Mireille Berton, Charlotte Bouchez, Achilleas Papakonstantis, Sylvain Portmann

Editorial

C’est désormais chose connue, l’étude des séries télévisées – toutes approches confondues – est en expansion continue, encouragée notamment par la multiplication des fictions plurielles dites de « qualité », lesquelles auraient ouvert un nouvel « âge d’or » définitoire de la « post-télévision ». Depuis les années 2000, de nombreux ouvrages, articles et revues d’orientation critique ou académique paraissent régulièrement, revendiquant le droit de s’intéresser à un phénomène de la culture de masse qui rivalise amplement avec les productions artistiques les plus légitimées. Qu’il s’agisse de présenter les séries télévisées comme le nouveau territoire d’expression des professionnels de l’audiovisuel ou de les certifier supérieures aux films de cinéma, on ne compte plus les éloges et les superlatifs.

En entendant apporter notre pierre à un édifice plus que prospère1, nous ne souhaitons pas pour autant reproduire ici les tics de langage propres aux discours de la distinction qui voient dans les séries télévisées une forme d’anoblissement culturel de la télévision et de leurs usagers. Nous passerons également outre les justifications d’usage qui se défendent de parler d’un objet longtemps déprécié par les élites intellectuelles et sociales. Nous aimerions plutôt faire porter l’attention sur le fonctionnement de ces séries en termes de format, de récit, de représentation, de discours, d’idéologie, etc. – les historiens et les théoriciens du cinéma et des médias étant particulièrement bien outillés pour examiner ces paramètres. Constatant le « dynamisme des études cinématographiques et audiovisuelles »2 en matière d’exploration des formes culturelles de la sérialité, Guillaume Soulez souligne à juste titre le rôle clé joué par ces domaines pour une compréhension approfondie des fictions plurielles.

Alors que la sociologie – pendant longtemps dominante dans l’exploration de la télévision – éclaire la manière dont les séries façonnent de nouveaux horizons de pensée et de nouvelles habitudes/pratiques culturelles, les études cinématographiques sont en mesure de cerner les enjeux historiques, esthétiques, narratifs, idéologiques, des représentations et des discours qu’elles véhiculent. Dans un numéro de la revue CINéMAS intitulé « Fictions télévisuelles : approches esthétiques »3, les éditeurs Germain Lacasse et Yves Picard signalent le déplacement qui s’est opéré récemment au sein d’un champ qui est passé du paradigme sociologique au paradigme esthétique4. Si la télévision a souvent été considérée dans sa dimension sociale en tant que moyen de communication de masse, les analyses esthétiques et narratologiques ouvrent des perspectives fort stimulantes5. C’est pourquoi il faut continuer à inviter les chercheuses et les chercheurs à mobiliser les instruments issus des études cinématographiques, lesquels sont définitivement susceptibles de s’appliquer « à travers champs », comme le suggère le sous-titre de Décadrages – et ce, malgré les difficultés que pose en termes d’analyse détaillée l’ampleur du corpus, sans commune mesure avec un ou plusieurs films6.

Il nous semble particulièrement fructueux de mener des travaux qui articulent le texte au contexte, les séries télévisées exigeant, de par la nature de leur mode de création et de diffusion, une prise en compte « globale » de tous les paramètres constitutifs de leur dispositif (représentation, réception, production). C’est également l’avis des sociologues Eric Maigret et Guillaume Soulez qui encouragent les approches esthétiques inspirées de la pragmatique, car « il ne s’agit pas seulement de décrire le contexte de réception mais de voir comment il s’insère dans un contexte plus large – culturel, social, industriel – donnant naissance à de nouveaux axes de lecture »7. Alors que l’approche sociale du médium télévisuel s’avère indispensable pour comprendre l’impact des séries télévisées sur leurs consommateurs, « c’est sans doute l’approche esthétique et narratologique qui est confrontée au changement le plus significatif ». En ce sens, l’apport des historiens du cinéma et des cultures audiovisuelles s’avère précieux, et parfaitement complémentaire à d’autres perspectives, notamment sociologiques.

Intitulé « Séries télévisées contemporaines », ce numéro de Décadrages cherche à interroger, non pas pourquoi elles ont du succès, mais comment elles fonctionnent, à savoir quels sont les modèles esthétiques, idéologiques, narratifs, qui les gouvernent. A défaut d’être exhaustif dans les objets et approches choisis, il propose plus modestement un échantillon de ce que des chercheuses et chercheurs en études du cinéma et autres médias peuvent produire à partir de leurs branches respectives de compétence (Star Studies, Gender Studies, Fan Studies, histoire des genres, esthétique, narratologie, sociologie des médias). A travers ces différents articles, on constate alors à quel point les séries télévisées se prêtent idéalement aux regards croisés de l’historien, du sémiologue, du narratologue, de l’esthéticien et du sociologue.

Le numéro s’ouvre précisément avec un article du sociologue David Buxton qui poursuit une réflexion entamée dans des ouvrages précédents sur la dimension idéologique des séries télévisées, trop souvent ignorée8. Pour Décadrages, Buxton s’emploie encore une fois à prendre la question idéologique à rebours afin de montrer que la sérialité (la « forme série ») est utilisée par l’industrie télévisuelle pour masquer l’absence d’un projet social et collectif fort. Favorisant la multiplication des arcs narratifs et des personnages, la « feuilletonisation » croissante est, par exemple, interprétée comme révélatrice d’une incapacité à se positionner de manière claire en termes idéologiques – le centre de gravité des intrigues se déplaçant du social vers l’individuel, et plus spécifiquement vers les problèmes personnels et affectifs desdits personnages. Facilement éliminés et substitués par d’autres, passifs et dépourvus de convictions, agis au lieu d’être agissants, ils expriment un vide fondamental symptomatique d’une société à la dérive – leur seule raison d’être dépendant de facteurs commerciaux. Très loin des lectures esthétiques qui escamotent le caractère marchand des fictions plurielles, cet article développe une réflexion de nature politique qui vise à se demander par quels biais les paramètres économiques de la production des séries télévisées (sur)déterminent les innovations formelles – l’enjeu consistant à renverser la perspective traditionnelle qui traque l’idéologie dans la représentation.

Adoptant, comme Buxton, un point de vue transversal étayé sur une hypothèse théorique forte, Stéphane Benassi observe la manière dont la série télévisée permet de tisser une « relation sensible » avec le spectateur, à savoir une expérience esthétique façonnée à la fois par une matrice (le « contenu » ou l’œuvre) et une stratégie éditoriale (la programmation et son impact sur l’expérience ordinaire du spectateur). Cette double sérialité (« sérialité matricielle » et « sérialité éditoriale ») accorde alors au spectateur la possibilité de (re)vivre des émotions ordinaires sous une forme imaginaire. Narratologue et sémiologue de formation, Benassi est connu pour avoir fourni aux études sur les séries télévisées des outils précieux et précis pour comprendre leur logique de fonctionnement interne, ses travaux constituant aujourd’hui des références incontournables9. Confirmant la centralité d’une approche multilatérale qui met en interaction étroite les trois composants essentiels du dispositif de la série télévisée (le texte, le contexte et le spectateur), cette présente contribution nous fait découvrir un pan de sa nouvelle recherche qui paraîtra dans un ouvrage intitulé Les Emotions imaginaires : une expérience esthétique du télévisuel.

Dans la lignée des deux articles précédents qui traversent un certain nombre de séries télévisées sans s’arrêter sur un cas particulier, l’article de Mireille Berton s’emploie à observer les enjeux des fantasmes panoptiques et panscopiques véhiculés et stimulés par la représentation de technologies numériques. Il ne s’agit pas seulement de prendre en compte la dimension de « télé-surveillance » intrinsèque au dispositif télévisuel, mais de mesurer les effets idéologiques et sémio-pragmatiques produits par la récurrence de motifs qui induisent chez le spectateur une impression de toute-puissance sur le perçu. L’usage, par les personnages, d’appareils numériques (téléphone portable, tablette numérique, GPS, ordinateur, etc.) construit alors au sein de la diégèse un régime visuel et auditif qui renvoie plus largement à la prééminence des systèmes « invisibles » de surveillance qui captent chacun de nos mouvements et comportements.

A partir d’une étude de cas fournie par le genre du western et plus particulièrement par la série télévisée Deadwood (HBO), Achilleas Papakonstantis examine les stratégies discursives déployées par la Quality TV pour à la fois se distancer de la télévision « standard » et se rapprocher du champ du cinéma. La perspective historique adoptée par l’auteur permet de mettre en exergue la complexité des liens entre cinéma et télévision, qu’il est nécessaire d’envisager sous le prisme d’une complémentarité plutôt que d’une rivalité entre médias. L’auteur livre par ailleurs une piste de réflexion inédite concernant la « coïncidence » historique entre l’émergence de la Quality TV et le New Hollywood, deux phénomènes emblématiques de la postmodernité qui présentent comme point commun de (re)valoriser la figure de l’auteur mise précisément à mal par la critique postmoderne.

Jeanne Rohner propose une réflexion sur la figure du fan dans la série Sherlock de la BBC, illustrant la vivacité d’un champ de recherches qui mériterait d’être davantage développé dans les pays francophones, sur le modèle des Fan Studies anglo-saxon10. L’auteure montre entre autres comment la création de relations interactives entre les fans de la série et l’instance de production va mener celle-ci à surenchérir en intégrant, dans la diégèse, la figure du fan de Sherlock (le personnage incarné par Benedict Cumberbatch). Les effets produits par cette mise en abyme forment alors un réseau d’intertextes qui contribue à brouiller les limites entre la fiction et la réalité.

L’article de Gwénaëlle Le Gras, spécialiste en Gender et Star Studies, se focalise sur la figure de la guest star dont la fonction consiste à faire des apparitions ponctuelles dans les séries télévisées. Existant depuis le début de l’histoire des séries télévisées (les stars de cinéma se bousculaient pour un caméo dans Columbo), le phénomène de la guest star est ici saisi au croisement de l’identité sociale de genre et de la construction du personnage en tant que star vieillissante. Permettant de capitaliser sur un rapport dynamique entre persona et casting à contre-emploi, une guest star comme Kathleen Turner (depuis longtemps oubliée par le cinéma) apporte par exemple une véritable plus-value à la série Californication : se combinent alors chez le spectateur plaisir de la reconnaissance et sentiment de surprise, lesquels jouent en faveur de l’actrice qui échappe ainsi au statut de star « has been ».

Le dossier se clôt sur la traduction en français d’un extrait de l’ouvrage de Linda Williams sur la série The Wire (HBO) (On The Wire, 2014). Invités à choisir parmi les chapitres qui le composent, nous avons opté pour la seconde partie du chapitre 6 – « Feeling Race. The Wire and the American Melodrama of Black and White » – qui interroge l’hypothèse selon laquelle cette série reconduirait les stéréotypes liés à la représentation des Noirs en tant que personnages dominés par les Blancs, que ce soit par excès de paternalisme (« négrophilie ») ou par mépris d’une « race » jugée inférieure (« négrophobie »). Il s’agit justement pour Linda Williams de montrer que The Wire échappe aux écueils habituels du mélodrame de « Noirs et Blancs » lequel, depuis le milieu du xixe siècle, ne voit que deux issues possibles pour les personnages de couleur : soit être l’objet du racisme blanc, soit celui de la bienveillance mêlée de pitié de la part de ceux qui les dominent11. Traversant les époques, ces deux points de vue opposés participent au même titre à pérenniser le mélodrame de « Noirs et Blancs » fondé sur une conception manichéenne des rapports de race, les uns étant tantôt les victimes, tantôt les bourreaux des autres. L’appel fréquent à la représentation « réaliste » de personnages appartenant à la communauté afro-américaine n’y change rien : les stéréotypes, qu’ils leur soient favorables ou non, persistent. Refusant précisément de jouer la « carte raciale » (à savoir de jouer le jeu de la victime d’un autre racialisé, explique Williams), The Wire met en scène des individus qui s’affrontent davantage sur le terrain des rapports de classes que sur celui des antagonismes raciaux. Aussi, si les problèmes de racisme (qui touchent toutes les communautés représentées) ne sont pas écartés de l’intrigue, ils sont subsumés au sein d’un faisceau de déterminations sociales, économiques et politiques plus larges où la couleur de peau a peu de poids face au pouvoir de l’argent.

A l’intersection du dossier et de la rubrique suisse, nous proposons un article/compte-rendu ainsi qu’une retranscription de la table ronde qui s’est tenue en janvier 2016 aux Journées de Soleure sur le thème des séries et des web-séries suisses, contribution signée par Sylvain Portmann et Anne-Katrin Weber. Organisée en collaboration avec Décadrages et le Réseau Cinéma CH, cette rencontre a permis de faire dialoguer des professionnels de la production télévisuelle, au niveau aussi bien suisse romand que suisse allémanique. Elle a donné l’occasion d’en apprendre un peu plus sur la production de séries télévisées (majoritairement financées par de l’argent public12), la Suisse proposant depuis une dizaine d’années des fictions plurielles « maison » qui traitent de questions variées à travers des genres que le sont tout autant. Aux séries « classiques » produites et diffusées par les différentes chaînes nationales, sont venus récemment s’ajouter de nouveaux formats destinés aux médias numériques, à l’instar des web-séries (de fiction également). Qu’elles soient le résultat d’initiatives privées ou publiques (ou les deux), ces web-séries présentent la particularité d’être moins coûteuses, plus courtes en termes de durée (quelques minutes) et de s’adresser à un public familier des technologies numériques et du visionnement sur internet de contenus audiovisuels. A partir du constat de la multiplication des séries suisses tous formats confondus, les intervenants de cette table ronde ont débattu de questions relatives aux modes de production, de diffusion et de consommation qu’elles engagent.

La rubrique suisse de ce numéro passe en revue un certain nombre d’événements qui ont marqué l’actualité helvétique dans le domaine de l’audiovisuel durant le second semestre de l’année 2015. Kim Seob Boninsegni, artiste polyvalent qui vit et travaille à Genève, relate à Charlotte Bouchez et Tristan Lavoyer son expérience d’incursion dans la fiction cinématographique avec Occupy the Pool, présenté dans la compétition internationale du Festival Tous Ecrans en novembre dernier à Genève. L’entretien porte sur la genèse de ce long-métrage et les spécificités de la pratique filmique de l’artiste (notamment son travail avec les acteurs et la perméabilité entre l’art contemporain, le théâtre et le cinéma). La monographie de Daniel Reymond, La Bobine, un cinéma à la Vallée de Joux (1923-2015), parue aux Editions de la Thièle, est présentée par Roland Cosandey. Son compte rendu montre comment le travail de Reymond, en s’appuyant sur une grande variété de sources, dépasse les limites d’une histoire locale – centrée sur une salle « périphérique » (La Bobine) – et suggère, de manière plus générale, des pistes nouvelles pour l’historiographie de l’exploitation cinématographique. Laure Cordonier, pour sa part, revient sur le sixième long-métrage fictionnel de Lionel Baier, La Vanité, qui traite d’un sujet bien présent dans la société suisse, à savoir le suicide assisté. Deux expositions, la rétrospective qu’a consacrée le Mamco à l’artiste belge David Claerbout, et Film implosion ! Experiments in Swiss Cinema and Moving Images, organisée au Fri Art et curatée par Balthazar Lovay et François Bovier, sont recensées par les articles d’Achilleas Papakonstantis et d’Anthony Bekirov respectivement. Le compte rendu de Gaspard Vignon qui clôt cette rubrique présente l’anthologie Musique de film suisse (un livre de quatre cents pages, trois CD et un DVD), éditée par la fondation SUISA.

1 Les séries télévisées ne cessent d’inspirer des colloques, journées d’étude, tables rondes, revues papier ou en ligne. Citons seulement deux exemples récents dans l’espace francophone : lancée en 2015 par Laetitia Biscarrat et Gwénaëlle Le Gras, la revue scientifique en ligne Genre en séries : cinéma, télévision, médias a consacré ses deux premiers numéros aux fictions sérielles ; la dernière livraison de la revue Télévision (no 7, 2016) s’intéresse à la manière dont les séries télévisées permettent de repenser le récit.

2 Guillaume Soulez, « Introduction », Mise au point [en ligne], no 3, 2011, p. 2 (« Sérialité : densités et singularités / Seriality : Densities and Singularities »). URL : http://map.revues.org/927 [consulté le 28 mars 2016].

3 Germain Lacasse et Yves Picard (éd.), « Fictions télévisuelles : approches esthétiques », CINéMAS, vol. 23, no 2-3, printemps 2013.

4 Id., « Présentation », p. 9.

5 Les auteurs réunis dans le numéro de CINéMAS s’intéressent à toutes les périodes des fictions télévisuelles, depuis l’anthologie Hitchcock Presents qui met en place un dispositif de « direction des spectateurs » via le regard-caméra (Gilles Delavaud) jusqu’à l’esthétique carnavalesque de certaines séries qui mettent en scène des personnages asociaux ou grotesques (Jean-Pierre Esquenazi).

6 Sur ce point, nous renvoyons à l’article de David Buxton dans le présent numéro qui soulève la question de l’obstacle que peut représenter le fait d’analyser des séries de 7 ou 8 saisons, a fortiori lorsqu’il s’agit de séries networks qui peuvent aller jusqu’à 24 ou 25 épisodes par saison.

7 Eric Maigret et Guillaume Soulez, « Les nouveaux territoires de la série télévisée », Médiamorphoses, hors série Les Raisons d’aimer les séries télé, Paris, A. Colin, 2007, p. 12.

8 Dans Les Séries télévisées. Formes, idéologie et mode de production (Paris, L’Harmattan, 2010), l’auteur propose d’analyser les séries américaines récentes, non pas seulement en fonction de leurs innovations thématiques et formelles, mais sur la base du constat que la série est un produit industriel mobilisant des capitaux importants, et dont la valeur n’émerge que très en aval de sa production, au moment où le succès dans le premier marché (la télédiffusion) ouvre les portes sur les autres marchés (à savoir : la vente aux télévision étrangères ; la « syndication » ou droit de rediffusion par les « minors » de produits vendus par les « majors » ; vente en coffrets DVD ; VOD).

9 C’est le cas, par exemple, de son ouvrage, maintes fois cité ici et ailleurs, Séries et feuilletons TV. Pour une typologie des fictions télévisuelles, Liège, CEFAL, 2000.

10 Rappelons que, dès les début des années 1990, Henry Jenkins, lui-même fan et chercheur en études culturelles, développe des travaux qui visent à lutter contre les stéréotypes liés aux images de fans, fournissant à la communauté universitaire américaine un cadre théorique pour penser la culture de masse, à savoir la télévision, les jeux vidéo, la bande-dessinée, les cultures numériques, web, etc. Jenkins explique que les stéréotypes attachés à l’attitude de fan sont inhérents au terme lui-même qui est une abréviation de la notion de fanatique désignant à la base une forme excessive et incontrôlée de croyance religieuse. Il est par ailleurs accompagné de connotations féminines puisque l’attitude du fan est associée au zèle religieux, à l’excès, à la possession, à la folie. Selon Henry Jenkins, les conceptions stéréotypées du fan doivent être vues comme le résultat d’une projection de peurs liées au bouleversement des catégories culturelles traditionnelles qui séparent nettement la culture noble (masculine) de la culture de masse (féminine). En proclamant leur préférence pour la culture de masse considérée comme digne d’intérêt, y compris pour les intellectuels et les chercheurs, et en valorisant des textes populaires à l’égal de textes canoniques, les fans transgressent les normes du bon goût bourgeois qui cherchent à maintenir à distance l’objet culturel afin de l’inscrire dans une relation purement contemplative.

11 L’histoire du mélodrame de « Noirs et Blancs » remonte à la publication du roman-feuilleton de Harriet Beecher Stowe, Uncle Tom’s Cabin (1852) qui raconte l’histoire d’un esclave Noir et chrétien qui se sacrifie héroïquement pour les Blancs. Cette œuvre va donner lieu à une multitude d’adaptations théâtrales et cinématographiques qui reproduisent avec peu de variations le même arsenal de lieux communs.

12 On entend par « argent public » le financement provenant de la redevance de réception radio et TV, de l’OFC ou d’autres sources semi-étatiques.