore… Des trains aériens sillonneront les airs… Au lieu de wagons courant sur des rails, on attachera des projectiles les uns aux autres et on les lancera dans l’espace !… Trains pour toutes les planètes !… Express pour Mercure, Jupiter, Uranus et Neptune. […]16

A la différence du roman, il n’existe pas ici de support imagé pour illustrer ce propos. Aucun élément du décor ni du mobilier ne s’y réfère, malgré le fait que le machiniste a occupé une place de choix dans ces spectacles théâtraux qui ont permis au XIXe siècle de matérialiser l’impossible. A ce titre, le théâtre a été un maillon déterminant dans l’évolution qui, au début du XXe siècle, a mené le cinématographe au cinéma de fiction. Avec une poésie qui lui est propre, Georges Méliès s’inscrit parfaitement dans la continuité de ces fantaisies féériques de théâtre, de variétés, très exigeantes en effets spéciaux et en distribution. Il a d’ailleurs fait lui-même appel pour Le Voyage dans la lune aux étoiles et aux danseuses du Théâtre du Châtelet. Une nouvelle fois, le procédé de la Columbiad est représenté en fournissant les éléments à cette fantaisie d’inspiration vernienne nécessaires au départ17. Qu’ils aient été opticiens, illusionnistes ou acrobates, les premiers adaptateurs des œuvres de Jules Verne se sont montrés avant tout des amateurs de sensations visuelles et non des interprètes très soucieux de fidélité littérale. Des cinéastes comme Georges Méliès, Ferdinand Zecca ou encore Segundo de Chomon, ont poussé encore plus à la farce et à la bouffonnerie, sans se sentir aucunement en dette vis-à-vis des écrits de Jules Verne18. Reprenant ses titres à grand succès, ils se sont assuré à bon compte une publicité en adaptant au cinématographe des recettes du théâtre et du music-hall.

Parmi les bandes cinématographiques de Méliès inspirées par l’auteur des Voyages extraordinaires, son propre Voyage à travers l’impossible retient tout particulièrement notre attention. En 1904, auréolé du succès international de sa vision du « voyage à la Lune » qui, à l’époque, lui a valu le surnom de « Jules Verne du cinéma », il a repris à son compte la formule du « loin, toujours plus loin » de la pièce. Construit en 40 tableaux, son scénario met en scène les membres de L’Institut de géographie incohérente guidés par l’ingénieur Mabouloff à travers un long périple alpestre, solaire et maritime19. A cet effet, ce dernier emmène toute la compagnie dans un train spécial de son invention, synthèse farfelue de tous les engins verniens puisqu’il est surmonté de deux ballons dirigeables et qu’il transporte un bus-automobile, un sous-marin perfectionné, une glacière et mille autres accessoires… (fig. 3) Ses personnages sont de délicieux fantoches auxquels Méliès insuffle la fantaisie la plus délirante. De cette folle équipée, les tableaux numérotés de 16 à 32 constituent l’étape solaire à proprement parler. Après une première tentative au moyen d’un véhicule à l’allure de bus-automobile qui s’avère catastrophique, l’entreprise se poursuit « à toute vapeur vers le sommet de la Jungfrau. Mabouloff, furieux de n’avoir pu réaliser au Righi son audacieux projet, lance son train vers le sommet de la Jungfrau. Le train arrive à toute vapeur au sommet, le franchit, et, soutenu par ses ballons dirigeables, s’élance dans l’espace. »20 Les cinq tableaux suivants décrivent le déplacement de ce train au milieu des nuages, puis sa traversée des astres (fig. 4), jusqu’à son arrivée sur le soleil. Pour figurer cet astre, Méliès réadapte le procédé qu’il a déjà employé dans son Voyage dans la Lune. Mais à la différence de l’obus vernien, logé dans l’œil de la lune, c’est à travers la bouche que le train « atterrit » sur la surface du soleil.

Comme l’affirme Daniel Riche, « le succès du film Le voyage dans la Lune est tel qu’il fait du voyage dans l’espace ou vers d’autres mondes l’une des principales sources d’inspiration des cinéastes du début du siècle »21. A notre connaissance pourtant, le train de Méliès n’a pas rencontré de successeur immédiat dans le domaine cinématographique.

De la bande dessinée à l’animation japonaise : l’express intergalactique.

C’était tout simplement un petit train de plaisir exécutant une tournée dans les sites de l’Ouest… Cependant les voyageurs devaient accomplir la plus formidable performance de l’histoire du rail… sur une planète inconnue où le plus étrange accueil leur était réservé…22

C’est en ces termes que débute le récit publié en 1960 dans un mensuel consacré à la bande dessinée. Sans mention d’auteur, cette histoire, dont le dessin en couverture confirme l’appartenance à notre sujet, n’est en vérité qu’un leurre. Rapidement au fil des cases, en effet, il est révélé au lecteur que le train n’est pas mû par sa propre motricité, mais qu’il subit ici l’attraction d’une force extraterrestre. Le titre qui lui est attribué revêt alors tout son sens, Le train dérouté vers l’espace, et implique qu’aucune action humaine ne préside aux rênes du voyage. Un rapide survol de la bande dessinée européenne et des comics américains révèle que les références en matière de transport ferroviaire spatial ne sont pas nombreuses. En revanche, la production japonaise se révèle plus prolifique, de par la multiplicité de ses modes de diffusion.

A cet égard, la série à épisodes produite pour la télévision, Ginga Tetsudô 999, et diffusée en Occident sous le titre international de Galaxy Express23, semble enfin imager la prédiction faite par Michel Ardan. En effet, démarré en 1977 sous la forme de manga dessiné par Leiji Matsumoto24 dans les pages du magazine Shônen King, cet anime25 met en scène le périple intersidéral d’un couple étrange embarqué à bord d’un train à vapeur. Chaque épisode correspond à une escale planétaire sur le trajet qui conduit les deux héros – Tetsuro, un jeune garçon pré-pubère, accompagné de Maetel, une jeune femme à la mode russe – jusqu’au terminus de la ligne, la planète Andromède. Pour l’atmosphère et la philosophie du récit, Matsumoto s’est inspiré d’un conte de Kenji Miyazawa26 intitulé Ginga Tetsudô no Yoru qui, traduit littéralement, signifie le chemin de fer nocturne de la galaxie. Cette œuvre narre l’histoire du petit Giovanni et de son ami Campanella qui, l’espace d’une nuit, partent à bord d’un train explorer les astres et leurs occupants27. A travers ce voyage imaginaire d’un enfant au royaume du cosmos et de la Voie Lactée, Miyazawa nous livre un conte philosophique, où rêve et réalité interfèrent. En 1985, il a adapté en dessin animé la même histoire qu’il a transposée dans un univers de chats.

Ainsi, à partir d’une source littéraire, la figure d’un train parcourant l’espace se décline au fil du temps au sein de la production japonaise sur le mode du manga, de l’anime, ainsi que du long-métrage cinématographique. Cette caractéristique dans le domaine du cinéma n’a pas lieu de nous étonner. Car, en songeant aux œuvres d’Hayao Miyazaki, il est manifeste qu’une portion importante de l’animation japonaise repose sur une féerie, une fantasmagorie aux décors rétro-futuristes. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner le design choisi pour habiller le train de voyageurs, ainsi que l’allure générale des personnages et des lieux (fig. 6). Caractéristique d’un univers féerique et merveilleux au style fin XIXe, le « train solaire » de Méliès connaît ici une réactualisation et un nouveau départ vers le XXIe siècle.

Au terme de notre déambulation dans les visites ferroviaires imaginaires de l’espace, l’inventaire dressé se révèle bien modeste. Sans prétention à l’exhaustivité, nous pouvons noter que le train intersidéral constitue un motif d’exception28. Ainsi, en comparaison avec d’autres véhicules motorisés, la voiture par exemple, le chemin de fer ne traverse qu’exceptionnellement les espaces céleste et sidéral29. Au vu de la rareté de ce motif, nous pouvons estimer que le train intersidéral a peu stimulé les auteurs, écrivains, cinéastes et dessinateurs depuis le XIXe siècle.

1 Pour en savoir plus à ce sujet, voir Lucian Boia, L’exploration imaginaire de l’espace, La Découverte, Paris, 1987  ; Daniel Riche, «  Sur l’écran blanc de nos bulles noires  : le voyage spatial au cinéma et dans la bande dessinée  », Voyageons dans l’espace, Maison d’Ailleurs, Yverdon, 1992.

2 Voir Pierre Versins, LES MOYENS DE TRANSPORTS INDIVIDUELS dans les littératures conjecturales romanesques rationalisées, Lausanne, 1964 [étude non publiée].

3 N’ayant pas connaissance d’études statistiques, ni d’un corpus établi qui permet de délimiter ce qui relève ou non de la conjecture romanesque rationalisée, il ne peut donc s’agir ici que d’un a priori de notre part. Toutefois nous estimons pouvoir conférer une certaine crédibilité aux propos de cet auteur au savoir encyclopédique renommé.

4 Cet opuscule a connu une grande diffusion et est parvenu en France et en Suisse sous le titre Découvertes dans la lune, faites au cap de Bonne-Espérance par Hershell fils. Sur cette histoire, connue sous l’appelation de Moon Hoax (le canular lunaire d’Edgar Allan Poe), voir Liliane Durant-Dessert et René Guise, «  Le Voyage dans la Lune en France au début du XIXe siècle – l’originalité de Jules Verne  », dans Nouvelles recherches sur Jules Verne et le voyage, I, Librairie Minard, 1978 (actes du colloque d’Amiens, 11-13 novembre 1977)  ; ainsi que Pierre Lagrange, La guerre des mondes a-t-elle eu lieu  ?, Robert Laffont, Paris, 2005.

5 Il s’agit du procédé qui autorise la transmigration de l’âme d’un corps dans un autre.

6 Outre le cartonnage, la richesse en nombre et en qualité des illustrations constitue l’une des caractéristiques des Voyages extraordinaires, cette collection lancée par l’éditeur Hetzel pour publier les romans de Jules Verne. Voir Arthur B. Evans, «  The Illustrators of Jules Verne’s Voyages Extraordinaires  », in Science-Fiction Studies, no 75, vol. 25/2, juillet 1998, pp. 225-270.

7 Jules Verne, De la Terre à la Lune, trajet direct en 97 heures 20 minutes, Bibliothèque d’Education et de Récréation, J. Hetzel et Cie, Paris, 1865, p. 116.

8 Id., pp. 118-119.

9 Henri de Montaut (1840 [ ?]-1905 [ ?]) a illustré les trois premiers romans de Jules Verne, d’abord en collaboration avec Riou, puis individuellement pour De la Terre à la Lune. Il a été en son temps un dessinateur de magazine réputé et spécialisé principalement dans le portrait. Ses contributions pour les revues La Vie parisienne et L’Art et la mode en témoignent.

10 Voir Emile Souvestre, Le monde tel qu’il sera, W. Coquebert, Paris, [1846]. Le passage suivant nous paraît décrire par anticipation les illustrations de Jule Verne  : «  Il [John Progrès] était commodément assis sur une locomotive anglaise, dont la fumée l’enveloppait de fantastiques nuages, et portait en croupe un daguerréotype de la fabrique de M. le Chevalier.  » (p. 9)

11 Henry de Graffigny, Voyage de cinq Américains dans les planètes, Librairie Gedalge, Paris, 1925, p. 90.

12 Voir Le tour du monde en 80 jours, Michel Strogoff et Les enfants du capitaine Grant.

13 La première représentation a eu lieu à Paris, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, le 25 novembre 1882.

14 Ces deux personnages sont successivement les héros des romans Voyage au centre de la Terre et Vingt mille lieues sous les mers.

15 Nous avons consulté l’édition présentée par Agnès Marcetteau-Paul et Jean-Michel Margot (Jules Verne & Adolphe d’Ennery, Voyage à travers l’impossible, féerie en trois actes et vingt tableaux , L’Atalante, Nantes, 2005).

16 Id., p. 139.

17 A notre avis, l’ensemble de la bande Voyage dans la Lune réalisée par Georges Méliès en 1902 doit autant au roman De la Terre à la Lune qu’à celui écrit par H. G. Wells, The First Men into the Moon (1901). A titre historique, voir aussi l’opinion de Georges Sadoul dans son article intitulé «  Jules Verne et le cinéma  », in Europe, no 112-113, avril-mai 1955 [33e année], pp. 99-103.

18 On peut citer entre autres Les enfants du capitaine Grant (1901) pour Ferdinand Zecca, Excursion dans la lune (1906) et Voyage au centre de la Terre (1909) pour Segundo de Chomon.

19 Nous avons utilisé le scénario publié dans la Revue du cinéma, no 4, 15 octobre 1929, pp. 33-40, ainsi que la copie, sans intertitres mais avec un commentaire audio, contenue sur le DVD diffusé par Kino on Video, A Treasury of Early Cinema, vol. 4, The Magic of Méliès.

20 Revue du cinéma, op. cit., p. 39 [tableau 17].

21 Daniel Riche, «  Sur l’écran blanc de nos bulles noires  : le voyage spatial au cinéma et dans la bande dessinée  », op. cit., p. 33.

22 Sidéral, no 22, janvier 1960, Artima-Tourcoing (fig. 5). L’ensemble de l’histoire se compose de dix planches à dessin.

23 Cette série a été diffusée pour la première fois du 14 septembre 1978 au 26 mars 1981. Elle compte 113 épisodes et trois adaptations en téléfilm.

24 Né en 1938, ce mangaka japonais est aussi le créateur, en 1978, d’un personnage célèbre d’une saga bien diffusée en Occident, le capitaine Hardock, plus connu sous le nom d’Albator.

25 Prononcer «  animé  ». Ce mot japonais sert à désigner les dessins animés, le terme manga étant impropre lorsqu’il s’agit d’un support vidéo ou numérique.

26 Pratiquement inconnu en Occident, cet homme de lettres et auteur de contes est un personnage mythique au Japon. Pour en savoir plus, voir le site internet qui lui est consacré (http://www.kenji-world.net/english/).

27 Vraisemblablement écrite durant les années 1920, cette nouvelle connaît une traduction française dans un recueil de trois textes de l’auteur (Un train de nuit dans la Voie lactée, Le Serpent à plumes, Paris, 1995).

28 Même si d’autres occurrences peuvent être identifiées, les déplacements dans l’espace ferroviaire demeurent une exception.

29 Sur la question des voitures volantes, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de Patrick Gyger, Les voitures volantes  : souvenirs d’un futur rêvé, Editions Favre, Genève, 2005.